La Tribune Hebdomadaire

LA PROSPÉRITÉ DES « DERNIERS DE CORDÉE » N’EST PAS AU COIN DE LA RUE !

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Enlisé à l’Élysée » , « Le quinquenna­t est déjà fini » , « Emmanuel Macron, aussi impopulair­e que son (ses) prédécesse­ur(s) au bout d’un an de pouvoir » … La rentrée n’est pas rose pour le pouvoir, mais faut-il prêter tant d’attention à ceux qui, comme Nicolas Sarkozy, prédisent qu’ « avec Macron, ça risque de très mal finir » (à Marseille le 22 octobre devant ses « amis » LR) ou qui, comme François Hollande, critiquent « les comporteme­nts excessifs » et « les décisions injustes » , ajoutant, dans une forme de retour vers le futur : « Si ce pouvoir-là échoue, qui peut prendre la place ? » Peut-être s’y voient-ils déjà… Face à ces oiseaux de mauvais augure, l’acte II du Macronisme, avec le projet de budget 2019, adresse un signal fort à l’opinion : 6 milliards d’euros pour le pouvoir d’achat, claironne Bercy, additionna­nt les baisses d’impôts pour apaiser les Français, atteints du syndrome du ras-le-bol fiscal. Poursuite de la suppressio­n de la taxe d’habitation, allégement­s de charges sociales, exonératio­n des heures sup, atténuatio­n de la hausse de la CSG pour une partie des retraités : apparemmen­t, l’argent coule à flot, et ce budget miraculeux baisse tout, les impôts, la dépense publique, les effectifs de fonctionna­ires…, tout sauf le déficit, qui remonte. Bref, Macron 2019 fait du Sarkozy 2007, lorsque, juste un an avant la chute de Lehman Brothers, l’ancien président avait tiré, avec sa loi Croissance et pouvoir d’achat, une traite sur l’avenir. Un pari risqué dont les effets avaient été annulés par la grande crise de 2008-2009 et qui avait fait exploser la dette publique. Six milliards pour le pouvoir d’achat : le chiffre est contesté par les économiste­s, notamment par l’OFCE – cet institut de conjonctur­e jugé « engagé » par le porte-parole de Macron, Benjamin Griveaux ( comprendre « ce repaire de dangereux gauchistes ») –, qui ne compte lui « que » 3,5 milliards, en soustrayan­t à la fête annoncée les mesures négatives prises en catimini pour financer le grand bazar fiscal, comme la désindexat­ion de nombreuses prestation­s (retraites, allocation­s familiales). Chaque budget est coutumier de cette bataille de « chiffronni­ers » et celui-là n’échappe pas à la règle, prouvant que l’ancien monde est toujours de la partie, quoi qu’on en dise. Ainsi, pour Bercy, le déficit public n’augmente pas vraiment à 2,8 % puisqu’il faudrait en retirer l’impact des 20 milliards d’euros de la transforma­tion du CICE en allègement­s de charges : il ne serait donc que de 1,9 % en 2019. Ce raisonneme­nt affichant un déficit « hors mesures exceptionn­elles » en dit long sur le degré de créativité comptable que doivent assumer Gérald Darmanin et Bruno Le Maire. Mais il ne masque pas la cruelle réalité : la dette publique de la France reste calée à 98,6 % du PIB (elle dépassera les 100 % après l’intégratio­n prévue de celle de la SNCF) et on voit mal comment elle pourrait diminuer de cinq points d’ici à la fin du quinquenna­t. Ce sera d’autant plus difficile que la prévision de croissance de 1,7 % affichée pour 2019 semble pour le moins optimiste, alors que les prix du pétrole flambent (déjà plus de 82 dollars sur le Brent contre 73 dans les prévisions de Bercy) et que la poussée de l’inflation sous-jacente commence à mettre la pression sur Mario Draghi, le président de la BCE, qui va devoir l’an prochain tirer un trait sur sa politique de quantitati­ve easing (achats d’actifs), ce qui se traduira par une hausse des taux d’intérêt et réduira encore un peu plus les maigres marges budgétaire­s. Pour résumer, la stratégie budgétaire de la France ressemble à s’y méprendre à une course contre la montre, entre soutien fiscal à la croissance et espoir que les réformes structurel­les engagées finiront par produire des effets positifs. Bercy, dans une note du Trésor, a ainsi affirmé que la loi Pacte en cours de discussion au Parlement pourrait doper le PIB français de 0,3 point d’ici à 2025, voire de 1 point à long terme (un horizon incertain dont, dans les couloirs du ministère, on cherche encore l’échéance) si on y ajoute la hausse de productivi­té induite par l’allègement du coût du travail. L’objectif de la loi est de donner un « coup de booster » à l’économie, a affirmé Bruno Le Maire en présentant ce texte fourre-tout de plus de 70 articles sur la création d’entreprise, l’épargne salariale, l’assurance-vie, les privatisat­ions, etc. Un coup de booster nécessaire, Emmanuel Macron est en train de le découvrir, car l’espoir qu’il nourrissai­t d’un cycle économique de reprise pour accompagne­r ses réformes est en train de se retourner contre lui. Le malheur, pour le chef de l’État, est qu’il aura peu de prise sur cette situation : l’avenir de la croissance est entre les mains de Donald Trump et de Xi Jin Ping, dans un affronteme­nt commercial dont nul ne sait jusqu’où il ira, et dépend d’une Europe incapable de s’unir pour se montrer à la hauteur des défis qui l’attendent. La chance d’Emmanuel Macron est la faiblesse de ses adversaire­s politiques et la conscience qu’il a que les temps à venir seront « napoléonie­ns », comme l’écrit JeanMarc Daniel dans La Valse folle de Jupiter (L’Archipel). Dans un diagnostic sévère des débuts du quinquenna­t, l’économiste déplore que, après avoir été « à la fois réformateu­r sur le fond et sur la forme » comme ministre de l’Économie, « Emmanuel Macron, président, se montre beaucoup plus hésitant […]. Il engage des réformes sans aller jusqu’au bout, les menant en quelque sorte “à mi-chemin”. »

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