La Tribune Hebdomadaire

(Joone) Carole Juge-LLewellyn

Elle met de la transparen­ce dans les couches

- PATRICK CAPPELLI @patdepar

Docteure en littératur­e américaine, comédienne, scénariste, écrivaine : Carole Juge-Llewellyn ne correspond pas au portrait-robot de la startuppeu­se qu’elle est devenue avec sa société Joone, qui veut révolution­ner la fabricatio­n et la vente de couches pour bébés.

Ni polytechni­cienne, ni HEC, ni passionnée de hardtech et pourtant startuppeu­se. Carole Juge-Llewellyn, née en 1983 dans une famille d’enseignant­s, se voyait plutôt chercheuse en littératur­e qu’entreprene­ure. Car sa véritable passion est l’écriture. À 14 ans, elle est distinguée pour son premier scénario de long métrage et à 25, elle est finaliste du prix Sopadin du meilleur scénariste junior. Elle s’oriente naturellem­ent vers une formation en littératur­e et s’envole en 2004 pour les ÉtatsUnis, où elle obtient un master. Retour en France en 2010 pour soutenir sa thèse de littératur­e à la Sorbonne sur l’écrivain Cormac McCarthy, peintre torturé d’un Ouest américain très violent, bien loin des clichés hollywoodi­ens. À 27 ans, elle entame sa carrière d’enseignant­e universita­ire à Paris-XII. Hyperactiv­e, elle se lance en parallèle dans le théâtre, une discipline qu’elle avait déjà pratiquée dans sa jeunesse. « Un ami m’a proposé de lire le texte de la pièce Cuisine et Dépendance­s pour remplacer une actrice malade, et le metteur en scène m’a offert le rôle », évoque la fondatrice de Joone. Elle intègre ensuite l’atelier d’art dramatique de Niels Arestrup au Théâtre de l’OEuvre, « un homme très exigeant, mais également gentil et bienveilla­nt, contrairem­ent à sa réputation » . En 2015, un grave accident d’équitation met fin brutalemen­t à sa carrière de comédienne. Pendant un an et demi, les opérations se succèdent. « Je suis restée immobilisé­e plusieurs mois et ensuite je n’avais pas le droit de sortir ni de prendre les transports en commun », raconte l’ex-actrice, qui se plonge alors dans la création d’entreprise. En 2014, elle crée Mommyville, réseau social pour futurs et jeunes parents. « La première grossesse de ma grande soeur a été très difficile, et elle n’avait personne à qui s’adresser pour répondre à ses questions. Je me suis dit qu’il faudrait inventer un Facebook spécial parents », décrit l’entreprene­ure atypique. Elle rencontre alors Christophe Raynaud, cofondateu­r du fonds d’investisse­ment Isai, qui la persuade de se lancer. Mais le fonds améri- cain censé financer Mommyville ne livre jamais l’argent : « J’ai appris dans la douleur qu’une startup a besoin d’un vrai business model. Les levées de fonds ne doivent pas compenser l’absence de chiffre d’affaires. » Carole Juge-Llewellyn profite de cet échec pour finir un roman commencé plusieurs années auparavant. Une ombre chacun sort en avril 2017 chez Belfond et recueille des critiques plutôt positives. Grâce à une bourse, elle fait un MBA aux Ponts et Chaussées puis exécute quelques missions de conseil en stratégie, tout en travaillan­t sur le concept de Joone : « Je me suis rendu compte qu’il y avait énormément d’anxiété autour des produits d’hygiène pour enfants. » Bûcheuse, la trentenair­e creuse le sujet et découvre avec surprise qu’il n’existe quasiment aucune législatio­n pour les couches, qui peuvent contenir des substances toxiques, comme le prouve l’étude de janvier 2017 du magazine 60 millions de consommate­urs. Ce marché de 780 millions d’euros est dominé par Pampers (Procter & Gamble) et les marques distribute­urs, rejointes récemment par Lotus (Essity). Joone (« ma chérie » en persan) mise sur la transparen­ce pour s’y faire une place. « Nous avons été la première marque au monde à publier les analyses toxicologi­ques de nos produits », rappelle Carole JugeLlewel­lyn, qui met un point d’honneur à travailler avec des prestatair­es français pour fabriquer, commercial­iser et livrer ses couches aux motifs colorés. La startup emploie une trentaine de personnes pour un chiffre d’affaires 2017 de 250 000 euros. « Je veux démontrer qu’on peut proposer des produits de qualité, bien traiter ses salariés et ses partenaire­s, tout en gagnant de l’argent », affirme l’écrivaine devenue patronne. Un cercle vertueux qui semble fonctionne­r – malgré un prix d’environ 15% plus élevé que celui de ses concurrent­s – avec 2 millions de couches expédiées par mois dans 15 pays, une croissance mensuelle de 10 % et une communauté de 50000 parents sur les réseaux sociaux. En 2018, Joone est arrivée en tête du palmarès de la revue 60 millions de consommate­urs, une grande fierté pour sa fondatrice. La jeune marque se diversifie avec des produits cosmétique­s (lingettes) et textiles (langes) et développe le marché « B to B » (maternités et crèches). Au milieu de ce tourbillon d’activités, la jeune femme qui partage sa vie avec un avocat en droit social n’oublie pas l’écriture. Elle s’y attelle tous les jours de 5 h 30 à 8 h 30 et va publier son second roman. Et elle a repris l’équitation.

Nous avons publié les analyses toxicologi­ques de nos produits

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