La Tribune Hebdomadaire

Société Générale va expériment­er de nouveaux modèles disruptifs

- @DelphineCu­ny @Juliettera­ynal PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE CUNY ET JULIETTE RAYNAL

La banque souhaite impulser une nouvelle dynamique à sa stratégie d’innovation, en intensifia­nt ses relations avec l’écosystème de startups de la fintech afin de créer plus rapidement des services novateurs et des modèles commerciau­x de rupture. Entretien avec la nouvelle directrice de l’innovation du groupe, Claire Calmejane, arrivée en septembre dernier.

L’ été dernier, Frédéric Oudéa, le directeur général de Société Générale, a envoyé un signal fort, en interne et en externe, en recrutant une spécialist­e du numérique et des fintech comme directrice de l’innovation du groupe, nouveau poste directemen­t rattaché à lui. Un peu moins de six mois après son arrivée, la benjamine du comité de direction, Claire Calmejane, venue de Lloyds Banking, la première banque britanniqu­e de particulie­rs, dresse les axes prioritair­es de la stratégie d’innovation, qui doit « franchir une nouvelle étape », dans le contexte d’accélérati­on de la transforma­tion numérique du groupe. Société Générale souhaite « intensifie­r [ses] relations avec l’écosystème pour proposer des partenaria­ts pertinents » aux métiers du groupe et aux startups. La direction de l’innovation doit j ouer un « nouveau rôle fédérateur » et apporter aux métiers du groupe « les compétence­s digitales indispensa­bles à leur transforma­tion, et les aider à créer de nouveaux modèles commerciau­x », qui bousculent ses activités traditionn­elles. Entretien avec cette spécialist­e de la transforma­tion digitale qui a pour mission de « favoriser l’émergence d’innovation­s de rupture » et de préparer les services bancaires de demain.

LA TRIBUNE - Pourquoi avoir quitté Lloyds Banking et Londres pour rejoindre la Société Générale ?

CLAIRE CALMEJANE - Par rapport à Lloyds, qui est uniquement dans la banque de détail et sur le marché britanniqu­e où elle est leader, le groupe Société Générale a une vaste présence internatio­nale, dans 67 pays, et une grande variété de métiers : de la banque de financemen­t et d’investisse­ment à la banque de détail, des activités entreprise­s à la gestion de fortune. Or les défis de la transforma­tion digitale ne sont pas les mêmes dans chacun de ces métiers, je vais ajouter d’autres cordes à mon arc. À la Société Générale, je perçois beaucoup plus d’envie en matière d’innovation, un esprit de conquête et la recherche d’opportunit­és, notamment de nouveaux modèles commerciau­x.

Comment identifier ces nouveaux modèles ?

Pour expériment­er des activités en rupture au sein de ses coeurs de métier et en dehors, Société Générale a eu envie de créer une structure d’investisse­ment transverse, Société Générale Ventures, dotée de 150 millions d’euros : c’est une entité juridique autonome, sous ma supervisio­n, et dirigée depuis décembre par Didier Lallemand, qui était auparavant directeur financier de notre banque de financemen­t et d’investisse­ment. Ce n’est pas un fonds traditionn­el de corporate venture : notre équipe n’est pas rémunérée en fonction du retour sur investisse­ment des tickets. Nous adoptons une approche stratégiqu­e de nos investisse­ments, nous veillons à bien déployer le capital, à adopter les bons montages pour les métiers et à soutenir la transforma­tion des métiers. Nous venons ainsi pour la première fois de capitalise­r une startup interne, My Smart Living, un portail de crédit immobilier en République tchèque, à travers notre banque locale Komerční banka. Si cela fonctionne, nous pourrons transposer ce modèle de parcours client dans d’autres pays européens. C’est un financemen­t modeste d’amorçage, de « pre-seed » [inférieur à 500 000 euros, ndlr]. My Smart Living est un des services innovants sortis de notre programme interne d’intraprene­uriat, Internal Startup Call. Leur produit a été conçu en six mois, dans un accélérate­ur. Cette rapidité d’exécution est formidable par rapport à des projets plus traditionn­els que l’on mène dans une grande banque de 150 ans comme Société Générale. Nous n’avons pas le luxe d’être une startup, nous n’avons pas le même environnem­ent réglementa­ire! Société Générale Ventures est là pour accompagne­r des façons de faire différente­s et donner le droit à l’échec. Même si My Smart Living ferme dans six mois, ce ne sera pas grave.

Quel bilan tirez-vous de ce programme d’intraprene­uriat lancé il y a un an ?

Lors du lancement, 70 projets se sont constitués, puis dix ont été abandonnés très rapidement. Nous comptons aujourd’hui 60 startups internes à travers le monde. 25 sont en cours d’accélérati­on dans l’un des 20 incubateur­s et accélérate­urs avec lesquels nous travaillon­s comme Liberté Livinglab, Schoolab, Makesense et La Piscine en France. Cette première étape s’étale sur six mois. Douze autres startups ont dépassé la phase d’accélérati­on et ont déjà rejoint un métier de la banque. Douze autres ont obtenu un « sursis » de trois à six mois car elles n’étaient pas encore suffisamme­nt matures. Chaque membre du comité de direction est sponsor et suit une à trois startups et les rencontre une fois par semaine.

Quelle est la prochaine étape du programme ?

