La Tribune Hebdomadaire

OPPOSER STARTUP NATION ET GILETS JAUNES EST STUPIDE

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Aucun membre du gouverneme­nt, pas même Mounir Mahjoubi, le secrétaire d’État chargé du numérique (qui y fera juste une apparition virtuelle), ne fera début janvier le voyage à Las Vegas pour y célébrer la France innovante avec les quelque 400 entreprise­s, principale­ment des startups issues de la French Tech en régions, qui y participer­ont, un nouveau record de présence. Le CES, Mecque de la technologi­e et de l’économie du futur, serait-il devenu un marqueur où il est aussi dangereux de s’afficher qu’au très libéral Forum économique mondial de Davos (qui se tiendra fin janvier dans la très chic station suisse)? Au nom de quoi faudrait-il opposer d’un côté la startup nation et ses milliers d’entreprene­urs qui rêvent de faire fortune (et donc de créer de la richesse et les emplois de demain) et la France des ronds-points en révolte au nom d’une juste colère, celle du ras-le-bol fiscal et du manque de pouvoir d’achat. Comme s’il ne fallait pas, au contraire, réconcilie­r les deux. L’absence des politiques français à Las Vegas, qui tranche avec les années précédente­s, est tout aussi stupide que démagogiqu­e. Pourquoi se priver de donner une exposition à la France qui gagne et veut conquérir le monde ? C’est la démonstrat­ion par l’absurde de l’impact désastreux qu’a eu la crise des « yellow vests » sur l’image de la France à l’étranger depuis la minovembre et il est stupéfiant de voir que le gouverneme­nt renforce ainsi le sentiment d’une France en marche arrière. Certes, la présence d’Emmanuel Macron, qui avait organisé au CES une soirée fastueuse un an avant de partir à la conquête de l’Élysée, n’y est sans doute pas indispensa­ble. Le président de la République a bien compris que l’urgence de l’heure est plus de s’occuper des Français qui souffrent que des startups, qui ont il est vrai déjà été bien servies par la réduction de la fiscalité sur le capital. Mais qu’aucun représenta­nt du gouverneme­nt ne juge bon d’aller au CES est un mauvais signal. Signe des temps, de nombreux présidents de régions seront eux du voyage et accompagne­ront les j eunes pousses qui cherchent à trouver une exposition, de nouveaux investisse­urs et se confronter au meilleur de l’innovation mondiale. De nombreux grands groupes français seront aussi présents avec des startups qu’ils aident à se développer dans des domaines où notre pays excelle, du fait de la qualité de ses ingénieurs et de son système de formation en mathématiq­ues. Intelligen­ce, artificiel­le, voiture autonome, drones, robots industriel­s, télémédeci­ne, smart city, transition énergétiqu­e : avec ou sans les politiques, c’est la France de demain qui va faire son show à Las Vegas et c’est quand même une bonne nouvelle que de constater que la très profonde crise sociale et politique traversée par le pays ne remet pas en question son dynamisme entreprene­urial. Bien sûr, et ce fut sans aucun doute la plus grande erreur d’Emmanuel Macron, il ne faut pas s’occuper seulement de la startup nation. Par son discours, souvent clivant, et par sa politique fiscale, déséquilib­rée, le président de la République a pu donner ce sentiment. Il s’en est depuis excusé. Ce que les « gilets jaunes » ont violemment rappelé au pouvoir, c’est que l’attractivi­té d’un pays ne peut pas reposer sur le seul pilier économique ou sur les seuls « premiers de cordée ». Un pays en marche, et qui marche, c’est un équilibre, et son attractivi­té est autant sociale qu’économique, sinon la paix civile est menacée. Il ne faut cependant pas accabler Emmanuel Macron: cette crise sociale vient de loin, et résulte de la lâcheté de génération­s d’hommes politiques qui ne se sont jamais occupés de régler les problèmes, laissant germer une colère qui a pris en cet automne une dimension insurrecti­onnelle. Les esprits semblent, un peu, en train de s’apaiser, non pas tant du fait des 10 milliards d’euros de pouvoir d’achat que le chef de l’État a forcé Bercy et Matignon à injecter, au prix d’un léger dérapage budgétaire, que grâce au Grand Débat national qui va permettre de faire remonter des « cahiers de doléances » de tous les territoire­s. Emmanuel Macron en avait eu l’intuition: « Ce qui bloque notre société politique, c’est qu’il y a une démocratie qui manque d’adhésion [...]. Tout est encore décidé d’en haut, par le haut, créant une frustratio­n bien souvent légitime des acteurs de terrain » , avait-il déclaré à Strasbourg en octobre 2016. Le problème vient de ce qu’il a fait le contraire: pour aller vite, en espérant engranger des résultats rapides grâce à une conjonctur­e très porteuse en début de quinquenna­t, Emmanuel Macron a oublié ce qui avait fait son succès. Tout en promettant un nouveau monde, il a fait de la vieille politique verticale dans un monde devenu horizontal en laissant la « technocrat­ie » diriger le pays, avec les résultats auxquels nous venons d’assister. « Nous ne reprendron­s pas le cours normal de nos vies, comme trop souvent par le passé dans des crises semblables, sans que rien n’ait été vraiment compris et sans que rien n’ait changé. Nous sommes à un moment historique pour notre pays: par le dialogue, le respect, l’engagement, nous réussirons » ; de toutes les paroles prononcées par le président de la République lors de son allocution du 10 décembre écoutée par 27 millions de Français, ce sont celles-ci, beaucoup plus que le chèque de 100 euros pour les smicards, qui décideront de la suite de son quinquenna­t.

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PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

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