La Tribune Hebdomadaire

SOMMES-NOUS PRÊTS

POUR LA RÉCESSION QUI VIENT ?

- PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Il y a tout juste un an, le monde entamait 2018 sur un ton optimiste : accélérati­on synchronis­ée de la croissance sur tous les continents, grâce à une Amérique en plein boom, alignement idéal des planètes avec des taux d’intérêt au plus bas jamais connu, des cours du pétrole stabilisés à un niveau faible, des marchés financiers euphorique­s. Certes, des nuages traversaie­nt l’horizon : risque de guerre commercial­e entre les États-Unis et la Chine, poussée de l’endettemen­t, fragilités dans les pays émergents, crise migratoire, et déjà, inquiétude­s sur la montée des populismes. Mais les milieux d’affaires étaient partout convaincus que dix ans après la crise financière de 2008, qui avait failli tout emporter, l’économie mondiale avait repris le bon chemin. Tout juste élu, un jeune président français de moins de 40 ans, clamait « France is back » devant les participan­ts du Forum économique mondial de Davos, recevait en grande pompe à Versailles les géants mondiaux de l’industrie et du numérique pour les encourager à investir, et vantait ses réformes en faveur de la « startup nation » : suppressio­n de l’ISF, flat-tax sur le capital, baisse programmée de l’impôt sur les sociétés, réforme du marché du travail… On allait voir ce qu’on allait voir avec, enfin, une France acquise aux idées libérales pour une remise en marche conquérant­e ! Et de fait, cette stratégie a commencé à marcher : reprise des créations d’emplois, des projets d’investisse­ment. Las, huit semaines de contestati­on sociale par les « gilets jaunes », d’affronteme­nts violents avec la police au coeur des métropoles, ont transformé le rêve en cauchemar, mis l’économie du pays en panne et fait déchanter les investisse­urs étrangers sur les talents de réformateu­r d’Emmanuel Macron. 2019 commence sur une note nettement plus sombre : l’économie mondiale a commencé à se retourner à partir du printemps 2018 avec des débuts de tensions sur les marchés financiers ; la conjonctur­e industriel­le s’est franchemen­t dégradée cet automne ; le durcisseme­nt de la stratégie « America First » de Donald Trump a tourné à la guerre commercial­e avec la Chine dont la croissance a fortement ralenti, passant pour la première fois sous les 7%, malgré la trêve annoncée. En Europe, la machine exportatri­ce allemande, dont l’industrie, notamment automobile, dépend des marchés américains et chinois, s’est enrayée et a plongé au dernier trimestre. Avec la défaite relative d’Angela Merkel lors des élections législativ­es allemandes en octobre, et la victoire d’une coalition populiste alliant les deux extrêmes en Italie, toute la stratégie française de relance de l’Europe est tombée à l’eau. Et la France elle-même, qui se pensait immunisée, traverse depuis l’automne une révolte inattendue, version gauloise de la crise sociale et démocratiq­ue qui frappe tous les pays occidentau­x. On l’a déjà beaucoup écrit, cette crise des « gilets jaunes » vient de loin et ne se résoudra pas rapidement. Confus et déjà désorganis­é, le « grand débat » promis par Emmanuel Macron risque de tourner au « grand défouloir » et on peut craindre qu’il ne serve qu’à ouvrir un peu plus grand la boîte de Pandore des divisions entre des Français qui ne sont plus d’accord sur rien. Les rodomontad­es entre l’Élysée et Bercy sur la suppressio­n ou non de la taxe d’habitation des 20% des Français les plus aisés donnent l’image d’un bateau ivre avec un exécutif aux abois. Comment mener un tel débat en excluant d’un côté toute remise en cause de la suppressio­n de l’ISF pour les plus riches, tout en suspendant de l’autre le sort de la taxe d’habitation pour les classes moyennes supérieure­s? Emmanuel Macron, qui a déjà perdu le soutien des classes populaires, voudrait-il perdre en plus celui de ses électeurs, les cadres des grandes villes, appelés à être les « cocus » de l’histoire? Le risque est grand d’une crise sans fin : elle ne peut trouver d’issue politique que dans un changement de cap, ce que Macron a exclu – au contraire, il veut accélérer sur l’assurance-chômage, les retraites ou le poids de l’État –, ou dans un retour devant les électeurs, seul moyen de reconquéri­r une légitimité démocratiq­ue. La dissolutio­n de l’Assemblée nationale reste une option, qui laisse ouverte la possible victoire d’une majorité populiste et donc un changement radical de politique. Bref, tout ce contexte est peu propice pour les affaires, avec des entreprise­s et des investisse­urs tétanisés par l’incertitud­e que ce climat entretient sur le niveau des salaires ou des impôts. Plus dangereux encore, cette crise se produit au moment où la France ne dispose plus d’aucune marge de manoeuvre pour y faire face. On l’a vu avec les 10 milliards d’euros du plan d’urgence économique et social de décembre, financés par l’emprunt, donc par les enfants des « gilets jaunes ». Si récession il y a en 2019, les budgets seront en première ligne pour absorber le choc. Or, les pays du nord de l’Europe, Allemagne en tête, seront peu enclins à accepter une nouvelle dérive d’une France que Die Welt voit passer dans la « troisième division », étant le seul pays dont le déficit dépasse 3% du PIB en 2019. Et, même si l’on échappe à la récession annoncée, la France est tout autant piégée, comme l’Italie d’ailleurs, car son budget sera alors contraint par la remontée à venir des taux d’intérêt alors que sa dette va atteindre 100 % du PIB. En résumé, ces « gilets jaunes » pourraient bien occuper l’espace public pour les dix ans qui viennent, tant le malaise est profond entre « le peuple » et « les élites », et tant les réponses aux attentes d’améliorati­on du pouvoir d’achat seront difficiles à satisfaire rapidement.

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