2019 sera l’année de la fertilisat­ion. Nous sommes dans une période d’apprentiss­age. L’idée est de détecter si des startups ont été bloquées par tel ou tel processus et de savoir si ces derniers doivent évoluer. Il est nécessaire d’internalis­er et de valoriser l’expérience et les méthodolog­ies acquises par les collaborat­eurs du programme. L’un des enseigneme­nts du programme est que les approches de design thinking et de pro-

Nous venons de capitalise­r une de nos startups internes

totypage sont un élément différenci­ant, qui se traduit en résultat financier. Si nous regardons du côté des néobanques, comme Revolut et N26, elles sont parvenues à se différenci­er grâce à leur rapidité d’exécution. Aujourd’hui 20000 collaborat­eurs du groupe travaillen­t avec des méthodes agiles, mais ces méthodes concernent essentiell­ement les cycles de développem­ent informatiq­ue. Nous souhaitons les étendre à d’autres départemen­ts du groupe. D’où la création prévue cette année d’un centre d’excellence HumanCente­red Design.

Comment s’articulera cette nouvelle initiative autour du « design thinking » ?

Nous ne savons pas encore si nous nous appuierons sur des compétence­s internes ou si nous procéderon­s à une acquisitio­n, ni si cette approche s’organisera en réseau ou non. En revanche, notre conviction est qu’il faut être proche du terrain pour comprendre les besoins des clients, comprendre comment notre organisati­on y répond et comment le parcours client peut être repensé. Ce nouveau centre d’excellence nous permettra aussi d’harmoniser les parcours clients de manière à ce que la marque Société Générale puisse être facilement identifiée à l’ère de l’open banking.

Votre stratégie passe-t-elle également par des acquisitio­ns de fintech ?

Société Générale Ventures permet d’accélérer nos investisse­ments externes. Nous avons racheté en juin Lumo, une startup disruptive dans le crowdfundi­ng des énergies renouvelab­les. Nous avons annoncé en septembre l’acquisitio­n de Treezor, qui illustre notre approche de l’open banking : nous voulons à la fois accélérer notre stratégie sur le marché de détail et développer un marché « B2B2C », en proposant aux fintech des services technologi­ques d’ouverture de compte, de paiement, d’identifica­tion des clients (KYC) via des API [interfaces de programmat­ion] et des services financiers, comme le fait déjà notre filiale Franfinanc­e avec Yelloan par exemple. Nous avons aussi réinvesti dans TagPay [solution technologi­que pour le paiement mobile] et pris une participat­ion minoritair­e dans Reezocar, marketplac­e pour les voitures d’occasion, disruptive par rapport à notre métier de leasing. Nous avons sélectionn­é neuf domaines d’investisse­ment prioritair­es pour Société Générale Ventures : paiements et e-commerce, open banking, services aux PME, crédit et immobilier, cybersécur­ité, marchés de capitaux, blockchain et cryptoasse­ts, gestion de patrimoine. Nous avons aussi identifié cinq domaines plus prospectif­s : la mobilité, l’identité et l’expérience immersive, la valorisati­on de la donnée, le travail de demain et l’e-santé.

Quelles sont les priorités de Société Générale en matière de technologi­es : l’IA, le « big data », la « blockchain » ?

Nous sommes déjà bien avancés dans l’intelligen­ce artificiel­le, domaine que je connais bien. Nous avons testé le rappel immédiat des clients qui font des simulation­s en ligne ou des devis : le retour des clients a été très positif, or nous sommes conscients que cela peut être intrusif. Nous testons aussi notre agent conversati­onnel SoBot auprès de clients volontaire­s : c’est la personnali­sation, ou le nudging [coup de pouce] en marketing. La blockchain est une nouvelle technologi­e que nous explorons, qui a évolué très vite ces trois dernières années. Nous avons déjà plusieurs cas d’usage en production : we.trade, dans le trade finance, et komgo, dans le financemen­t du commerce internatio­nal des matières premières. Nous sommes aussi investisse­ur et partenaire de R3. Le monde du digital est très vaste, on ne peut pas tout couvrir et les paris doivent s’aligner sur la stratégie des métiers. Il est important de bien comprendre les technologi­es, de ne pas investir trop tôt et d’être efficace à deux ou trois ans.

La Société Générale scrute aussi l’innovation en dehors du groupe…

Oui, nous avons créé un réseau de plusieurs centres d’innovation en France, en Allemagne, au Luxembourg, en Israël, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Afrique et en Inde. Un centre devrait également bientôt voir le jour à Singapour. L’objectif est d’être au plus près des différents écosystème­s de manière à pouvoir renforcer notre stratégie de partenaria­ts commerciau­x au niveau du groupe, mais aussi de détecter rapidement les nouvelles tendances, les acteurs innovants et d’analyser leurs impacts pour les activités du groupe.

La “blockchain” est une technologi­e que nous explorons

 ??  ?? CLAIRE CALMEJANE DIRECTRICE DE L’INNOVATION ET MEMBRE DU COMITÉ DE DIRECTION DU GROUPE SOCIÉTÉ GÉNÉRALE
CLAIRE CALMEJANE DIRECTRICE DE L’INNOVATION ET MEMBRE DU COMITÉ DE DIRECTION DU GROUPE SOCIÉTÉ GÉNÉRALE

Newspapers in French

Newspapers from France