La Tribune Hebdomadaire

« Tout entreprene­ur doit sortir de la zone francophon­e »

S’il n’y a que l’Atlantique à traverser pour entreprend­re au Canada, au dynamisme économique si séduisant, l’ambassadri­ce du Canada en France, Isabelle Hudon, met toutefois en garde : comprendre la culture nord-américaine et s’y adapter constituen­t une ét

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LA TRIBUNE - Le Canada compte une large communauté d’entreprene­urs. Quelle est la singularit­é de son esprit d’entreprend­re ? Le droit au rebond est une dimension qui imprègne l’esprit d’entreprend­re. Il s’agit d’une grande différence avec la France qui, chez nous, est bien comprise et valorisée. Plus généraleme­nt, l’esprit d’entreprend­re se caractéris­e par la passion, le courage, la créativité, et enfin la déterminat­ion. Entreprend­re imprègne la culture canadienne à tous les niveaux, néanmoins ce constat est relativeme­nt récent au Québec. Soixante ans en arrière, cet esprit était davantage occupé par la communauté anglophone qui irriguait la société. Depuis, les francophon­es ont repris le « pouvoir » en créant une culture, des structures, des réseaux afin de porter haut les couleurs de l’esprit d’entreprend­re. De plus, le savoir-vivre et le vivre-ensemble sont deux facteurs d’attractivi­té qui ont construit l’identité canadienne. C’est-à-dire ? 30 % de la population canadienne n’est pas née sur le territoire, donc le pays est naturellem­ent plus ouvert sur le monde. Nous choisisson­s notre immigratio­n suivant nos besoins économique­s, une stratégie clairement définie. Sur la question des réfugiés, le traitement est différent puisque le gouverneme­nt prend des décisions en fonction des crises. Ainsi, en trois mois, nous avons accueilli 40 000 réfugiés syriens. Notre culture de l’accueil transpire à tous les niveaux de la société, ce qui, en affaire, fait la différence. Ainsi, nous n’avons pas de seigneurie, les relations profession­nelles sont plus amicales, plus directes et moins tamisées qu’en France. Entre patron et salarié, la hiérarchie est aplanie, ce qui conduit à une plus grande liberté de parole et peut accélérer la prise de décision. Un choc des cultures qui peut surprendre un Français à son arrivée. Ce dernier va naturellem­ent se tourner vers le Québec pour investir, s’implanter, entreprend­re. Mais, avec l’argument de la langue commune, serait-ce une erreur de penser qu’entreprend­re est plus facile au Québec qu’en France ? Il s’agit de l’erreur la plus fréquente, mais c’est la même chose pour un Canadien s’installant en France. Si la langue est commune entre nos deux pays, la culture est loin d’être semblable. Nous avons chacun nos différence­s, et en affaire, c’est encore plus visible. Les règles sont différente­s, en particulie­r les règles financière­s. Il faut d’abord connaître, apprendre, analyser finement pour être conscient des façons de faire afin d’en adapter, ensuite, les comporteme­nts. Le Québec reste néanmoins un lieu naturel pour un Français. Toutefois, tout entreprene­ur doit s’obliger à sortir de la zone francophon­e, investir ailleurs: en Ontario (en pleine croissance), en Colombie-Britanniqu­e (avec un marché tourné vers l’Asie), ou sur le territoire des Prairies. Le climat économique canadien est sain, la croissance est là, l’enrichisse­ment intellectu­el aussi, la main-d’oeuvre qualifiée est présente et le réseau universita­ire est très bien tricoté avec le milieu de l’entreprise, ce qui offre un écosystème favorable. De plus, le marché ne touche pas 40 millions de consommate­urs, mais 500 millions puisque le Canada est une porte d’entrée sur l’Amérique, comme la France l’est avec l’Europe. La mise en oeuvre du Ceta (l’accord économique et commercial global) depuis un an représente­t-elle un argument supplément­aire pour attirer les entreprene­urs ? Il a montré toute sa légitimité en tout cas. Le Ceta est un dispositif commercial important qui invite nos deux pays à réaliser davantage d’échanges commerciau­x, de plus, il est un argument d’investisse­ment. Nous constatons que depuis sa mise en place, la France en a plus bénéficié que le Canada. Avant d’occuper le poste d’ambassadri­ce, vous avez connu le monde de l’entreprise et des grands groupes. Ces expérience­s vous inspirent-elles au quotidien dans votre rôle politique ? Je me considère davantage comme une intraprene­ure que comme une entreprene­ure. Ce qui me donne l’assurance de ne pas me perdre, aujourd’hui, dans mes nouvelles fonctions politiques. Ses expérience­s dans le milieu de l’entreprise m’ont ainsi apporté l’amour de faire grandir et rassembler des équipes. Ce que j’essaie d’entreprend­re au quotidien en inculquant l’idée de ne pas avoir peur d’avoir peur. C’est ainsi que l’on crée moins d’incertitud­es. n Propos recueillis par R. Charbonnie­r

ISABELLE HUDON AMBASSADRI­CE DU CANADA EN FRANCE

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