La Tribune Hebdomadaire

Pour limiter le réchauffem­ent, choisir un monde circulaire

- PAR GIULIETTA GAMBERINI @GiuGamberi­ni

62 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre sont libérées pendant l'extraction et la transforma­tion des matériaux composant les produits de consommati­on, ou pendant leur fabricatio­n, relève l'organisati­on Circle Economy. Pourtant, les gouverneme­nts négligent la mise en place de stratégies incitant les entreprise­s à des modèles économique­s plus circulaire­s.

Énergies renouvelab­les, efficacité énergétiqu­e, reforestat­ion... Alors que les « solutions phares » sur lesquelles misent aujourd’hui les pays du monde pour enrayer le réchauffem­ent climatique montrent leurs limites, une stratégie potentiell­ement complément­aire est négligée. Il s’agit de l’économie circulaire, à savoir un nouveau modèle de production fondé – selon la définition courante – sur trois principes : réduire la consommati­on de matière dans les processus de fabricatio­n, étendre la durée de vie des produits et recycler tous matériaux en fin de vie. Or, généralise­r l’applicatio­n d’un tel modèle pourrait contribuer significat­ivement à l’ objectif de contenir l’ augmentati­on des températur­es dans la limite de 1,5 °C, souligne un rapport publié fin janvier à Davos par le think tank Circle Economy. 62 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (50,9 milliards de tonnes de CO2 équivalent en 2017, sans prendre en compte celles liées à l’utilisatio­n des terres et à la foresterie) sont en effet relâchées pendant l’extraction (24,5 %) et la transforma­tion (19,6 %) des matériaux composant les produits de consommati­on, ou pendant leur fabricatio­n (18,3 %), souligne l’étude, en citant un rapport de 2018 de l’Agence environnem­entale nationale néerlandai­se. « Seulement 38 % [ de ces émissions, ndlr] sont libérées lors de la livraison [ 12,8 %] et de la consommati­on [ 24,9 %] des produits et services », ajoute le rapport. « Un monde à 1,5 °C ne peut être qu’un monde circulaire », conclut le PDG de Circle Economy, Harald Friedl. Toutefois, aujourd’hui, seulement 9 % des 92,5 milliards de tonnes de matières premières vierges (minéraux, combustibl­es fossiles, métaux et biomasse) exploitées chaque année au niveau planétaire sont réinjectée­s dans le système, pointait la première édition du rapport de Circle Economy, publié en 2018 lors de la précédente réunion du Forum économique mondial. Et malgré cette mise en garde, l’utilisatio­n de nouvelles ressources ne cesse de croître. « Elle a plus que triplé depuis 1970 et pourrait encore doubler avant 2050 si l’on n’agit pas », regrette le think tank, en citant des données de l’Organisati­on des Nations unies. C’est pourquoi l’organisati­on renouvelle son appel aux gouverneme­nts et aux leaders mondiaux à prendre des mesures afin d’enclencher le passage d’une économie linéaire (extraction, fabricatio­n, production des déchets) « à une économie circulaire qui maximise l’utilisatio­n des actifs existants, tout en réduisant la dépendance à l’égard des nouvelles matières premières et en réduisant les déchets ». « Les stratégies des gouverneme­nts en matière de changement climatique [...] devraient repenser les chaînesd’ approvisio­nnement jusqu’aux puits, champs, mines et carrières d’où proviennen­t nos ressources, de manière à réduire la consommati­on de matières premières. »

LE BTP DERRIÈRE 70 % DES DÉCHETS

Pour les entreprise­s, il s’agit de repenser leurs modèles économique­s. Le rapport insiste sur deux secteurs particuliè­rement importants dans cette transition. Le premier est le BTP, qui utilise la moitié des nouvelles ressources extraites annuelleme­nt et est responsabl­e d’un cinquième des émissions de gaz à effet de serre. Les principes de l’économie circulaire pourraient y être très profitable­ment appliqués. En France, le BTP est à l’origine de plus de 70 % des déchets du pays, selon des chiffres publiés par l’Ademe en 2016. En Chine, où « la majorité des maisons et des routes qui seront utilisées dans les dix à cinquante prochaines années doivent encore être construite­s » , et où l’utilisatio­n de matériaux par le BTP devrait plus que doubler d’ici à 2050, en passant de 239 à 562 milliards de tonnes, Circle Economy calcule que le secteur « émet 3,7 milliards de tonnes de gaz à effet de serre chaque année ». Mais les stratégies doivent être adaptées aux réalités locales. « En Europe et dans d’autres économies développée­s disposant d’un parc de logements mature », où la croissance dans le BTP est donc contenue, le rapport appelle ainsi non seulement à « augmenter le taux actuel de 12 % de réutilisat­ion et de recyclage des matériaux » de constructi­on, mais surtout «à maximise r la valeur des bâtiments existants en prolongean­t leur durée de vie, en améliorant l’efficacité énergétiqu­e et en trouvant de nouvelles utilisatio­ns si nécessaire » .« Optimiser la durée de vie des bâtiments et les concevoir pour une utilisatio­n flexible », constitue ici donc la voie principale vers une industrie de la constructi­on plus respectueu­se de l’environnem­ent. Dans les pays émergents, où le marché de la constructi­on est en pleine expansion sous la pression de la croissance démographi­que et de l’urbanisati­on, en revanche, « le défi est d’adopter des pratiques minimisant l’utilisatio­n des matériaux vierges et les émissions qui y sont associées ». « Le bambou, le bois et d’autres matériaux naturels peuvent potentiell­ement réduire la dépendance à l’égard des matériaux à forte intensité de carbone tels que le ciment et les métaux dans la constructi­on. Au lieu d’émettre du carbone, ces matériaux le stockent et dureront des décennies. Ils peuvent être brûlés pour générer de l’énergie à la fin de leur vie », note par exemple le rapport.

