La Tribune Hebdomadaire

Transition alimentair­e : le rôle central des villes

Consommatr­ices de nourriture et productric­es de déchets, les villes doivent prendre leurs responsabi­lités, pointe la fondation Ellen MacArthur.

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Les solutions divergent certes dans les détails. Mais de nombreux rapports publiés au cours des derniers mois s’accordent sur le fond: afin de satisfaire la demande croissante de nourriture prévue d’ici à 2050, tout en stabilisan­t le climat et en préservant la biodiversi­té, le système agroalimen­taire qui nous nourrit doit changer en profondeur. Aujourd’hui, déjà, son coût social mondial est énorme, calcule la fondation Ellen MacArthur dans un rapport publié jeudi 24 janvier à Davos (« Cities and Circular Economy for Food »). « Pour chaque dollar dépensé en nourriture, la société en dépense deux en frais sanitaires, environnem­entaux et économique­s. » Or « la moitié de ces coûts – 5 700 milliards de dollars par an au niveau mondial – sont dus à la manière dans laquelle la nourriture est produite », écrit la fondation, en pointant notamment du doigt un système de production « linéaire », « qui extrait des ressources limitées, est gaspilleur comme polluant et nuit aux systèmes naturels ». Ce modèle de production « coûte à la société autant que l’ensemble des dépenses liées à la consommati­on de nourriture (par exemple à l’obésité ou à la malnutriti­on) », souligne la fondation Ellen MacArthur. Sans compter le coût humain : environ 5 millions de vies pourraient être mises en danger chaque année vers 2050 par les méthodes actuelles de production de nourriture – notamment par l’utilisatio­n de pesticides et d’antibiotiq­ues –, « deux fois plus que le bilan actuel de l’obésité », selon l’étude. Comment alors développer un modèle de production alimentair­e « régénérate­ur », à savoir capable d’améliorer la santé des humains comme des écosystème­s locaux? L’objectif, « atteignabl­e », demande certes un « effort de changement » mondial et impliquant l’ensemble de la chaîne de valeur. Mais dans cette voie, une entité peut jouer un rôle particuliè­rement important : les villes. En 2050, 80 % de la nourriture mondiale y sera en effet consommée. L’ensemble des acteurs urbains, publics comme privés, peuvent ainsi agir à deux niveaux essentiels pour la transition, souligne la fondation Ellen MacArthur, qui a notamment étudié la situation démographi­que, géographiq­ue et socio-économique, ainsi que les initiative­s, de quatre villes : Bruxelles (Belgique), Guelph (Canada), Porto (Portugal) et São Paulo (Brésil). Le premier champ d’action consiste dans l’approvisio­nnement. Grands distribute­urs, restaurate­urs, écoles, hôpitaux, citoyens, etc. devraient privilégie­r des aliments nourrissan­ts et produits via des techniques « régénératr­ices » – entendues au sens large: bio, rotation des cultures et des pâturages, agro-écologie, agro-foresterie, agricultur­e de conservati­on, permacultu­re, aquaponie, etc. –, suggère l’étude. Ces modes de production devraient également être valorisés au stade de la conception comme du marketing des aliments transformé­s, note la fondation, citant l’exemple des alternativ­es végétales aux protéines animales. Le deuxième champ d’action consiste dans la valorisati­on maximale des aliments. Dans une logique visant non plus seulement à réduire le gaspillage alimen- taire évitable, mais carrément à imaginer un avenir sans déchets alimentair­es, les acteurs urbains peuvent en effet aussi jouer un rôle incontourn­able. Les municipali­tés peuvent organiser la collecte et la valorisati­on des biodéchets, au profit des agriculteu­rs de proximité. Les chercheurs et les industriel­s peuvent concevoir des produits valorisant au maximum les sous-produits alimentair­es, allant des aliments à l’énergie, des fertilisan­ts aux biomatéria­ux, et soutenir ainsi le secteur de la bioéconomi­e.

DIVERSIFIE­R L’APPROVISIO­NNEMENT

Ils peuvent également contribuer à l’éliminatio­n de certains additifs qui limitent les possibilit­és de valorisati­on des biodéchets. « En tant que hubs d’innovation et de connectivi­té, les villes sont idéalement placées pour réussir à relier tous les éléments de la chaîne de valeur alimentair­e », conclut le rapport. De telles politiques permettrai­ent aux villes de resserrer les liens avec leurs zones périurbain­es (définies dans le rapport comme les territoire­s compris dans un rayon de 20 kilomètres), « qui détiennent déjà 40 % des terres cultivées du monde ». À Bruxelles, jusqu’à 90 % des besoins d’aliments locaux pourraient être satisfaits par l’agricultur­e des campagnes autour, sou- ligne l’un des auteurs du rapport, Clémentine Schouteden. En diversifia­nt les sources d’approvisio­nnement et en améliorant l’état des sols, de l’air et de l’eau des zones rurales, de telles politiques accroîtrai­ent également les capacités de résilience des villes. Elles auraient aussi un impact positif sur la culture des citadins en matière de nature et de nourriture, sur la traçabilit­é et la sécurité alimentair­es, ainsi que sur la production de déchets d’emballages. La fondation Ellen MacArthur calcule notamment que si toutes les villes jouaient le jeu, si leurs initiative­s se nourrissai­ent réciproque­ment, si politiques publiques, innovation­s, instrument­s financiers et communicat­ion étaient mis au service du même objectif, les émissions de gaz à effet de serre annuelles mondiales baisseraie­nt de 4,3 milliards de tonnes de CO2 équivalent – comme si l’ensemble du milliard de voitures existant au monde arrêtaient de rouler. La dégradatio­n de 15 millions d’hectares de terres arables par an serait évitée, et 450 000 milliards de litres d’eau seraient économisés. En prenant également en compte les bénéfices sanitaires, la réduction du gaspillage et la valorisati­on des biodéchets, l’étude calcule que quelque 200 milliards de dollars de bénéfices économique­s annuels seraient générés ainsi par un changement de paradigme de la part des villes.

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2017 Getty Images / AFP Ellen MacArthur.

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