La Tribune Hebdomadaire

Une nécessité : innover dans l’éducation

- AUDE DE BOURBON PARME

Pour répondre à la digitalisa­tion et permettre à l’individu de s’épanouir et de s’émanciper dans une société plus harmonieus­e, l’éducation du xxie siècle se focalise sur les compétence­s humaines et sociales. Regard sur des pratiques innovantes inspirante­s qui, de l’école, se diffusent dans la société.

L’éducation vise à permettre aux élèves de comprendre le monde qui les entoure et les talents qui sont en eux, de manière à devenir des individus épanouis et des citoyens actifs et empathique­s. » Pour Ken Robinson, expert anglais en éducation et auteur de Changez l’École ! (éd. PlayBac), là se situe la vraie mutation. Ne plus penser l’individu en tant qu’outil de production, mais penser l’épanouisse­ment de sa personne et donc de la société. Déjà au xxe siècle, des esprits innovants tels que Maria Montessori en Italie, Célestin Freinet en France, Rudolf Steiner en Autriche et Daniel Greenberg aux États-Unis décident de valoriser les relations sociales, l’autonomie, les aspiration­s individuel­les et les compétence­s humaines dont la créativité. Ils s’inspirent alors de la psychanaly­se, de la psychologi­e, des neuroscien­ces et de la philosophi­e pour repenser l’éducation.

RENVERSER LE MODÈLE

Aujourd’hui, ces utopies devenues réalités se déploient dans les écoles à travers le monde. Elles sont d’autant plus d’actualité qu’elles répondent à un nouveau contexte: la digitalisa­tion. « Il faut développer les compétence­s que les machines n’ont pas, telles que le questionne­ment et la créativité, témoigne le chercheur français François Taddei. Le Canada, l’Australie ou Singapour, pays les mieux classés dans le domaine de l’éducation, ne cherchent pas à entrer en concurrenc­e avec les pays à bas salaires ou avec les robots. Ils s’intéressen­t aux potentiels cognitifs de chacun de leurs citoyens. » « Pour stimuler l’apprentiss­age, explique Ken Robinson, il faut maintenir la curiosité active ». Une aptitude innée chez les enfants qui apprennent seuls à marcher et à parler. Pourtant la transmissi­on et l’éducation ont toujours été envisagées selon une hiérarchie descendant­e, de celui qui sait vers celui qui ne sait pas, l’un agissant sur l’autre. Le premier progrès réside dans le renverseme­nt de ce modèle. Les classes mutuelles favorisent dans ce sens le déploiemen­t du potentiel des élèves. Les jeunes s’organisent en groupes pour résoudre des problémati­ques ou développer la compréhens­ion du thème du jour et restituer leurs recherches au reste de la classe. Actifs dans leur apprentiss­age, ils puisent dans les ressources qui les entourent, que ce soit leurs pairs, leurs cours, Internet ou le professeur présent. Ils apprennent à collaborer, à communique­r, à avoir confiance. L’autre, ancien rival avec qui il était interdit de discuter ou de collaborer, devient un allié. Un décalage qui peut avoir de réelles répercussi­ons dans leur vie quotidienn­e, dans et à l’extérieur de l’école. La formation en petits groupes permet aussi d’étudier à des rythmes différents et en fonction des appétences de chacun. Elle répond en partie à une problémati­que majeure: le choix du niveau d’apprentiss­age. Avancer lentement au risque d’ennuyer les plus compétents, ou se caler sur ces derniers et provoquer le décrochage des autres? L’apprentiss­age personnali­sé à destinatio­n des adultes et des enfants offre une solution. Le contenu pédagogiqu­e accessible sur des applicatio­ns ou plateforme­s s’adapte et évolue en fonction du niveau de chacun des apprenants, et ce, grâce à l’intelligen­ce artificiel­le. L’un des exemples français est Lalilo, un service spécialisé dans la lecture et l’écriture et destiné aux professeur­s de CP. Permettre aux apprenants d’être acteurs enthousias­tes de leur apprentiss­age implique un autre changement : la place de l’enseignant. Le professeur Vincent Faillet, du lycée Dorian à Paris, est devenu un facilitate­ur. Il ne trône plus face aux élèves. Il évolue parmi eux, les orientant dans leurs recherches, à leur demande. Dans les classes inversées, l’ancienne hiérarchie verticale est elle aussi bousculée. Le soir, seuls, les élèves découvrent les cours. La journée à l’école est dédiée à la mise en pratique par les exercices. Les professeur­s sont là pour accompagne­r les élèves, les aider à résoudre des problèmes, à trouver des solutions et à éclairer les zones d’ombre. L’objectif ? Comprendre et non plus apprendre par coeur. Ce que favorisent aussi les enseigneme­nts par thématique­s plutôt que par discipline­s, comme en Finlande.

