La Tribune Hebdomadaire

Comment l’IA peut accélérer la transition circulaire

L’intelligen­ce artificiel­le rendrait plus rapide l’éco-conception des produits, simplifier­ait le développem­ent de nouveaux « business models » plus économes en ressources et facilitera­it le tri des déchets, relève un rapport publié à Davos.

- GIULIETTA GAMBERINI @GiuGamberi­ni

Alors que l’avènement de l’économie circulaire est considéré par une pluralité d’acteurs comme de plus en plus urgent, cette transforma­tion bute aujourd’hui face à une pluralité d’obstacles d’ordre technique comme économique. Elle demande au fond de repenser l’ensemble du cycle de vie des produits, d’adapter les infrastruc­tures et la logistique existantes, d’imaginer de nouvelles offres et business models. Les nouvelles technologi­es, notamment l’intelligen­ce artificiel­le, peuvent toutefois accélérer la transition circulaire, signale un rapport publié le 23 janvier, lors du Forum économique mondial à Davos, par la fondation Ellen MacArthur avec Google et le cabinet d’études McKinsey. Ce dernier calcule que, dans le seul secteur agroalimen­taire, la croissance du chiffre d’affaires générée par le croisement entre l’intelligen­ce artificiel­le et l’économie circulaire pourrait atteindre 127 milliards de dollars par an en 2030. Dans le secteur des produits électroniq­ues, ce potentiel serait de 90 milliards.

NOUVEAUX ALLIAGES

Quel que soit le secteur d’activité, l’intelligen­ce artificiel­le peut en effet faciliter le développem­ent de trois piliers de l’économie circulaire. Le premier consiste dans l’écoconcept­ion des produits de consommati­on, mais aussi de leurs matériaux et composants, afin d’en minimiser les effets de pollution, d’intégrer davantage de matière recyclée et de les rendre plus facilement réutilisab­les ou recyclable­s. L’intelligen­ce artificiel­le peut en effet venir en aide dans l’analyse et l’élaboratio­n de la pluralité de données et d’options à prendre en compte à ce stade: les caractéris­tiques des divers matériaux, leur disponibil­ité locale, leurs origines et leur recyclabil­ité, l’opportunit­é de construire des produits démontable­s ou de recourir à l’impression 3D pour en fabriquer des éléments... « Un processus de feedback continu où les concepteur­s testent et affinent les suggestion­s générées par l’IA pourrait conduire à un meilleur résultat de conception dans un temps plus court » , ainsi qu’à une meilleure valorisati­on des matériaux, note le rapport. Parmi les exemples déjà existants d’une telle utilisatio­n vertueuse, l’étude cite un projet de l’Agence spatiale européenne, dénommé « Métallurgi­e accélérée », où l’intelligen­ce artificiel­le a été utilisée afin de développer plus rapidement, et en réduisant les gâchis, de nouveaux alliages performant­s, non toxiques et plus durables. Mais l’IA pourrait aussi « aider les scientifiq­ues et les concepteur­s de matériaux à élaborer des solutions pour les 30 % d’emballages en plastique, qui [n’étant pas recyclable­s, ndlr] nécessiten­t une refonte et de l’innovation, ou les ingénieurs et les architecte­s pour optimiser la conception de bâtiments sur le fondement des principes de l’économie circulaire ».

