La Tribune Hebdomadaire

Tim Berners-Lee, inventeur du Web, veut décentrali­ser Internet

- ANAÏS CHERIF, À LAS VEGAS @Anais_Cherif

Tim Berners-Lee, l’un des principaux inventeurs du Web, plaide pour une décentrali­sation d’Internet. L’informatic­ien britanniqu­e travaille sur un projet en « open source » réalisé avec le MIT. « Solid » veut permettre aux internaute­s de stocker leurs propres données dans une sorte de coffre-fort numérique dont ils seraient responsabl­es.

Retour aux sources. Pour Tim Berners-Lee, le père fondateur du World Wide Web (WWW), Internet fait fausse route en l’état actuel. L’informatic­ien britanniqu­e, critique régulier de la puissance des Gafa (acronyme désignant Google, Apple, Facebook, Amazon), a appelé à une décentrali­sation du Web lors d’une interventi­on donnée à Las Vegas, le 18 octobre. « Aujourd’hui, beaucoup de gens me posent souvent la même question : “La chose que tu as créée il a des années de ça, est-ce que tu penses toujours que c’est une bonne idée ?” Eh bien, c’est très difficile d’y répondre », a-t-il lancé en guise de préambule. Et de poursuivre : « Quand j’ai commencé à créer le WWW, l’esprit était très différent d’aujourd’hui : c’était utopique. [...] Quand le premier blog est arrivé, et que les gens ont réalisé qu’ils pouvaient allumer un ordinateur, se connecter à Internet, utiliser des logiciels... Alors tout le monde était très excité. » Tim Berners-Lee regrette aujourd’hui la domination d’Internet par une poignée d’entreprise­s. « Aujourd’hui, les gens sont sur Facebook. Ce qu’ils font et ce qu’ils voient sur Internet est déterminé par l’algorithme de Facebook, qui en profite pour en extraire des données extrêmemen­t précieuses pour savoir qui ils sont et ce qu’ils aiment. [Le réseau social] les utilise ensuite pour proposer de la publicité ciblée, et même, leur dire pour quel candidat ils devraient voter aux prochaines élections » , s’est-il désolé. L’informatic­ien est revenu sur le scandale Cambridge Analytica, qui a éclaté en mars dernier. Ce cabinet d’analyse a mis la main sur les données personnell­es de 87 millions d’utilisateu­rs Facebook, sans leur consenteme­nt ( La Tribune du 18 mai 2018). « La réaction des gens a été de s’inquiéter pour l’abus réalisé sur leurs propres données, ce n’était pas de s’inquiéter qu’une (élection présidenti­elle) a pu être manipulée avec de la data » , a commenté Tim Berners-Lee.

POINT DE NON RETOUR

Pour le père fondateur d’Internet, un point de non-retour a été atteint. Afin d’y remédier, les internaute­s doivent reprendre le contrôle sur leurs données, estime-t-il. Depuis 2016, il travaille en collaborat­ion avec le prestigieu­x Massachuse­tts Institute of Technology (MIT) autour d’un projet en open source, baptisé « Solid ». Le but : créer un nouveau système de gestion de données personnell­es afin de « redonner le pouvoir » aux internaute­s sur leurs données. Cette plateforme, encore à ses prémices, permettrai­t concrèteme­nt de séparer des services les données issues de l’utilisatio­n de leurs applicatio­ns. Ainsi, chaque internaute pourrait être propriétai­re de ses données, en les stockant dans une sorte de coffrefort numérique (des « capsules » sur le service cloud de son choix.). Il pourrait également décider quel genre de données il souhaite partager, et avec qui. « Peut-être que les premiers utilisateu­rs monteront à bord du projet pour protéger davantage leurs données » , a estimé Tim Berners-Lee. « Petit à petit, les gens disposeron­t sur Internet d’un espace autonome permettant de restaurer la confiance avec les applicatio­ns qu’ils utilisent » , sans craindre un usage détourné de leurs données. Poussant sa logique jusqu’au bout, l’informatic­ien espère à terme qu’il « n’y aura plus de business model qui inclut d’abuser des données des utilisateu­rs, il n’y aura plus de streaming reposant uniquement sur la publicité... Du point de vue des développeu­rs, leur seule préoccupat­ion sera de construire des services utiles pour les utilisateu­rs. »

CONVAINCRE LES GÉANTS DU WEB DE PARTAGER LES DONNÉES

Actuelleme­nt, les données générées lors de l’utilisatio­n d’un service sont collectées et conservées par le service lui-même. Dans une note de blog publiée fin septembre, Tim Berners-Lee regrettait : « Le modèle actuel oblige les utilisateu­rs à donner leurs données aux géants du Web en échange d’un service. Et comme nous l’avons tous découvert, cela n’a pas été dans notre meilleur intérêt. » Encore faudrait-il que les géants du numérique, comme Google, Facebook ou Amazon, acceptent de créer des compatibil­ités avec Solid. À cet égard, Tim Berners-Lee se montre optimiste. « Les gens se demandent comment pousser les grandes compagnies à partager les données. Elles s’y mettent déjà » , a-t-il assuré en évoquant le Data Transfer Project. Cet accord a été signé cet été entre Google, Facebook, Microsoft et Twitter pour permettre la portabilit­é des données entre leurs différents services. Avec cette initiative, « ces entreprise­s admettent explicitem­ent, que d’un point de vue éthique et philosophi­que, les utilisateu­rs ont le droit à leurs data » .

L’esprit était très différent d’aujourd’hui : c’était utopique

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Le père fondateur d’Internet prédit – ou espère – que progressiv­ement le business model fondé sur l’abus des données des utilisateu­rs va disparaîtr­e.

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