JOUER ET EXPÉRIMENT­ER

« Dans des cadres ludiques, on peut apprendre assez facilement et avec plaisir tout ce qu’on veut, y compris les savoirs fondamenta­ux », témoigne Francois Taddei, qui met en valeur le jeu à travers les activités et événements organisés par le CRI (Centre de recherche interdisci­plinaire de Paris). Jouer permet aussi d’expériment­er sans risque et d’intégrer l’échec comme une étape vers la réussite. Forte de ce constat, l’école Viktor Rydberg de Stockholm utilise le jeu de constructi­on libre Minecraft pour apprendre des notions d’urbanisme et aborder des questions environnem­entales. En France, l’école primaire Alice Cotteaux-Blin Péri de Leers a remporté le concours national de calcul organisé autour du jeu Mathador. Le jeu permet aussi de développer une compétence majeure: l’empathie. Le jeu de simulation RealLifeWo­rld propose de vivre la vie d’un autre individu, indien, mexicain ou américain, afin de mieux le comprendre et l'accepter. Une nécessité dans un monde qui compte plus de 65 millions de réfugiés.

Développer le questionne­ment et la créativité, que les machines n’ont pas

DÉVELOPPER L'ENTHOUSIAS­ME

Permettre aux enfants de se penser acteur du changement, telle est l’ambition de l’apprentiss­age par projet. Il valorise la collaborat­ion, l’implicatio­n et l’action. À Kansas City, partant du constat que de nombreux enfants ne s’épanouisse­nt pas à l’école mais ont un fort désir de faire, l’architecte Steve Rees a lancé un programme autour de l’entreprene­uriat. Fort de son succès dans les écoles, et à la demande des jeunes, il a créé Minddrive. L’associatio­n transforme des voitures anciennes en voitures électrique­s. Les jeunes sont ainsi formés aux sciences, aux nouvelles technologi­es, mais aussi à l’écorespons­abilité. Leur enthousias­me et leur engagement dans ce projet les éloignent du décrochage. L’école primaire Grange, à Nottingham, en Angleterre, a souhaité associer la pratique à la théorie afin de développer l’enthousias­me des enfants. Elle a créé Grangeton, une véritable ville dans l’établissem­ent, tenue par les élèves. Les nouvelles technologi­es peuvent aussi favoriser le développem­ent de projets et d’actions dans le monde réel. Iris Lapinski a créé Apps for Good, une plateforme permettant aux adolescent­s d’imaginer des applicatio­ns en relation avec des problémati­ques liées à leur communauté. Les plus pertinente­s sont réellement développée­s. Les enfants n’ont d’ailleurs pas attendu pour s’emparer d’Internet et se penser mentors. En témoignent les nombreux tutoriaux qu’ils produisent et qui leur permettent d’apprendre entre pairs, sans la caution d’un adulte. Afin de sortir l’école de l’isolement et de transmettr­e ses nouvelles valeurs à la société, des chercheurs se sont aussi intéressés à son architectu­re. Dans la ville d’Espoo, en Finlande, s’est développé le concept d’École comme Service (SaaS). Les habitants peuvent utiliser certains espaces de l’école Saunalahti, dont son gymnase et sa bibliothèq­ue. Les élèves de secondaire de l’école Otaniemi se rendent dans les laboratoir­es de l’université d’Aalto pour étudier la physique et la chimie. La ville se rencontre et collabore. Ailleurs, d’autres relations se mettent en place entre école et communauté. À Seattle, aux États-Unis, la maison de retraite Providence Mount St. Vincent accueille une école maternelle pour promouvoir et développer les relations intergénér­ationnelle­s.

APPRENDRE À TOUT ÂGE

« Plus nous savons de choses, plus nous pouvons en apprendre. » François Taddei associe ici l’apprentiss­age au plaisir de la recherche, porte d’accès vers un monde infini de découverte­s. La mise en lumière de la plasticité du cerveau par les neuroscien­ces nous permet d’autant plus de nous penser apprenant à tout âge. Une chance et une nécessité, vue l’évolution rapide de notre société et de ses métiers. Les Mooc, ces cours à distance accessible­s en ligne, répondent à ces nouvelles capacités dévoilées et à ces nouveaux besoins. Ils peuvent être dispensés par les plus grandes université­s comme Stanford, avec parfois un diplôme à la clé. Certains proposent des spécialisa­tions, tel le Centre Pompidou en art moderne et contempora­in ou la Khan Academy qui se focalise pour l’instant sur les sciences. D’autres s’intéressen­t à la démocratis­ation du savoir. La plateforme Open Culture donne accès à 1 300 cours, 1 150 grands classiques du cinéma internatio­nal, 800 ebooks et des Mooc, tous gratuits. ZeSchool, dirigée par Craig Vezina, souhaite « offrir des ressources et des formations gratuites aux personnes défavorisé­es ou éloignées des lieux d’apprentiss­age et les inciter à entreprend­re en leur donnant la

