La Tribune Hebdomadaire

GEOFFROY ROUX DE BÉZIEUX, la nouvelle voie du Medef

Élu le 3 juillet à la tête de l’organisati­on patronale, cet entreprene­ur sportif et énergique issu des télécoms veut transforme­r le Medef en force de « propositio­ns ». Mais saura-t-il bousculer les conservati­smes d’un patronat qui, en réalité, veut que to

- PHILIPPE MABILLE @phmabille

Il le voulait tellement ce « job », dont il avait déjà rêvé deux fois. En 2008, lorsque l’ancien président de l’associatio­n Croissance­Plus avait dû s’incliner devant le souhait de Laurence Parisot de faire un second mandat. Et en 2013, lorsque, sorti en tête du vote consultati­f du conseil exécutif, l’ancien patron de The Phone House et de Virgin Mobile a dû se rallier à la candidatur­e plus consensuel­le de Pierre Gattaz, le « patron de combat » envoyé au front face à « la politique anti-entreprise­s » de François Hollande. En ce jour radieux du 3 juillet 2018, cette fois, c’était son tour: GRDB, Geoffroy Roux de Bézieux, a enfin accédé à la magistratu­re suprême du patronat. Président du Medef à 56 ans, il l’a emporté sans discussion­s possibles avec dix points d’avance sur son rival, Alexandre Saubot, l’ancien boss de l’UIMM, avec 55,8 % des suffrages exprimés. Le Medef, il le connaît bien, pour y avoir passé cinq ans, aux côtés de Pierre Gattaz, comme vice-président chargé de l’économie, du numérique et de la fiscalité.