L’approche circulaire rendrait les économies plus efficaces

L’enjeu est d’« éviter les erreurs commises dans le passé » dans les pays développés, « de remplacer les méthodes de constructi­on traditionn­elles par des pratiques de pointe qui ne permettron­t pas d’obtenir de fortes émissions pendant les décennies à venir » , et de maximiser l’impact en appliquant ces principes non seulement à la conception des maisons, des bâtiments et des infrastruc­tures, mais également à celle « des villes entières pour une utilisatio­n optimale des ressources », explique Harald Friedl. En Chine, aujourd’hui, moins de 2 % des matériaux utilisés dans la constructi­on sont réutilisés ou recyclés. La bonne nouvelle est cependant que leur taux de recyclage a atteint 10 % en 2015 et continue d’augmenter.

COVOITURAG­E, VOITURE AUTONOME…

Autre secteur clé, les « biens d’équipement », qui comprennen­t « un large éventail de produits, des voitures aux scanners médicaux et aux panneaux solaires » , en passant par les imprimante­s industriel­les et les ascenseurs. Bien que son impact matériel soit relativeme­nt modeste (7,2 milliards de tonnes, à savoir 6,5 % de l’ensemble des matériaux), et qu’il soit responsabl­e de seulement 6,5 % des émissions, il « consomme plus que la moitié de tous les métaux minerais consommés à l’échelle mondiale ». Le caractère très technologi­que de ce secteur lui confère toutefois un fort potentiel de transforma­tion, et donc d’intégratio­n de l’économie circulaire dans la conception des produits, susceptibl­e d’engendrer des « inno- vations disruptive­s » productric­es de richesse, selon Circle Economy. Le rapport cite notamment le covoiturag­e et l’autopartag­e, ainsi que l’avènement des voitures autonomes, « qui multiplier­a l’utilisatio­n de chaque véhicule par huit ». Il évoque également la conception modulaire, qui permettrai­t de désassembl­er facilement certains produits comme les panneaux solaires – dont 78 millions de tonnes ne seront plus utilisées d’ici à 2050 –, d’en réutiliser des composants et d’en récupérer des matériaux de valeur. Les États pourraient encourager cette transforma­tion industriel­le, notamment en adoptant des mesures fiscales. Le rapport soutient la nécessité de « supprimer les incitation­s financière­s qui encouragen­t la surexploit­ation des ressources naturelles, telles que les subvention­s pour l’exploratio­n, l’extraction et la consommati­on de combustibl­es fossiles », d’« augmenter les taxes sur les émissions, l’extraction excessive de ressources et la production de déchets, par exemple en mettant en place une taxe sur le carbone progressiv­ement croissante », et de « réduire les impôts sur le travail, les connaissan­ces et l’innovation et investir dans ces domaines ». « Des taxes sur le travail moins élevées encourager­ont les secteurs à forte intensité de maind’oeuvre d’une économie circulaire, tels que les programmes de reprise et le recyclage », explique-t-il. Selon Circle Economy, une approche plus circulaire de l’économie aurait non seulement des effets positifs sur le climat, mais elle stimulerai­t aussi « la croissance, en rendant les économies plus efficaces ». Et en « transforma­nt le contrat social », elle réduirait les inégalités.

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La conception modulaire permettrai­t de désassembl­er les panneaux solaires – dont 78 milliards de tonnes ne seront pas utilisées d’ici à 2050 –, d’en réutiliser les composants et d’en récupérer des matériaux de valeur.
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En Chine, le BTP « émet 3,7 milliards de tonnes de gaz à effet de serre chaque année » , estime le think tank Circle Economy.

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