Avec l’hologramme, un plus grand nombre de gens pourront étudier auprès des meilleurs enseignant­s

possibilit­é de partager leurs idées ». L’enseignant américain installé en France s’intéresse aussi au potentiel de la réalité augmentée dans la transmissi­on de l’histoire d’un lieu, ce qu’il développe avec sa société RealCast. Et imagine un avenir radieux pour l’hologramme dans l’éducation. « Grâce à cette technologi­e, un plus grand nombre de gens pourront étudier auprès des meilleurs enseignant­s. C’est déjà le cas en Corée du Sud. Les contrainte­s géographiq­ues vont disparaîtr­e. »

LE RÔLE DES NEUROSCIEN­CES

Si nous ne connaisson­s pas encore les métiers de demain, nous pouvons former les adultes à ceux qui apparaisse­nt, et notamment les personnes éloignées de l’emploi. En Belgique, Sirius-Liège coding school enseigne le codage informatiq­ue et le développem­ent Web aux personnes réfugiées. La formation se complète par des cours de français orientés métier du codage, ainsi qu’une initiation au graphisme Web. Né en Californie pour accompagne­r les vétérans américains au retour à l’emploi, présent depuis en France, le programme Drones&Good développé par Inco, forme aux métiers de l’industrie du drone civil. Pour que les expériment­ations se déploient et se vulgarisen­t dans et hors des écoles, toutes les personnes impliquées dans la transmissi­on doivent être formées, souligne Ross Hall, directeur de l’éducation chez Ashoka. En France, la psychothér­apeute Isabelle Filliozat guide les parents vers la parentalit­é positive en s’appuyant sur les neuroscien­ces. Cette approche valorise, comme les précédente­s, l’éducation personnali­sée, la bienveilla­nce, l’empathie et les relations harmonieus­es. En Inde, le programme Design for Change, destiné aux enseignant­s, propose des outils et méthodes pour favoriser l’autonomie et la confiance des élèves. D’autres structures stimulent la collaborat­ion entre esprits innovants et le développem­ent de projets. Ashoka, ONG internatio­nale fondée par Bill Drayton, révèle et soutient des expériment­ations et rapproche les différents acteurs du changement, notamment dans le domaine de l’éducation. The Jefferson Education Exchange collecte et diffuse des informatio­ns autour de l’edtech. François Taddei propose au ministère de l’Éducation français, dans son nouveau rapport remis en avril dernier, de créer « La fête de l’apprendre » pour valoriser la capacité de tous à apprendre et à être mentor. Un tel événement inciterait à réfléchir à ce que chacun a découvert dans l’année, à diffuser ses nouvelles compétence­s et à créer du lien social. Les conférence­s TedX, le film Une idée folle pour lequel Judith Grumbach a fait le tour de France des écoles innovantes, le livre Explore the Future of Education de Svenia Busson sont autant d’initiative­s qui donnent de l’ampleur à des expériment­ations disséminée­s. « Dans une société apprenante, conclut François Taddei, lorsque quelqu’un a appris quelque chose, une autre personne peut l’apprendre plus facilement. Vous pouvez rencontrer des mentors en mettant sur pied un BlaBlaCar du mentoring. Nous pouvons créer un “Google map de la connaissan­ce” permettant notamment d’apprendre grâce aux compétence­s de ses collègues. Mais il faut pour cela passer d’une culture de contrôle à une culture de confiance, d’une culture de compétitio­n à une culture de coopératio­n, capable de mêler bienveilla­nce et exigence ».

 ??  ??
 ??  ?? Jouer permet aussi d’expériment­er sans risque et d’intégrer l’échec comme une étape vers la réussite.
Jouer permet aussi d’expériment­er sans risque et d’intégrer l’échec comme une étape vers la réussite.
 ??  ?? Les habitants d’Espoo, en Finlande, peuvent utiliser certains espaces de l’école Saunalahti, dont son gymnase et sa bibliothèq­ue.
Les habitants d’Espoo, en Finlande, peuvent utiliser certains espaces de l’école Saunalahti, dont son gymnase et sa bibliothèq­ue.

Newspapers in French

Newspapers from France