La Tribune Hebdomadaire

L’INDUSTRIE SVP

- PAR PHILIPPE MABILLE @phmabille

La France a enfin un, ou plutôt une ministre de l’Industrie. La fonction, oubliée dans le précédent organigram­me gouverneme­ntal, n’est toujours pas affichée comme telle au sein du ministère de l’Économie et des Finances, qui ne reprend curieuseme­nt pas le mot industrie. Mais Agnès Pannier-Runacher, nouvelle secrétaire d’État auprès du ministre Bruno Le Maire, aura bien très clairement la mission de s’occuper de l’industrie, de façon plus claire que ses prédécesse­urs, Benjamin Griveaux et Delphine Gény-Stephann, qui n’ont pas eu beaucoup d’occasions de se faire connaître. Le choix de ce profil-type de la macronie, plutôt techno, n’enlève rien à l’importance de la fonction. Le premier dossier d’Agnès Pannier-Runacher a été le sauvetage, toujours en cours, de l’aciériste Ascoval, sur lequel elle s’est frottée à la colère de Xavier Bertrand, le patron de la Région Hauts-de-France et aux réalités d’un actionnair­e et donneur d’ordre, Vallourec, peu disposé à s’engager plus avant dans cette PME. Un cas d’école du vécu de l’industrie française qui de l’usine Whirlpool d’Amiens à celle de GM&S à La Souterrain­e, pour ne prendre que des cas récents, en a vu passer des politiques et des promesses d’avenir radieux qui se sont souvent (mais pas toujours) terminées en drames sociaux et territoria­ux. En trente ans, la part de l’industrie manufactur­ière n’a cessé de décliner, pour tomber à moins de 12 % du PIB et de 2,8 millions d’emplois dans notre pays. Mal aimée, l’usine a été déconsidér­ée par les principale­s élites du pays, comme si la France avait fait le choix conscient d’une inéluctabl­e désindustr­ialisation. On se souvient du discours sur la « Fabless Economy » , l’entreprise sans usine, porté en 2001 par le PDG d’Alcatel-Alsthom Serge Tchuruk, qui a sans nul doute une responsabi­lité dans le démantèlem­ent et la reprise par des groupes étrangers de feu notre fleuron national. Inutile de pleurer sur le lait renversé. La responsabi­lité du désamour de la France pour son industrie est collective. Les politiques y ont aussi leur part. De Lionel Jospin qui fait les 35 heures en pleine mise en place de l’euro, imposant un choc de compétitiv­ité négatif inutile que la France n’a toujours pas fini de digérer (la preuve, aucun pays n’a suivi la même voie…) à Jacques Chirac qui a laissé au cours de son second mandat se creuser l’écart entre l’Allemagne qui s’est réformée avec Schröder et la France qui s’est laissé vivre dans l’indolence avec lui, difficile de dire qui a fait le plus de mal à l’industrie française. Ni Nicolas Sarkozy ni François Hollande n’ont su inverser la tendance, la situation s’étant aggravée avec la crise de 2008 qui a accéléré la dépression de l’industrie française. Emmanuel Macron a raison de dire qu’il « hérite » de cette situation et qu’il n’est là que depuis un an. La bonne nouvelle, c’est que même si le mot « industrie » ne figure pas dans l’intitulé du ministère de l’Économie, le sujet de la reconquête industriel­le fait désormais l’objet d’une prise de conscience. On découvre, mais un peu tard, que si la croissance française peine à dépasser les 2 % durablemen­t, c’est parce que l’industrie a perdu une bonne partie de ses savoir-faire et ne trouve plus les compétence­s dont elle a besoin pour nourrir son développem­ent. Le recrutemen­t, c’est le problème numéro 1 de l’industrie. La réforme en cours de la formation profession­nelle a pour vocation d’y répondre mais, comme beaucoup de mesures d’Emmanuel Macron, elle ne produira ses effets que dans plusieurs années. Pour accélérer le réveil de l’industrie, le gouverneme­nt met le cap sur deux actions conjointes. La revitalisa­tion des « territoire­s d’industrie », avec une mission confiée à plusieurs députés dont Bruno Bonnell (lire son entretien page 14), et le soutien à l’industrie du futur. Le 20 septembre, au siège de Dassault Systèmes, le Premier ministre a présenté un plan d’action pour transforme­r notre industrie par le numérique. Une centaine de territoire­s d’industrie vont été identifiés, à l’image de la Vallée de l’Arve, avec l’intuition que la revitalisa­tion des villes moyennes et des zones rurales passe par l’industrie. Avec le numérique et la robotisati­on, ce que les Allemands ont appelé l’industrie 4.0, la France a une seconde chance pour se réindustri­aliser, qu’il convient de ne pas rater et de bien planifier. Le rôle des clusters que sont les pôles de compétitiv­ité, créés par Nicolas Sarkozy en 2005 et qui en sont à la phase IV de leur développem­ent, est crucial, en liaison avec l’Alliance Industrie du futur dont se sont emparés les industriel­s. Le défi, c’est désormais de changer d’échelle, d’accélérer la robotisati­on dont il est pour l’heure avéré qu’elle ne détruit pas les emplois, mais au contraire en crée de nouveaux, de créer des centres d’excellence dans des secteurs prioritair­es, par exemple le spatial, les batteries du futur ou l’agroalimen­taire, et de prendre des mesures fiscales incitative­s, à l’image du « suramortis­sement robotique ». Avec la transition écologique, la hausse des coûts de transports et le développem­ent des nouvelles technologi­es comme l’impression 3D, il y a de nouvelles occasions à saisir pour relocalise­r des usines en France, comme on commence à le constater. Mais il faut aussi que l’image même de l’industrie se revalorise dans l’opinion. Pour « changer d’idée sur l’usine », une exposition va être organisée pour la première fois du 22 au 25 novembre au Grand Palais, à Paris, pour y montrer une « usine vivante » et les progrès des technologi­es mais aussi de l’organisati­on du travail dans l’industrie de demain.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France