Renault : Jean-Dominique Senard, l’homme de la situation ?
Le patron de Michelin est parachuté à la tête d’un groupe automobile en plein désarroi. Entre la confiance avec l’allié japonais à restaurer, le big bang du secteur automobile à préparer et les problématiques de marque, les défis de JeanDominique Senard s
Un choc thermique! C’est ce que risque fort de vivre Renault dans les prochains mois avec l’arrivée de JeanDominique Senard à la présidence du groupe automobile français. Entre le caractère froid de Carlos Ghosn, qui a savamment travaillé sa posture de monarque inaccessible, barricadé derrière ses conseillers, et celui du patron de Michelin, monument de courtoisie pratiquant une déférence inhabituelle pour un patron du CAC 40, il y a plusieurs mondes… « J’accomplirais mon devoir d’État avec plaisir, j’ai toujours voulu servir mon pays », a laissé échapper cet homme discret devant des journalistes pressés d’en savoir plus alors que sa nomination n’était encore qu’une rumeur. « Vous comprendrez que ce soir, je serai le président de Michelin », a-t-il néanmoins ajouté à l’occasion d’une soirée informelle organisée par le pneumaticien, avant de s’effacer en se confondant en excuses. « C’est tout lui », réagit un bon connaisseur du personnage, qui évoque « son sens du service de l’État ».
PROCHE DE MACRON
Et pour cause, Jean-Dominique Senard est clairement le candidat de l’État. Le patron de Michelin n’a jamais caché sa proximité avec Emmanuel Macron, qui avait soutenu sa candidature à la tête du Medef alors que le règlement sur la limite d’âge l’empêchait de briguer le poste. Là aussi, le contraste avec Carlos Ghosn est frappant. Si JeanDominique Senard est dans les petits papiers du président, c’était tout le contraire de son prédécesseur, dont la défiance à l’égard de l’actuel locataire de l’Élysée était publique et remontait à 2015, alors que ce dernier occupait le poste de ministre de l’Économie de François Hollande. La proximité entre Emmanuel Macron et le nouvel homme fort de Renault avait déjà été consacrée début 2018 à travers la mission « Entreprise et intérêt général », confiée à Jean-Dominique Senard et Nicole Notat, qui a donné lieu à la loi Pacte ( La Tribune du 2 février 2018 et du 15 mars 2018). Pour Renault, c’est un homme engagé en faveur de relations sociales rénovées qui va prendre la tête du groupe. Jean-Dominique Senard n’a jamais oublié le traumatisme de son expérience chez Pechiney, dont la chute, les restructurations brutales et l’absorption par Alcan, en 2003, l’ont marqué à jamais. De cette expérience, il retient la responsabilité d’une économie financiarisée, coupable d’imposer des stratégies court-termistes. Mais le patron n’est pas un antimarché dogmatique. En 2013, il a dû supprimer 730 emplois sur 900 sur le site de Michelin à Joué-lès-Tours, dans l’Indre-et-Loire. Plus récemment, le groupe a confirmé 970 départs volontaires sur son fief de Clermont-Ferrand et la fermeture de l’usine de Dundee, en Écosse. Mais sa personnalité ne suffira pas à JeanDominique Senard pour s’installer sur le siège de Carlos Ghosn. Il lui faudra de la poigne et de la détermination. Les deux mois d’absence de son prédécesseur ont largement bousculé l’entreprise, et il est encore très difficile d’en estimer les conséquences sur l’alliance avec Nissan et Mitsubishi. « Saurez-vous rester ferme ? », a tenté un journaliste à l’endroit de JeanDominique Senard, tant sa gentillesse apparente semble poser question. En réalité, l’État parie surtout sur une nouvelle approche du management chez Renault, jusqu’ici trop fondé sur le charisme excessif de Carlos Ghosn. Certains en viennent à penser que les Japonais euxmêmes, qui lui témoignaient une reconnaissance sans bornes pour le sauvetage de Nissan, ont fini par se lasser et s’agacer de ses frasques ostentatoires. « Carlos Ghosn s’attribuait l’entièreté du leadership. Mais un leadership, ça se construit, y compris lorsqu’on vient d’un autre secteur industriel », estime Philippe Chain, consultant indépendant pour EIM, un cabinet spécialisé en management de transition. À cet égard, Jean-Dominique Senard est un véritable antidote à Ghosn. Ce fils de diplomate, héritier d’un titre, certes un peu désuet, de noblesse pontificale, pourrait arrondir les angles avec les Japonais, avec qui la bonne entente n’est pas une option tant les défis sont immenses.
NOUVELLE APPROCHE DU MANAGEMENT
D’autant que tout le monde s’attend à un parfait alignement avec Thierry Bolloré, le dauphin désigné par Carlos Ghosn, avec lequel il partagera la direction. « Le choix d’une direction bicéphale peut se justifier au lendemain d’une crise, cela permet de faire front sur divers sujets sans perdre la main sur la continuité opérationnelle », juge Philippe