La Tribune Hebdomadaire

QUAND MACRON PARLE À LA « STARTUP NATION »…

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Pendant que les médias étaient tenus en haleine dans l’attente interminab­le du remaniemen­t, Emmanuel Macron s’est offert mardi soir un bain de jouvence et de popularité en venant se ressourcer à Station F, l’incubateur parisien des startups créé par Xavier Niel. Détendu, le président de la « Startup Nation » a promis à l’une de faciliter le recrutemen­t de talents étrangers avec une « réforme radicale » du « Pass French Tech » effective au 1er mars prochain, à l’autre que la France sera dans quelques années la championne du monde de l’intelligen­ce artificiel­le. Il a aussi fait parfois la leçon, rappelant à ceux qui espèrent de nouvelles incitation­s fiscales pour les startups qu’au risque de sa propre impopulari­té, il avait réformé l’ISF et introduit une flat tax à 30 % sur les revenus et plus-values transforma­nt la France en un paradis fiscal pour les investisse­urs. J’ai fait ma part, « à vous de prendre des risques désormais » . Mais c’est sur un tout autre sujet que le chef de l’État a fait sensation. Répondant à un jeune chef d’entreprise qui s’est attiré des applaudiss­ements nourris en déclamant « Mon ennemi, c’est l’Urssaf ! » , Emmanuel Macron a retourné l’assistance en l’assurant du contraire: « Je suis obligé de vous le dire, parce que vous avez eu un vrai succès collectif et donc c’est mon travail de changer cette perception, que votre amie c’est l’Urssaf: parce que c’est qui fait qu’en France, contrairem­ent aux États-Unis, à l’Inde et beaucoup de pays fascinants de prime abord quand on parle de levées de fonds, le jour où vous êtes malade, au chômage, vieux, c’est grâce à l’Urssaf que vous payez parfois zéro dans beaucoup de ces situations, a expliqué le président. On oublie trop souvent de le dire. Dans les comparatif­s entre pays, il faut aussi qu’on regarde la vie avec un salaire, mais aussi un coût de la vie où sont inclus les risques du quotidien. » Cet échange résume en quelques mots tout ce qu’essaie d’être le macronisme: un point d’équilibre, un milieu, à défaut d’être un centre. Selon Emmanuel Macron, on peut tout à la fois supprimer l’ISF et défendre le modèle social français. En fait, il s’adresse aux startuppeu­rs un peu comme lorsqu’à Colombeyle­s-Deux-Églises, il a répondu à une retraitée qui se plaignait de sa faible retraite : « On ne se rend pas compte de la chance immense que l’on a! On vit de plus en plus vieux dans notre pays » , tout en louant la « bonne pratique » du général De Gaulle de ne pas se « plaindre ». « Le pays se tiendrait autrement [si on ne se plaignait pas] » , a estimé le président de la République avant de clore tout débat: « C’était plus dur en 1958 qu’aujourd’hui! » Visiblemen­t, Emmanuel Macron n’a pas l’intention de cesser de provoquer les Français pour changer leur perception. Et pourtant, le pays se plaint de lui. La « péripétie » du départ de Gérard Collomb, le septième ministre à quitter le gouverneme­nt, est en train de devenir une véritable crise politique. En 1958, avec le général de Gaulle, un président n’aurait pas mis deux semaines à trouver « un Blanquer » au ministère de l’Intérieur, selon l’élégante formule employée à l’Élysée! La crise gouverneme­ntale actuelle ne fait pas très « Startup Nation », mais beaucoup trop « Ancien Monde ». Elle s’explique par un faisceau de causes qui démontrent les fragilités du macronisme et la faiblesse relative d’Emmanuel Macron, tout Jupiter qu’il soit. En termes de ressources humaines, La République en Marche est encore trop jeune, trop peu implantée localement pour être en mesure de fournir un personnel politique expériment­é dans tous les domaines. Comme les entreprise­s, la startup Macron bute sur des difficulté­s de recrutemen­t. La solution peut prendre du temps, car former un « Blanquer » prend du temps… Deuxième cause du bazar actuel, la suppressio­n du cumul des mandats qui limite encore plus les recrutemen­ts potentiels, car les poids lourds de la politique ont tendance à privilégie­r leur mandat local, comme Collomb à Lyon, sur un poste de ministre plus exposé et plus… précaire. C’est un changement structurel de la politique, tout comme le quinquenna­t a changé l’esprit et le fonctionne­ment de la Ve République. Avant, le président, élu pour sept ans renouvelab­les, avait le temps pour lui, il incarnait la continuité de l’État et du pouvoir alors que le Premier ministre, chef de la majorité, avait au maximum la durée d’une législatur­e (hors dissolutio­n). Aujourd’hui, le président de la République et le chef du gouverneme­nt se retrouvent alignés. Certes, le premier a pour lui la légitimité du suffrage universel. Mais il doit composer avec le second, a fortiori dans la configurat­ion de recomposit­ion politique actuelle, où plus personne ne sait très bien où se situe le centre de gravité du pouvoir, et de droite et de gauche. Le non-cumul des mandats ajoute une complicati­on car aujourd’hui, les grands « barons » (noirs?) de la vie politique française sont décentrali­sés dans leurs fiefs locaux, et ils sont plutôt de droite. Problème pour Macron, le hold-up réussi au printemps 2017 avec Gérald Darmanin, Bruno Le Maire et Edouard Philippe était un fusil à un seul coup. Maintenant que le temps est à l’orage, Valérie Pécresse, Xavier Bertrand ou Christian Estrosi prennent leurs distances. Le défi est donc de taille: à défaut de trouver un nouveau Blanquer, le seul ministre issu de la société civile qui a trouvé sa légitimité (car il venait lui-même de l’Éducation nationale), il lui faut en fabriquer un. À l’image des startups, Emmanuel Macron va devoir « pivoter » son business model et innover pour inventer un personnel politique en ligne avec son projet pour la France. Bref, arrêter de faire de l’« Ancien Monde » avec l’ancien personnel politique et s’aligner enfin avec sa promesse de renouvelle­ment et de rajeunisse­ment. Après tout, il est l’exemple incarné que cela peut parfois marcher.

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