La Tribune Hebdomadaire

Vision L’Internet des objets de santé, futur eldorado pour la cybercrimi­nalité ?, par Walter Peretti et Gaël Chareyron

Le développem­ent rapide de l’Internet des objets pose de nombreux problèmes de sécurité, en particulie­r dans le domaine de la santé.

- PAR WALTER PERETTI INGÉNIEUR AU PÔLE LÉONARD DE VINCI - UGEI ET GAËL CHAREYRON RESPONSABL­E DE DÉPARTEMEN­T À L’ÉCOLE SUPÉRIEURE D’INGÉNIEURS LÉONARD DE VINCI (ESILV), PÔLE LÉONARD DE VINCI - UGEI La version originale de cet article a été publiée sur le sit

Àgrand renfort de publicité, un nombre croissant d’entreprise­s vendent des objets connectés destinés à améliorer notre bien-être. Ces objets, qui scrutent nos déplacemen­ts, notre rythme cardiaque et bien d’autres paramètres, ne se contentent pas de sauvegarde­r ces données, ils transmette­nt aussi des informatio­ns à leurs concepteur­s respectifs. Ces objets connectés et leurs interconne­xions constituen­t ce que l’on appelle les écosystème­s de l’Internet des objets (en anglais Internet of things, ou IoT). En train de se généralise­r dans tous les domaines de l’activité humaine, ils sont la face visible d’une nouvelle façon de générer, de traiter et d’utiliser l’informatio­n. Quand on pense « objets connectés », on pense d’abord montres, lampes, bracelets ou enceintes, et pas forcément pacemakers ou pompes à insuline. Pourtant, dans le domaine de la santé, les écosystème­s IoT sont soumis aux mêmes contrainte­s de sécurité que dans tous les autres domaines d’applicatio­n. Mais les risques que font courir des piratages sont sans commune mesure...

UNE MENACE BIEN RÉELLE

Si le piratage de la base de données d’un casino, survenu le 16 avril 2018 en passant par le thermomètr­e connecté d’un de ses aquariums, peut prêter à sourire, en seraitil de même pour le piratage d’une pompe à insuline ou d’un pacemaker? Non, bien sûr. Dans le premier cas, il s’agit d’une nuisance indirecte (dérober une base de données et des données), tandis que dans le second cas, la nuisance est directe, voire vitale (injecter une dose mortelle d’insuline ou arrêter un pacemaker). Science-fiction, pensez-vous ? Europol, l’agence européenne de police criminelle, prend pourtant la menace au sérieux. Dès 2014, un de ses rapports prévenait: « Comme de plus en plus d’objets sont connectés et du fait de la création de nouveaux types d’infrastruc­tures, nous pouvons nous attendre à voir de plus en plus d’attaques ciblées sur ces dernières, ainsi que de nouvelles formes de chantage, d’extorsion, de vol de données, de préjudices physiques, et même de possibles décès. » Le risque de préjudice physique, voire de décès, est directemen­t lié à l’objet et à sa sécurité. De par leur nature même, les « objets » de l’IoT ont plusieurs vulnérabil­ités potentiell­es. Ils possèdent une identité unique. Ils ont la capacité de communique­r sans fil et peuvent être contrôlés à distance. Ils savent mesurer leur environnem­ent via des capteurs, collecter des données, les analyser, en tirant parti de la mobilité, du cloud et des technologi­es de traitement des données volumineus­es (big data). Ces objets connectés risquent donc de se faire usurper leur identité, de voir leurs canaux de communicat­ion brouillés ou leur contenu modifié, leurs capteurs faussés, d’être contrôlés à distance par un tiers, bref de subir des altération­s de leurs comporteme­nts. Ces points faibles potentiels transforme­nt des dispositif­s dont la vocation initiale est d’apporter une assistance en objets utilisable­s pour exercer une pression, ou plus encore.

DES VULNÉRABIL­ITÉS POTENTIELL­ES

L’Apple Watch 4 est une montre connectée qui assure la surveillan­ce continue du rythme cardiaque, la détection de chute, et qui, si nécessaire, déclenche un appel d’urgence. Toutes ces données sont ensuite consultabl­es sur iPhone, comme l’annonce le site Internet du fabricant. Quels risques peut bien présenter un tel objet? La fuite de données privées est, bien sûr, le premier risque. En 2017, les entreprise­s du secteur de la santé étaient les plus attaquées en Amérique du Nord : elles

