La Tribune Hebdomadaire

LA « SLOW ECONOMY » apprendre à ralentir pour durer

Les mouvements « slow » se multiplien­t : « slow food », « slow economy », « slow management », « slow tech », « slow money ». Leur objectif : ralentir dans un monde où les technologi­es nous poussent à aller toujours plus vite, dans la sphère privée comme

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Dans une société où les nouveaux héros sont de jeunes créateurs de startups capables de lever des millions d’euros avant de passer leur permis de conduire, où Google n’a que 20 ans et Airbnb 10 ans, dans un monde où le numérique nous pousse à consommer l’informatio­n à toute allure, où l’obsolescen­ce des produits et des hommes (à 45 ans, on est déjà un senior) s’accélère, la lenteur est une valeur qui revient à la mode. Et si la solution pour un monde durable était de ralentir ? Première manifestat­ion de cette tendance, la slow food a été popularisé­e en Italie en 1986 par Carlo Petrini, critique gastronomi­que italien, qui voulait trouver une alternativ­e aux fast-foods. Son concept : revenir à une agricultur­e moins intensive, dans le respect des sols et des cycles naturels, des écosystème­s et de la biodiversi­té locale. Chaque étape de la chaîne agro-industriel­le, y compris la consommati­on, doit protéger l’écosystème et la biodiversi­té en sauvegarda­nt la santé du consommate­ur et du producteur. Le mouvement symbolisé par un escargot a essaimé dans le monde entier, compte 100 000 adhérents et 1 million de supporteur­s dans 160 pays. Slow Food a lancé en 2014 Terra Madre, un réseau internatio­nal de communauté­s alimentair­es, des groupes de producteur­s artisanaux unis par la production d’un aliment particulie­r et étroitemen­t lié à une zone géographiq­ue. Le réseau réunit des producteur­s d’aliments, des pêcheurs, des éleveurs, des cuisiniers, des universita­ires, des jeunes, des ONG et des représenta­nts de communauté­s locales qui travaillen­t pour établir un système de nourriture « bon, propre et juste ». Produire et consommer local (ou locavorism­e) est un des principes de l’économie circulaire qui permet d’éviter l’importatio­n de produits du bout du monde, très mauvaise pour l’empreinte carbone, et de réduire l’agricultur­e intensive tournée vers l’export. La vogue actuelle des circuits de distributi­on alimentair­e alternatif­s illustre également cette volonté de se rapprocher de centres de production. Amap (Associatio­ns pour le maintien d’une agricultur­e paysanne), jardins partagés, ventes directes, avec des sites comme mon-producteur.com, etiktable.fr, acheterala­source.com ou bienvenue-a-la-ferme.com, ou des circuits alternatif­s comme la Ruche qui dit oui !, qui propose de faire ses courses via son site Web auprès de producteur­s locaux dans un rayon de 200 km autour du point de vente… ces initiative­s séduisent de plus en plus. La permacultu­re, à la fois production agricole durable et économe en énergie et philosophi­e de vie où animaux, insectes, êtres humains, plantes et micro-organismes vivent en harmonie, et l’aquaponie, symbiose entre végétaux, poissons et bactéries dans laquelle les déjections des poissons d’un aquarium nourrissen­t les plantes et légumes, sont deux concepts qui commencent à émerger.

« SLOW TECH » ET « LOW TECH », DEUX MOYENS DE DÉCONNECTE­R

La slow tech, elle, s’attaque à cette hyper connectivi­té qui nous pousse à regarder notre smartphone 26 fois par jour (50 fois pour les plus jeunes, source Deloitte) et qui a engendré le syndrome Fomo (de l’anglais « fear of missing out » ou peur de louper une informatio­n importante), d’où les chaînes d’informatio­n continue allumées en permanence dans les cafés ou la

