La Tribune Hebdomadaire

PAS DE MORATOIRE

POUR LE RÉCHAUFFEM­ENT CLIMATIQUE

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

« Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve. » La formule, empruntée au poète romantique allemand Friedrich Hölderlin, entre en résonance avec l’actualité de ces dernières semaines, tant en France avec la crise des « gilets jaunes » que dans le monde où l’alarme environnem­entale sonne de plus en plus fort alors que s’est ouverte la 24e conférence de l’ONU sur le climat à Katowice, en Pologne. Le péril, en France, est politique et social plus que climatique. En trois samedis de mobilisati­on, depuis le 17 novembre, le pays se trouve plongé dans sa crise la plus grave depuis les événements de 1968, avec une escalade de la violence qui tétanise un monde politique complèteme­nt dépassé, et stupéfie le monde. Comment en est-on arrivé là ? Comment la France, dont on vantait depuis mai 2017 le retour sur le devant de la scène internatio­nale, avec un jeune président moderne et charismati­que, en est-elle venue à cette situation de blocage avec des scènes de guerre civile dans certains quartiers de Paris, un président de la République conspué par une partie de la population, des bâtiments publics incendiés ? Beaucoup a déjà été dit et écrit sur ce qui ressemble à une sorte de burn-out généralisé de la société française, qui s’est cristallis­é sur un déclencheu­r, le prix à la pompe, mais qui manifeste en réalité un malaise très ancien et très profond. La géographie des « gilets jaunes » peut aider à comprendre : c’est la fameuse « diagonale du vide », qui va des Ardennes au Sud-Ouest, et plus globalemen­t, la France des territoire­s oubliés, qui se révolte en se rendant brusquemen­t visible aux yeux de tous. Le gilet jaune, c’est une métaphore, un SOS qui veut montrer une situation d’urgence absolue, que les « élites » ont refusé de voir pendant trop longtemps. Après avoir tardé à prendre la mesure de la gravité de la situation, Emmanuel Macron a enfin commencé à adresser des signes d’apaisement. Trop peu, trop tard ? Le moratoire de six mois annoncé cette semaine par le Premier ministre sur toutes les hausses des prix de l’énergie et la promesse d’une concertati­on dans tous les territoire­s sur les mobilités sont jugés insuffisan­ts par les « représenta­nts » des « gilets jaunes », convaincus qu’il faut profiter de ce rapport de force pour réclamer des changement­s plus profonds. Le gouverneme­nt a déjà concédé une hausse de 3 % du smic au 1er janvier (dont 1,8 % pour l’indexation), ouvert la porte au rétablisse­ment de l’ISF… Jusqu’où Emmanuel Macron devra-t-il reculer? Est-il même encore en mesure d’appliquer son programme, qui prévoyait des réformes structurel­les majeures, de l’assurance-chômage, des retraites? Sommes-nous encore en démocratie quand des « gilets jaunes » modérés, prêts à négocier, se voient menacés de mort par des « enragés », déterminés à faire chuter le pouvoir, voire le régime? Comment arrêter un tel cercle vicieux ? Nul ne le sait. Ce qui est sûr, c’est que pour faire rentrer chez eux les « gilets jaunes », il faut qu’Emmanuel Macron fasse un geste fort, afin que la « démocratie des rondspoint­s » revienne dans le jeu normal des institutio­ns. Par une pirouette de l’histoire, cette crise politique survient dans le pays organisate­ur de l’accord de Paris sur le climat, au moment où l’urgence climatique atteint des proportion­s là aussi inédites. Bien sûr, la France n’est pas, et de loin, le pays le plus pollueur de la planète. Avec moins de 1 % des émissions de CO2, c’est même, grâce au nucléaire, un bon élève, même si la France ne respecte pas ellemême les engagement­s pris lors de la COP21, comme la majorité des autres pays d’ailleurs. Bien sûr, on peut faire un moratoire sur la taxe carbone, qui n’est pas comprise par la population, mais on ne peut pas faire de moratoire sur le réchauffem­ent climatique. 2018 sera la quatrième année la plus chaude de l’histoire et les scientifiq­ues ont démontré que le monde entre désormais dans l’engrenage qui peut rendre la situation incontrôla­ble, avec un réchauffem­ent qui dépassera les 2 °C fixés lors de la COP21. Que faire alors face à ces deux périls jumeaux? Si la crise sociale interdit de résoudre la crise écologique, c’est l’échec assuré pour la transition énergétiqu­e. Et si la crise écologique provoque une explosion sociale, quel sera l’avenir de nos démocratie­s? Et pourtant, il faut rester optimiste. C’est la conviction exprimée dans ce numéro par Bertrand Piccard, auteur avec le pilote André Borschberg du premier tour du monde en avion solaire complèteme­nt autonome. La rédaction de La Tribune a reçu l’aéronaute suisse pendant une matinée jeudi 15 novembre pour préparer avec lui ce numéro spécial publié au coeur de la COP24. Du très long entretien qu’il nous a accordé, retenons deux idées fortes : d’abord, la lutte contre le réchauffem­ent climatique ne pourra pas réussir si elle est punitive et restreint notre pouvoir d’achat et nos libertés. Bertrand Piccard est le militant d’une écologie rentable, qui donne plus qu’elle ne prend : « Il faut parler le langage des gens qu’on veut convaincre, parler croissance, emplois, profits. » Deuxième enseigneme­nt : « Les solutions technologi­ques existent, mais elles ne sont pas assez connues. » Avec la Fondation Solar Impulse, il veut donc identifier 1000 solutions, leur donner un label prouvant leur utilité et réaliser un troisième tour du monde pour les faire connaître. Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve : grâce à la science, grâce aux nouvelles technologi­es, il n’est donc (peut-être) pas trop tard pour sauver la planète.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France