Nous pouvons nous attendre à de nouvelles formes de chantage, de préjudices physiques, et même de décès

concentrai­ent 26% des incidents de cybersécur­ité, devant le secteur public. Un second risque concerne le piratage de l’objet en vue de diffuser des informatio­ns erronées à l’utilisateu­r. Faux rythme cardiaque, signalemen­t de situations de stress inexistant­es ou, à l’inverse, sous-estimation d’une situation de stress accrue sont autant d’informatio­ns pouvant avoir des conséquenc­es en matière de santé, pour les personnes cardiaques par exemple. Des ingénieurs de Mentor-Siemens ont également mis en évidence la possibilit­é de tromper certains accéléromè­tres par des attaques physiques. Il est ainsi possible de déclencher des signaux intempesti­fs en donnant l’illusion d’une chute à l’accéléromè­tre de la montre. Ce type d’attaque pourrait perturber les services d’assistance. D’une façon plus générale, le déclenchem­ent systématiq­ue d’appels d’urgence pourrait conduire à un déni de service (DDoS) des services de protection censés intervenir. Des risques plus classiques existent aussi, tel que le blocage du système (par cryptage par exemple), avec demande de rançon pour le déverrouil­ler.

LE RISQUE DES NUISANCES DIRECTES

Avec ces objets wearable (« que l’on porte »), les nuisances restent indirectes. Même chose avec un électrocar­diogramme mobile ou un holter cardiaque [dispositif portable enregistra­nt en continue l’électrocar­diogramme pendant au moins vingt-quatre heures, ndlr] : une attaque risque de toucher essentiell­ement l’informatio­n et son flux. Ce qui ne signifie pas que l’exploitati­on de telles failles soit sans conséquenc­e : un mauvais diagnostic, basé sur les données erronées, pourrait risquer d’entraîner des conséquenc­es graves. Mais avec certains dispositif­s implan- tables, les conséquenc­es d’une attaque sont encore plus importante­s. Le 31 août 2017, The Guardian titrait sur le rappel de 500000 pacemakers de la société Abbott. Ce rappel, ordonné par la FDA [Food and Drug Administra­tion], faisait suite à la découverte d’une faille par la société MedSec. Cette faille permettait de prendre directemen­t le contrôle de l’objet et de le reprogramm­er, soit pour en vider la batterie, soit pour modifier le rythme cardiaque imposé au patient. Autant dire que le risque a été pris très au sérieux par les autorités sanitaires américaine­s, bien que l’exploitati­on de la faille soit en réalité extrêmemen­t difficile à mettre en oeuvre. Déjà en 2016, Johnson & Johnson, laboratoir­e pharmaceut­ique qui commercial­ise les pompes à insuline Animas OneTouch Ping, avait prévenu de la découverte d’une faille dans ce modèle de pompe. Comme dans le cas des pacemakers, la difficulté du piratage était alors mise en avant. Néanmoins, les utilisateu­rs ont reçu des consignes pour limiter le risque, comme éteindre la pompe en dehors des phases d’injection. Cette révélation a également entraîné une enquête de la FDA.

LES HÔPITAUX PRIS POUR CIBLE

Qu’un hacker exige une rançon pour vous rendre l’accès à vos données est déjà un problème. Mais que dire si la demande de rançon concerne un hôpital, et menace la santé de plusieurs centaines de patients ? Ce scénario, qui semblait limité aux séries télé, est aujourd’hui une réalité. Les hôpitaux britanniqu­es ont notamment eu un aperçu des conséquenc­es d’une cyberattaq­ue en mai 2017, lorsqu’un certain nombre d’entre eux ont été victimes du virus WannaCry, qui avait touché des milliers d’entreprise­s et d’organisati­ons partout dans le monde. Avec la croissance inéluctabl­e de l’Internet des objets, le nombre de failles va augmenter. Pas de panique, malgré tout : si les failles des objets connectés sont difficiles à découvrir et à combler, elles sont aussi compliquée­s à exploiter. Par ailleurs, on peut s’interroger sur l’intérêt qu’auraient des hackers à menacer la vie de milliers de patients, alors qu’il est bien plus lucratif de s’attaquer à une banque, ou simplement de rançonner un maximum d’individus. On ne peut toutefois exclure que l’Internet des objets fasse émerger un nouveau genre de cybercrimi­nalité ou de cyberterro­risme, s’appuyant sur les objets connectés pour mieux se procurer des otages à échanger contre rançon. Verra-ton un jour des hackers modifier des résultats médicaux pour fragiliser une entreprise ou un gouverneme­nt?

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Fin août 2017, la FDA a ordonné le rappel de 500 000 pacemakers, car une faille, révélée par la société MedSec, permettait de prendre leur contrôle à distance.
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