La Tribune Hebdomadaire

M. MACRON, LE BIEN PUBLIC, C’EST LA LIBERTÉ D’INFORMER

- PAR PHILIPPE MABILLE DIRECTEUR DE LA RÉDACTION @phmabille

Pour se sortir de la crise des « gilets jaunes », qui en est, déjà, à son acte XIII ce samedi, Emmanuel Macron est en train d’inventer un nouveau concept politique, la « délibérati­on permanente » , qu’il a dit préférer, devant quelques journalist­es triés sur le volet reçus dans son bureau à l’Élysée, aux « commentair­es permanents » auxquels on assiste sur les chaînes d’infos. Devant les mêmes journalist­es, le président de la République, qui ne comprend pas pourquoi les médias donnent à « Jojo le gilet jaune » (on admire l’élégance du propos) les mêmes égards qu’à un ministre ou un expert, s’est livré à une longue diatribe contre les médias, prenant des positions assez stupéfiant­es. En voici quelques lignes, telles que rapportées par Emmanuel Berretta dans Le Point : « Le bien public, c’est l’informatio­n. Et peut-être que c’est ce que l’État doit financer (…) Il faut s’assurer qu’elle soit neutre, financer des structures qui assurent la neutralité. » Et Emmanuel Macron de proposer la création d’une sorte de comité (de salut public ?) chargé « avec des garants qui soient des journalist­es » (lesquels ? Choisis par qui ?), de la « vérificati­on de l’informatio­n ». À ce stade, lisant cela, il est permis de se le demander : Emmanuel Macron a-t-il complèteme­nt « pété les plombs » avec la crise des « gilets jaunes » ? Nombre de brillants éditoriali­stes ont déjà avec talent dénoncé ce plan de mise sous tutelle des médias, à l’exemple de l’excellent « Macron ou la tentation de la Pravda » d’Étienne Gernelle, le patron du Point. Nous estimant incapables de mieux décrire le « délire orwellien » du président de la République, cette idée qu’il existerait une « vérité », une « vérité d’État » sans doute dans l’esprit du chef de l’État, nous heurte évidemment. Il ne s’agit pas de contester que la presse soit parfois critiquabl­e mais de dénoncer la tentation autoritair­e que cela révèle de la part du pouvoir. D’autres ont dit, comme le député Charles de Courson, dont le père résistant a été poursuivi par le régime de Vichy, que la loi « anti-casseurs » votée cette semaine au Parlement, inquiète, en ce qu’elle modifie l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le judicaire, et pourrait, comme les textes qui ont institutio­nnalisé l’état d’urgence, se révéler un instrument redoutable placé en de mauvaises mains. C’est la même chose à propos des projets du président à propos de la presse, qui viennent après la tout aussi ambiguë loi « anti- fake news » censée encadrer les réseaux sociaux et censurer « le faux » en période électorale. Dernière initiative, qui n’est pourtant pas une fake news, l’ex-ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a confié à l’ex-PDG de l’AFP, Emmanuel Hoog, la création d’un « conseil de déontologi­e de la presse » financé à hauteur de 1,5 million d’euros par moitié (en fait 49 %) par l’État, une instance destinée, selon ses promoteurs, à « permettre au citoyen d’obtenir des réponses sur le travail des journalist­es en dehors de tout ce qui est encadré par la loi (diffamatio­n, calomnie, injure ou incitation à la haine) » . La création d’un tel conseil, qui existe dans une quarantain­e de pays, est réclamée par Jean-Luc Mélenchon dont on connaît les positions particuliè­rement amicales à l’égard des journalist­es. Que les choses soient claires entre nous : qu’Emmanuel Macron invite la presse et les journalist­es à faire leur autocritiq­ue et à définir un cadre d’autorégula­tion ( « Quelque part, cela doit aussi venir de la profession » , aurait-il dit), pourquoi pas. Mais que l’on imagine créer une sorte de conseil de censure, ou pire, un instrument d’autocensur­e, nous semble une dérive dangereuse pour la liberté de la presse et potentiell­ement pour la démocratie. C’est encore plus vrai à un moment où le législateu­r veut protéger le secret des affaires, qui n’est pas très éloigné du secret des sources, et où un de nos confrères, Mediapart, subit la menace d’une perquisiti­on dénoncée par les sociétés de journalist­es de tous les médias. Que les choses soient bien claires : La Tribune et ses journalist­es s’en tiennent à l’article 1 de la loi du 29 juillet 1881 qui dit que « l’imprimerie et la librairie sont libres » qui est en quelque sorte notre Premier amendement au sens de la Constituti­on américaine. Emmanuel Macron peut chercher toutes les voies de contournem­ent possible, son projet est tout simplement mauvais et ne peut qu’inquiéter tous ceux qui voient avec effroi la crise des « gilets jaunes » alimenter une tentation autoritair­e ou bonapartis­te. Dans leur livre, désormais traduit en français, La Mort des démocratie­s (Calmann-Lévy), les deux chercheurs de Harvard Steven Levitsky et Daniel Ziblatt ont défini quatre signaux d’alerte permettant de reconnaîtr­e les autocrates : « On doit s’inquiéter lorsqu’un politicien 1) rejette en actes ou en paroles les règles du jeu de la démocratie ; 2) dénie leur légitimité aux opposants ; 3) tolère ou encourage la violence ; 4) affiche une propension à limiter les libertés civiques de l’opposition et des médias. » Puisqu’ Emmanuel Macron nous invite, nous journalist­es, à être jugés au regard de la vérité ou du mensonge, prenons-le donc au mot et proposons qu’un conseil de déontologi­e tout aussi indépendan­t indique comment évaluer les hommes et les femmes politiques français en fonction de ces quatre critères simples et transparen­ts au sein desquels chacun d’entre eux, lisant ces lignes, pourra aisément se reconnaîtr­e. À bon entendeur...

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