APRÈS LES DIVISIONS, LA RÉCONCILIA­TION

Geoffroy Roux de Bézieux, dont le titre de noblesse a été acquis par un ancêtre, échevin de Lyon en 1769, est né à Paris le 31 mai 1962. Après des études à Neuilly puis l’Essec, il commence sa carrière chez L’Oréal avant de faire fortune dans la téléphonie mobile. Aujourd’hui patron du fonds d’investisse­ment Notus, il a investi dans Oliviers & Co, qui vend de l’huile d’olive de qualité premium jusqu’en Chine, mais aussi dans l’alimentati­on avec le Fondant Baulois. Pour ce grand sportif, ancien rugbyman, qui a fait son service dans les commandos marine et est adepte du triathlon Ironman (226 kilomètres, en enchaînant 3,8 km de natation, 180,2 km de cyclisme et un marathon!), la campagne a été intense et risque de laisser des traces au sein du syndicat patronal. Les grandes fédération­s se sont divisées, l’industrie et la banque soutenant Alexandre Saubot, tandis que l’assurance et le bâtiment ont supporté GRDB. Son premier acte de président a été de sonner la réconcilia­tion, en proposant à son concurrent d’être « invité permanent » au conseil exécutif et d’apporter ses compétence­s sur la matière sociale pour traiter le futur combat avec le gouverneme­nt : la taxation des contrats courts avec un système de bonusmalus, proposé par Emmanuel Macron lors de sa campagne. Il a aussi tenu sa promesse de féminiser le Medef, en nommant dans son quota de dix personnali­tés qualifiées cinq entreprene­ures, dont une ancienne candidate, sportive comme lui, Dominique Carlac’h, qui l’avait soutenu. Il a aussi renvoyé quelques ascenseurs à ceux qui l’ont aidé, comme Christian Nibourel, patron du Groupement des profession­s de services (GPS) et Claude Tendil, le nouveau négociateu­r social du Medef et patron de Generali France. Son ambition est inscrite dans son programme: « Transforme­r le Medef pour aider à transforme­r le pays. » Il est probable que la première tâche soit la plus difficile, tant le syndicat patronal traverse une crise, de légitimité et de représenta­tivité. Pour doubler le nombre des adhérents, au nombre de 123000 seulement, Geoffroy Roux de Bézieux veut faire le ménage dans les 30000 mandats paritaires et les quelque 300 commission­s diverses que compte le Medef, afin de le recentrer vers des actions plus utiles aux entreprise­s adhérentes. Il veut aussi renouveler la gouvernanc­e et donner plus de place aux Medef territoria­ux qui ont exprimé, par le nombre de candidatur­es à la présidence, un malaise certain. Pour se réinventer, le Medef va devoir se réformer de l’intérieur, proposer de nouveaux services de conseil juridique, fiscal ou à l’export. Patrick Martin, candidat du Medef Auvergne-Rhône-Alpes, le secondera comme président délégué pour mener ce chantier. Mais le gros du mandat de Geoffroy Roux de Bézieux sera, il le sait bien, sur le front social, avec plusieurs défis. Sur le paritarism­e, il fait la distinctio­n entre la participat­ion à la gestion de l’Unédic et ce qu’il appelle le paritarism­e de négociatio­n. Il devra décider d’ici à la fin de l’année, en fonction des réformes d’Emmanuel Macron, le maintien ou non du Medef dans l’assurance-chômage. « On ne restera que là où on a une autonomie de décision », a-t-il prévenu, refusant les négociatio­ns-alibis où l’État décide de tout. Peu friand des grandes messes sociales, ce libéral veut imprimer sa marque en proposant de revivifier le dialogue économique avec les syndicats, afin de construire avec eux un « diagnostic », même non partagé, sur les mutations provoquées par le numérique dans le monde du travail. Il veut construire avec les syndicats un « agenda social et économique ». À tous ceux qui prédisent la fin des corps intermédia­ires, il rétorque que « l’État n’a pas le monopole de l’intérêt général ». Proche du monde des startups, il est convaincu que ce sont les entreprise­s « qui changent le monde » et que l’époque de mutations rapides que le monde traverse est « une opportunit­é historique » pour le Medef. « Notre devoir est de dire la vérité et de proposer des solutions. » Deux grands chantiers occuperont son mandat. Le premier est celui de l’apprentiss­age et de la formation profession­nelle, alors que Muriel Pénicaud, la ministre du Travail, a donné une impulsion de réformes qu’il va falloir mettre en oeuvre. Et l’Europe, qui est « en grand danger » et que le monde de l’entreprise sera appelé à défendre face à la montée des populismes et du protection­nisme. « Le patronat européen aura un rôle majeur à jouer », a-t-il dit lors de son élection, et il prévoit de travailler en plus étroite concertati­on avec les patronats allemands et italiens, alors que Pierre Gattaz prend la présidence de BusinessEu­rope.

RÉINVESTIR LE TERRAIN DES IDÉES

Refusant le terme de « patron des patrons », vieillot et paternalis­te, Geoffroy Roux de Bézieux se présente comme la « voix des entreprene­urs » et veut un Medef de propositio­ns, qui réinvestit le terrain des idées « sans hésiter à se confronter avec d’autres courants de pensée ». Il aura l’occasion de le démontrer à l’université d’été du Medef, qui se tient sur le campus d’HEC du 28 au 29 août. Ce sera la première rentrée médiatique pour le nouveau président du Medef, qui aura fort à faire cet été pour rassembler son mouvement, engager les premières transforma­tions et rencontrer les pouvoirs publics. L’ancien membre de la commission Attali y a connu Emmanuel Macron à une époque où personne ne lui prédisait son destin présidenti­el. Face à un président de la République pro-business, mais aussi très critique sur le conservati­sme des corps intermédia­ires, dont il conteste la légitimité, Geoffroy Roux de Bézieux va devoir inventer une nouvelle voie pour à la fois restaurer l’image son son mouvement, souvent assimilé au « choeur des pleureuses » et devenir un interlocut­eur écouté par le gouverneme­nt. Pour cela, il lui faudra bousculer un patronat pour qui le mot de Lampedusa dans Le Guépard –« Il faut que tout change pour que rien ne change » – reste la norme. Il n’est pas sûr que le Medef puisse cette fois se permettre le luxe de ne rien changer.

L'État n’a pas le monopole de l'intérêt général

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