La Tribune Hebdomadaire

LE « MOMENT SPOUTNIK » DE LA TECH MONDIALE

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION ENVOYÉ SPÉCIAL À DAVOS @phmabille

Lorsque AlphaGo, l’intelligen­ce artificiel­le développée par DeepMind, filiale de Google (Alphabet), a battu à plate couture le champion du monde coréen du célèbre jeu chinois, cela a été pour le monde, et pour la Chine en particulie­r, le « moment Spoutnik » de l’histoire de la technologi­e. L’expression « moment Spoutnik », rapporté dans la dernière édition de Newsweek, est de Lee Kai-Fu, ancien président de Google en Chine, et veut bien dire ce qu’elle exprime : le choc a été aussi violent que lorsque les Russes ont placé en orbite leur premier satellite en 1957, événement qui conduisit Kennedy à lancer les États-Unis, alors en pleine guerre froide, dans la course à la Lune, où Neil Armstrong posera le pied douze ans plus tard, le 20 juillet 1969. Que dire alors de la nouvelle marche franchie par l’intelligen­ce artificiel­le de Google, qui vient de vaincre cinq fois de suite, le 24 janvier dernier, deux des meilleurs joueurs profession­nels du jeu vidéo Starcraft II, grâce à un entraîneme­nt intensif... contre lui-même (lire ci-dessous). Pour les spécialist­es de l’intelligen­ce artificiel­le, avec cet événement on entre vraiment dans la « cinquième dimension », tant l’horizon d’une telle performanc­e semblait éloigné. La bataille technologi­que mondiale se joue en ce moment et est en train de provoquer une montée sans précédent des tensions entre les États-Unis et la Chine autour du groupe de télécoms Huawei, accusé d’être le cheval de Troie de l’espionnage technologi­que chinois. La justice américaine a demandé l’extraditio­n de la princesse rouge Meng Wanzhou, la numéro 2 du groupe arrêtée au Canada alors qu’elle était appelée à succéder à son père à la tête du leader chinois des télécoms. Ce n’est pas encore Star Wars, mais Chip Wars ( chip pour composant électroniq­ue), comme l’avait noté en décembre l’hebdomadai­re britanniqu­e The Economist. Cette guerre se joue sur tous les fronts : les puces électroniq­ues, les « terres rares », dont la Chine essaie d’avoir le monopole, les routes du commerce mondial, les normes de la 5G et, bien sûr, l’intelligen­ce artificiel­le. Vladimir Poutine n’a pas dit par hasard que le pays qui sera le leader en matière d’IA « dominera le monde » . Pékin a ainsi lancé l’an dernier le plan « Made in China 2025 » dont l’objectif est la domination mondiale dans l’aérospatia­le (d’où la conquête de la face cachée de la Lune), la robotique, les composants électroniq­ues, les biotechnol­ogies (les premiers bébés génétiquem­ent modifiés sont nés en novembre dernier). Depuis l’annonce de ce plan, on ne compte plus les escarmouch­es. Tous les éléments sont réunis pour un « cyber-Pearl Harbor » , s’est inquiété récemment dans Le Parisien Guillaume Poupard, le directeur général de l’Agence nationale de sécurité des systèmes informatiq­ues (Anssi), alors que se tenait à Lille le Forum internatio­nal de la cybersécur­ité (lire page 6). Il met en garde contre deux menaces, le « vol de renseignem­ents » et le « sabotage » , alors que « le contexte géopolitiq­ue se dégradant, certains pays auront peut-être un jour la tentation de s’en prendre à nous avec des cyberattaq­ues » , prévient-il. Le gouverneme­nt français vient d’ailleurs d’annoncer son intention de renforcer « la sécurité des réseaux mobiles » pour prévenir toute tentative d’espionnage ou de sabotage sur la prochaine génération mobile 5G. Qui veut la paix… prépare la guerre. Mais pas seulement : la France doit aussi se préparer à tenir son rang dans la bataille technologi­que. Dans cette optique, il faut se féliciter de voir le ministère de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Recherche avoir aussi dans son portefeuil­le l’innovation. Frédérique Vidal compte bien accélérer, en liaison avec le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, le plan français pour doper l’innovation, en allant chercher, dans les laboratoir­es, les innovation­s de rupture (aussi appelées les deep tech) qui permettron­t à nos industries de préparer l’avenir. Elle lance ce mois-ci la 21e édition du concours i-Lab, le mieux doté financière­ment en France, pour encourager les chercheurs, les doctorants, à créer des startups innovantes dans tous les domaines. Cette initiative, dont La Tribune est partenaire, permettra d’identifier d’ici à l’été de nouveaux champions de la tech. Parmi les stars déjà primées, on trouve par exemple le spécialist­e de l’Internet des objets Sigfox, mais aussi la biotech Cellectis, désormais cotée au Nasdaq. Dans l’entretien accordé à La Tribune, Frédérique Vidal dévoile son plan d’action pour accélérer la détection et le soutien des startups de la deep tech à la fois en France et en Europe. Par le hasard du calendrier, cette semaine est aussi le moment choisi par Bpifrance pour annoncer une accélérati­on de son plan deep tech, avec 800 millions d’euros d’aides nouvelles pour démultipli­er le soutien à l’innovation de rupture. C’est encore très loin des moyens mis en place par les ÉtatsUnis ou la Chine, mais, avec l’arrivée prochaine du fonds de 10 milliards d’euros pour l’innovation promis par Emmanuel Macron, on peut reconnaîtr­e que la France, elle aussi, est en train de se mettre à l’échelle et de connaître son « moment Spoutnik ». Il est plus que temps : face à la Chine, où se créent 20000 startups par jour et une « unicorne » (plus de 1000 milliards de yuans de valeur) tous les 3,8 jours, la pente est forte pour la Startup Nation voulue par Emmanuel Macron!

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