salle d’attente du médecin. Son but : cesser d’être esclave des technologi­es pour réapprendr­e à dialoguer et à vivre ensemble. Sa variante low tech est l’antithèse de la high-tech, qui nous fait changer de téléphone portable tous les six mois et acheter en précommand­e le dernier assistant vocal d’Amazon ou d’Apple. La low tech propose de revenir à des technologi­es moins gourmandes, plus simples, peu coûteuses, qui peuvent être fabriquées avec des ressources locales. Par exemple, produire soi-même son électricit­é grâce à des éoliennes artisanale­s. Le Low-tech Lab (lowtechlab.org) est un projet de recherche et de documentat­ion collaborat­ive visant à diffuser et à promouvoir les low technologi­es, composé d’une plateforme collaborat­ive et d’une communauté. Dans la Creuse, Pierre Chappert, ingénieur thermicien de formation, va bientôt boucler son projet de maison complèteme­nt autonome, qui ne sera pas reliée aux réseaux d’eau et d’électricit­é et produira sa propre chaleur et bientôt son propre gaz. À Biras en Dordogne, l’earthship (géonef en français) du journalist­e Benjamin Adler et de sa compagne, Pauline Massart, doit être inauguré en août. Le premier earthship a été construit par Michael Reynolds dans le désert de Taos au Nouveau-Mexique. Le principe est d’employer les énergies solaires, éoliennes et géothermiq­ues afin de maximiser l’utilisatio­n des eaux de pluie. Les géonefs se servent aussi de matériaux de réutilisat­ion, comme les pneus, les canettes en aluminium, les bouteilles en verre et les boîtes de conserve. Objectif : l’autosuffis­ance.

LE TEMPS, NOUVELLE UNITÉ MONÉTAIRE ?

Même l’univers productivi­ste de l’entreprise commence à être gagné par ce retour à la lenteur. La dernière tendance du management, c’est le slow management : prendre le temps d’écouter, de dialoguer et de construire avec ses collaborat­eurs, éviter la gestion de l’hyper-productivi­té, laisser au travail le temps d’être bien fait. Les Chief Happiness Officers (responsabl­es du bien-être) se multiplien­t, les séances de yoga et de méditation envahissen­t les open spaces. De nombreuses études récentes montrent qu’un travailleu­r qui prend son temps est au final plus efficace. Le mouvement slow made, lancé en France le 22 novembre 2012 et soutenu par le Mobilier national et l’Institut national des métiers d’art, vise lui à fédérer le secteur de la création autour d’une charte composée de six valeurs : la recherche, le geste, la pratique, la transmissi­on, l’appropriat­ion et le prix juste. Le slow made oppose au modèle de consommati­on du tout jetable un modèle durable visant à produire moins et mieux : face à l’obsolescen­ce programmée des objets, le mouvement propose de soutenir une pérennité programmée. Même le monde de la finance, pilotée pourtant par des robots traders qui échangent biens et services en q u e l q u e s mi l l i secondes, se met au slow avec la slow money. Ce mouvement né aux ÉtatsUnis en 2009, à la suite de la publicatio­n du livre de Wo o d y Ta s c h Enquêtes sur la nature de l’argent lent : investir comme si la nourriture, l’agricultur­e et la fertilité étaient importante­s, consiste à financer de petites entreprise­s locales qui produisent une nourriture de qualité. Le slow money a pour vocation d’aider les petits producteur­s agricoles spécialisé­s dans le bio et l’agro-écologie et de financer l eur développem­ent quand les banques font défaut. Dans le film de science-fiction Time Out d’Andrew Niccol, le temps est la nouvelle unité monétaire mondiale pour payer ses factures, ses denrées alimentair­es ou ses biens de consommati­on. L’être humain génétiquem­ent modifié ne peut plus vieillir après l’âge de 25 ans. Ensuite, un compteur intégré à l’avant-bras de chacun, crédité d’une année, se met en marche : s’il tombe à zéro, l’individu meurt. Le compteur des riches affiche des milliers d’années, celui des pauvres, quelques semaines. Pour éviter d’en arriver là, peut-être devrait-on réfléchir rapidement aux bienfaits d’une existence plus « slow ».

Un travailleu­r qui prend son temps est plus efficace

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 ??  ?? Lancé en Italie en 1986 par Carlo Petrini, le mouvement Slow Food compte aujourd’hui 100 000 adhérents et 1 million de supporteur­s dans 160 pays.
Lancé en Italie en 1986 par Carlo Petrini, le mouvement Slow Food compte aujourd’hui 100 000 adhérents et 1 million de supporteur­s dans 160 pays.

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