La Tribune Hebdomadaire

Il y a dix ans, la naissance du bitcoin

- DELPHINE CUNY @DelphineCu­ny

Le 31 octobre 2008, le mystérieux Satoshi Nakamoto publiait son livre blanc sur le bitcoin, présenté comme un système de paiement électroniq­ue pair à pair. Les tout premiers bitcoins seront émis quelques semaines plus tard, le 3 janvier 2009. Un texte également fondateur pour la technologi­e « blockchain » et le début d’une aventure tumultueus­e.

Bitcoin : un système pair à pair de cash électroniq­ue » : le 31 octobre 2008, un certain Satoshi Nakamoto, à l’identité incertaine – sans doute un collectif d’experts –, publie sous ce titre un livre blanc sur un site, bitcoin.org, qu’il partage avec un petit cercle d’initiés, une liste d’emails de cryptograp­hes. Ce texte fondateur de neuf pages (qui existe en version française) décrit à la fois une monnaie numérique et la technologi­e pour la produire et la transférer, la blockchain, « une chaîne de signatures électroniq­ues » : il est considéré comme l’acte de naissance du bitcoin, qui restera réservé à quelques geeks pendant plusieurs années. Les premiers bitcoins seront émis le 3 janvier 2009. Dans ce tout premier bloc de transactio­n de la blockchain bitcoin, appelé « Bloc Genesis », le fondateur a inséré une suite de chiffres et le titre d’un article du Times, sans doute guère fortuit dans le contexte de crise financière et de défiance à l’égard des institutio­ns : « The Times 03/ Jan/2009 Chancellor on brink of second bailout for banks » (« Le ministre britanniqu­e des Finances sur le point de lancer un deuxième plan de sauvetage des banques », en français). La première transactio­n aura lieu neuf jours plus tard, entre Satoshi Nakamoto et Hal Finney [un cryptograp­he, décédé en 2014, ndlr]. L’ambition du fondateur est de permettre à tous d’échanger de la valeur sur Internet, directemen­t de pair à pair, sans intermédia­ire de confiance, grâce à un protocole cryptograp­hique libre de droit. « Il prétendait être un Japonais de 37 ans qui aurait travaillé sur ce projet depuis 2007. Le 3 janvier 2009, il sortit la première version du logiciel de bitcoin et en créa les premières unités, à raison de 50 bitcoins toutes les dix minutes, largement pour lui seul durant quelque temps », racontent Jacques Favier, Benoît Huguet et Adli Takkal Bataille dans Bitcoin métamorpho­ses ( éd. Dunod). Plus de 17 millions de bitcoins ont déjà été émis. Le plafond de 21 millions, fixé à la création de la cryptomonn­aie, doit être atteint en 2140.

UN MYTHE FONDATEUR

L’absence de créateur bien identifié constitue « un bon mythe fondateur », observent les auteurs de Bitcoin métamorpho­ses. Et « le fait que le magot de près de 1 million de bitcoins accumulé au commenceme­nt par le créateur soit resté intact depuis l’origine accrédite diverses rumeurs » : Satoshi Nakomoto serait mort ou la clé pour accéder à ces bitcoins aurait été partagée entre plusieurs personnes, puis aurait disparu ou aurait été perdue en partie. Satoshi Nakomoto a ensuite annoncé son retrait du projet, le 12 décembre 2010. Le livre blanc du bitcoin s’inscrit dans une longue histoire faite de tâtonnemen­ts pour créer une nouvelle monnaie électroniq­ue et anonyme, et a réussi la synthèse de plusieurs technologi­es. Il est l’héritier du projet d’ecash de David Chaum dès 1983, du système de Hashcash (preuve de travail) d’Adam Back dès 1997, de la B-money de Wei Dai en 1998, du bitgold de Nick Szabo en 2005. « Le protocole Bitcoin [ avec une majuscule, pour le distinguer du jeton numérique et monétaire “bitcoin”] est révolution­naire : par une intégratio­n extraordin­airement ingénieuse de plusieurs technologi­es ( blockchain, cryptograp­hie asymétriqu­e, réseau pair à pair, minage par la preuve de travail), il permet, pour la première fois, de faire fonctionne­r un réseau où des transferts de valeur sont possibles de manière décentrali­sée, sans validation par un tiers de confiance et sans risque de censure » , écrivent Yorick de Mombynes et Gonzague Grandval, de l’Institut Sapiens, dans leur rapport « Bitcoin, totem et tabou ».

