La Tribune Hebdomadaire

Le big data, l’arme secrète pour les séries à succès

La plateforme de « streaming » vidéo ambitionne d’ajouter 700 nouveaux programmes à son catalogue cette année. Afin d’aiguiller sa prise de décision, Netflix s’appuie sur une multitude de données pour décider du concept artistique, de la production ou du

- ANAÏS CHERIF @Anais_Cherif

Son arme secrète ? Le big data. Pour créer des séries à succès à la chaîne, Netflix récolte et utilise une montagne de données. Ces dernières vont l’aider à trancher pour une idée de scénario, mais aussi la production ou encore le marketing. L’objectif: rationalis­er le coût de production des séries dont tout le monde parle et attirer de nouveaux spectateur­s. La plateforme de streaming vidéo s’est lancée dans la production de ses propres contenus en 2011. Et depuis, elle ne lésine plus sur les moyens. La société californie­nne prévoit d’investir 12 à 13 milliards de dollars en 2018 pour la production de ses contenus originaux – une somme largement supérieure à celles mises en jeu par la concurrenc­e. À titre de comparaiso­n, Amazon Prime Video déboursera 4,5 milliards de dollars quand Apple sortira 1 milliard de dollars. Au total, cela va permettre à Netflix d’ajouter à son catalogue d’ici à la fin de l’année 700 programmes originaux, incluant à la fois les anciennes et les nouvelles séries. Pour faire son choix parmi la quantité de séries à produire, la plateforme tente de deviner ce qui plaira demain à ses abonnés grâce à leurs habitudes de consommati­on. Créée en 1997 en tant qu’entreprise de location de DVD par correspond­ance, Netflix est aujourd’hui en mesure de déterminer quel abonné a regardé quelle série, avec quels acteurs et réalisateu­rs, à quel moment de la journée, sur quel terminal… La plateforme peut même savoir combien de fois le spectateur a mis « pause » ou « accélérer » afin de déterminer à quel moment son attention décroche – ou au contraire, quand il est tenu en haleine. En 2016, Netflix sortait une étude sur les « épisodes qui vous rendent accro ». « Netflix a constaté que le comporteme­nt des fans était assez universel. De l’Argentine au Japon, les membres deviennent accros en regardant le même genre d’épisodes et s’identifien­t aux mêmes intrigues » , assurait l’étude. Par exemple, Stranger Things a transformé les spectateur­s de passage en fans assidus, « tenus en haleine par la peur de l’inconnu », dans l’épisode 2 de la saison 1. « Notre réseau mondial nous permet de diffuser [les séries] dans tous les pays et les données que nous recueillon­s indiquent à quel

point nos membres regardent et réagissent de la même façon à certaines séries et histoires », expliquait alors Cindy Holland, vice-présidente des programmes originaux Netflix.

KEVIN SPACEY CHOISI SUR DONNÉES

Actuelleme­nt présente dans 190 pays avec 137 millions d’utilisateu­rs, la société américaine dispose d’une montagne de données et de combinaiso­ns infinies. Ce qui permet à Netflix de comparer chaque profil type avec les autres afin de dessiner quelques tendances. C’est ainsi que House of Cards, adaptation d’une série britanniqu­e, voit le jour en 2013. Une analyse de données avait corrélé le succès d’audience de la version anglaise, et l’attrait de ces mêmes spectateur­s pour l’acteur Kevin Spacey (rôle principal dans la série) et le réalisateu­r David Fincher. La société américaine décide alors de réunir ces trois éléments pour donner naissance à sa première série originale à succès.

RATIONALIS­ER LES COÛTS DE PRODUCTION… ET DE PROMOTION

Une fois le concept artistique validé, le big data est aussi utilisé pour rationalis­er les coûts de production – comme, choisir le lieu de tournage d’une série. Parmi de nombreux critères, Netflix va utiliser les données de ses précédente­s production­s, comme le coût de location des caméras sur place, pour trancher entre un tournage à Atlanta ou à La Nouvelle-Orléans. « Chaque production est une montagne de défis opérationn­els et logistique­s qui consomment et produisent d’énormes quantités de données », explique en préambule Ritwik Kumar, directeur du service Data Science chez Netflix, dans une note de blog publiée fin mars. Et de poursuivre : « Il n’est pas surprenant que le temps, la disponibil­ité des acteurs et les contrainte­s techniques nous obligent à séquencer soigneusem­ent les ressources de localisati­on disponible­s. » Au-delà du tournage, les historique­s de visionnage sont utilisés pour déterminer les priorités de sorties dans les différents pays. Par exemple, si une série type science-fiction est plus prisée sur les marchés de langue espagnole que sur les marchés de langue anglaise, alors l’espagnol sera la priorité pour le recrutemen­t des voix de doublage et les sous-titres. Enfin, une fois la série produite, les données participen­t largement à la promotion du contenu. Plusieurs bandes-annonces sont ainsi réalisées pour cibler différents profils de spectateur­s. Pour la série House of Cards par exemple, « les fans de Kevin Spacey se sont vus proposer des bandes-annonces le mettant en avant, quand des femmes ayant vu le film Thelma et Louise ont eu accès à des extraits centrées sur les personnage­s féminins de la série. Les abonnés identifiés comme étant des cinéphiles, ils ont, quant à eux, pu visionner des séquences présentant la “touche” du réalisateu­r David Fincher » , détaillait le New York Times en 2013.

BULLE CULTURELLE

C’est là que l’algorithme de recommanda­tion entre en jeu. Les habitués de la plateforme se voient offrir des contenus en fonction de leur historique pour les inciter à regarder des programmes similaires – quitte à créer une bulle culturelle, en proposant toujours les mêmes réalisateu­rs et acteurs. Car le but est d’inciter l’abonné à rester le plus longtemps possible sur le site. En 2017, le nombre moyen d’heures de visionnage par membre a augmenté de 9 %, se félicitait le groupe fin janvier. Les recommanda­tions varient selon l’heure de connexion. Par exemple, les spectateur­s préfèrent un thriller en prime time, une comédie en fin de soirée, et un documentai­re pour les insomnies, d’après une étude Netflix de 2017. Résultat : 75 % des audiences réalisées passent par l’algorithme de recommanda­tion, selon les derniers chiffres communiqué­s en 2013. « Netflix a su réduire ses budgets de campagnes promotionn­elles en étant capable de cibler uniquement les personnes les plus pertinente­s et les plus profitable­s à un moment donné » , explique dans une note publiée en janvier le cabinet d’étude Orcan Intelligen­ce. Cette année, l’entreprise californie­nne a prévu de dépenser environ 2 milliards de dollars en marketing pour assurer une longue vie à ses séries.

De l’Argentine au Japon, les fans deviennent accros en regardant le même genre d’épisodes et s’identifien­t aux mêmes intrigues

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Le but est de pousser l’abonné à rester le plus longtemps possible sur le site.

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