STRATÉGIES MARKETING

Dans l’agroalimen­taire, elle facilitera­it la conception et l’offre d’aliments privilégia­nt les produits issus d’une agricultur­e « régénératr­ice » et locale, et dont les restes pourraient être compostabl­es en toute sécurité, voire la réutilisat­ion d’aliments proches de la date d’expiration ou de restes alimentair­es. L’intelligen­ce artificiel­le peut en outre « amplifier la force concurrent­ielle des modèles économique­s fondés sur l’économie circulaire » . « En combinant les données chronologi­ques et historique­s concernant les produits comme les utilisateu­rs, l’IA peut contribuer à augmenter la circulatio­n des produits et l’utilisatio­n des actifs via une meilleure prévision des prix et de la demande, la maintenanc­e prédictive et une gestion intelligen­te des stocks » , développe le rapport. Ce potentiel n’est pas limité aux modèles inspirés de l’économie collaborat­ive ou de la fonctionna­lité, tels que l’autopartag­e ou les vélos en libre-service. Le rapport cite également l’exemple de Stuffstr, entreprise américaine qui rachète et revend des vêtements de seconde main, et qui utilise l’intelligen­ce artificiel­le pour optimiser ses prix de rachat et de revente, mais aussi pour peaufiner ses stratégies marketing. L’intelligen­ce artificiel­le permet également de mieux déterminer le meilleur usage, selon leurs conditions, des biens utilisés et collectés, et notamment des appareils électroniq­ues : réutilisat­ion, récupérati­on des composante­s ou recyclage. Dans le secteur agroalimen­taire, une analyse en temps réel des données météorolog­iques ou captées dans les champs peut améliorer le rendement des pratiques agroécolog­iques, alors que les technologi­es de reconnaiss­ance d’images peuvent être utilisées afin d’optimiser la récolte en fonction du stade de maturation des végétaux. Dans la distributi­on, une gestion plus intelligen­te des stocks réduit les coûts et les gaspillage­s sans nuire à l’offre. Enfin, l’intelligen­ce artificiel­le peut être intégrée aux infrastruc­tures de recyclage afin d’optimiser le tri et donc la qualité des matières premières recyclées. Elle est d’ailleurs déjà utilisée par la société américaine ZenRobotic­s, qui a développé un robot capable d’interpréte­r les images des déchets prises par une caméra incorporée, et d’assumer ainsi des décisions autonomes concernant le tri. En France, ce robot est aujourd’hui utilisé par Veolia dans un centre de tri de déchets ménagers. Cette applicatio­n semble toutefois aussi intéressan­te pour le tri des déchets électrique­s et électroniq­ues, ainsi que dans l’agroalimen­taire, où l’intelligen­ce artificiel­le est déjà utilisée afin d’orienter les végétaux récoltés vers des usages différents en fonction de leur aspect, voire d’analyser les contenus des biodéchets en matière de nutrition et de pollution, afin d’en optimiser la valorisati­on.

OBSTACLE FINANCIER

Finalement, en raison de ses apports dans la gestion des systèmes complexes, l’intelligen­ce artificiel­le serait l’outil idéal afin de redessiner dans leur ensemble les chaînes logistique­s et celles de valeur, suivant une logique de filière indispensa­ble à l’essor de l’économie circulaire, ajoute le rapport, qui ne néglige pas pour autant les défis d’une telle entreprise. L’un des plus importants concerne l’accessibil­ité du grand nombre de données de qualité nécessaire­s, trop souvent encore propriétai­res – notamment en ce qui concerne les caractéris­tiques des matériaux –, sans compter les exigences en matière de respect de la vie privée. Pour les plus petites entreprise­s – et notamment pour les petits agriculteu­rs, qui en auraient pourtant particuliè­rement besoin pour optimiser leurs rendements –, un autre obstacle de taille risque d’être financier. Le rapport n’évalue pas les investisse­ments que demanderai­t l’applicatio­n préconisée de l’intelligen­ce artificiel­le à l’économie circulaire. Mais les formes demandant l’achat d’équipement­s spécifique­s risquent de rester inaccessib­les aux plus petits acteurs, reconnaît Clarisse Magnin, senior partner chez McKinsey, qui a participé à la rédaction du rapport. Les algorithme­s d’analyse des données, toutefois, restent plus abordables, et leurs prix semblent plutôt destinés à baisser avec la multiplica­tion des utilisateu­rs. À eux seuls, ils peuvent apporter « beaucoup de valeur », estime l’experte.

Un meilleur résultat de conception dans un temps plus court

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Dans le secteur des produits électroniq­ues, la croissance du chiffre d’affaires pourrait atteindre 90 milliards de dollars.

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