SCANDALES, CRISES ET SPÉCULATIO­NS

L’intérêt pour le bitcoin n’a commencé à décoller que vers 2011, année où il atteint la parité avec le dollar. « Nul n’a acheté de bitcoin en 2009, et rarissimes sont ceux qui le firent en 2010. C’était un jeu entre quelques dizaines de geeks » , soulignent les auteurs de Bitcoin métamorpho­ses. Beaucoup ont d’ailleurs perdu leurs jetons, jugés à l’époque sans valeur, laissés dans des disques durs envoyés à la décharge… Plusieurs études ont estimé à près de 4 millions le nombre de bitcoins perdus à jamais. Les premières années du bitcoin ont été marquées par une série de scandales, comme la chute en 2013 de la plateforme du Dark Net Silkroad, où se vendaient toutes sortes de produits illicites, dont une partie payée en bitcoins. Puis l’effondreme­nt de Mt.Gox, plateforme japonaise où se faisaient 70% des volumes d’échanges sur le bitcoin en 2013, qui fit faillite après un piratage l’année suivante. S’ensuit une dégringola­de du cours. Dans le même temps, avec la crise chypriote, puis la crise grecque, la notoriété du bitcoin, perçu comme une alternativ­e dans cette période de défiance à l’encontre de la monnaie et des banques, grandit. En 2014, la curiosité pour l’ovni bitcoin devient mondiale. La chaîne de magasins Monoprix annonce même la considérer comme un moyen de paiement! Avant d’y renoncer quelques mois plus tard. L’éditeur de jeux en ligne Zynga l’accepte, tout comme Microsoft et Dell. Le nombre de commerçant­s prenant les paiements en bitcoin ne cesse d’augmenter, aux ÉtatsUnis et au Japon. Bien que décriée par des banquiers, comme Jamie Dimon de JP Morgan qui la traite d’« arnaque », et des Prix Nobel, comme Jean Tirole qui dénonce une « pure bulle », la cryptomonn­aie connaît un tournant décisif en 2017. Les spéculateu­rs s’intéressen­t de près à cet actif à l’essor quasi constant. Le cours du bitcoin f l a mbe. Cotant légèrement sous les 1 000 dollars le 1er janvier, la cryptomonn­aie enregistre une progressio­n fulgurante : son cours est presque multiplié par 20, propulsé à 19 511 dollars le 18 décembre, son record absolu, selon des chiffres agglomérés par Bloomberg. La chute sera ensuite tout aussi vertigineu­se. Le cours a été divisé par trois depuis son pic : sa capitalisa­tion est retombée à 109 milliards de dollars, mais elle reste la première des cryptomonn­aies (il en existe plus de 1700) et de très loin. Les volumes d’échanges ont également énormément dégonflé, à environ 27 milliards de dollars par mois contre dix fois plus en décembre dernier, et même 34 milliards en octobre 2017, selon des chiffres du cabinet Diar. Chaque nouvelle annonce ou rumeur d’une réglementa­tion plus stricte ou plus souple à travers le monde continue de dicter les soubresaut­s du bitcoin. Selon le cofondateu­r de la plateforme d’échanges Coinbase, Brian Armstrong, environ 40 millions de personnes dans le monde posséderai­ent des cryptomonn­aies (on dit désormais plutôt « crypto-actifs »). La première reste sans conteste le bitcoin.

C’était un jeu entre quelques geeks

 ??  ?? Plus de 17 millions de bitcoins ont été émis en dix ans. Le plafond initial de 21 millions d’unités doit être atteint en 2140.
Plus de 17 millions de bitcoins ont été émis en dix ans. Le plafond initial de 21 millions d’unités doit être atteint en 2140.

Newspapers in French

Newspapers from France