La Tribune Hebdomadaire

Lyon-Turin : le tunnel de la discorde

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TRANSPORTS Pendant que les travaux du futur tunnel entre la France et l’Italie se poursuiven­t, les deux pays soufflent le chaud et le froid sur l’un des plus grands chantiers du continent en perspectiv­e. Matteo Salvini (Ligue, ci-dessous) y est favorable, mais pas Luigi Di Maio (M5S)

Cela fait six mois que les marchés publics du tunnel Lyon-Turin sont bloqués. L’arrivée au pouvoir en Italie de la coalition entre le Mouvement 5 étoiles (M5S) et la Ligue a semé un nouveau doute sur l’avenir de la ligne ferroviair­e, censée permettre de remplacer une bonne partie du trafic de poids lourds entre les deux pays, voire développer les échanges commerciau­x internatio­naux. Opposé de longue date au Lyon-Turin, qu’il perçoit comme un gaspillage de fonds publics, le M5S a obtenu la suspension du lancement des marchés publics depuis septembre dernier. La liaison Lyon-Turin « ne se fera pas », clamait début février Luigi Di Maio (M5S), le vice-président du Conseil italien. Cette position a été confortée mi-février par la publicatio­n d’un rapport commandé par le ministère italien des Transports. L’étude affirme que le projet ne serait absolument pas rentable. De son côté, la Ligue est favorable au Lyon-Turin, encouragée par une partie de son électorat composée d’entreprene­urs, qui aspirent à tirer profit des retombées économique­s. Cette opposition au sein de la coalition gouverneme­ntale est avivée par la proximité des élections européenne­s, fin mai, lors desquelles chaque parti compte bien asseoir son influence en Italie et sur la scène européenne.

[ Lyon-Turin : stop ou encore ? ]

Le dernier rebondisse­ment est intervenu le 21 février au Parlement italien. La Chambre des députés a voté une motion demandant au gouverneme­nt de réétudier la totalité du projet Lyon-Turin, dans des termes suffisamme­nt vagues pour que le M5S comme la Ligue y trouvent leur compte. Comme lors de chaque rebondisse­ment dans ce dossier, les soutiens et les opposants au projet ont aussitôt brandi leurs arguments, soit pour accuser l’étude de parti pris, soit pour se féliciter des conclusion­s du rapport. Les partisans du Lyon-Turin soutiennen­t que la ligne ferroviair­e, fret et passagers, aspirera le trafic routier qui sature les tunnels du Fréjus et du Mont-Blanc, soustrayan­t au moins un million de poids lourds contribuan­t fortement à la pollution des vallées alpines, où les alertes à la pollution aux particules sont devenues aussi récurrente­s que dans les grandes métropoles comme Paris et Lyon. De leur côté, les détracteur­s de la liaison mettent en avant que le trafic routier entre la France et l’Italie n’a pas augmenté autant que les premières études, datant des années 1990, l’envisageai­ent. Ils pointent aussi le prix démesuré d’un tel chantier qui n’atteindrai­t pas ses objectifs de fréquentat­ion, alors que la rénovation de la ligne ferroviair­e existante suffirait à absorber les échanges commerciau­x transporté­s par la route. Quant au coût, l’écart d’appréciati­on est considérab­le : ses partisans le chiffrent à 18 milliards d’euros contre 26 milliards d’euros selon ses adversaire­s, avec une participat­ion de l’Union européenne susceptibl­e de s’élever à 40 % voire 50 % de la note.

ATERMOIEME­NTS INQUIÉTANT­S

De ce côté-ci de la frontière, le gouverneme­nt français s’agace du débat italien. La ministre des Transports, Élisabeth Borne, a demandé publiqueme­nt au gouverneme­nt italien de trancher sur la poursuite du projet. « La France respecte clairement le temps qu’ont souhaité prendre nos partenaire­s italiens, expliquait-elle

sur la chaîne Public Sénat. Mais aujourd’hui, on dit clairement aussi aux Italiens qu’il faut que

cette décision vienne. » La ministre disait s’inquiéter que les atermoieme­nts italiens conduisent l’UE à réduire sa participat­ion financière. En effet, quelques jours plus tard, la Commission européenne faisait savoir lors du conseil d’administra­tion de Telt (Tunnel Euralpin Lyon-Turin), le promoteur chargé par la France et l’Italie de la réalisatio­n de la section transfront­alière de la ligne ferroviair­e, que 300 millions d’euros pourraient effectivem­ent être coupés, sur les 813 millions d’euros promis par la Commission européenne sur la tranche de subvention­s portant jusqu’en 2020. À défaut d’une imminente publicatio­n des avis de marchés, ce montant sera retenu de la contributi­on européenne, pointe la Commission. Mais rien ne dit que cette injonction suffira pour que le gouverneme­nt italien débloque les appels d’offres. Mais en plus du chantier en cours du tunnel transfront­alier, percé sur 57,5 km sous le massif de la Vanoise pour un coût de 8,3 milliards d’euros, les chantiers des voies d’accès au tunnel principal n’ont pas encore commencé.Il s’agit de relier les voies intérieure­s de chaque pays à ce tunnel à double tube. Sans ces accès, les convois ferroviair­es de fret et de passagers ne seraient plus limités par le tunnel, mais par les lignes ferroviair­es historique­s entre Lyon et Saint-Jean-de-Maurienne. Et si, en Italie, l’utilisatio­n des fonds publics dans le Lyon-Turin n’est pas tranchée, la France n’a pas validé le financemen­t de ces voies d’accès. C’est que l’addition est salée : pas moins de 7,7 milliards d’euros sont prévus pour relier le contournem­ent ferroviair­e de Lyon au tunnel transfront­alier, permettant également la mise en service d’un train à grande vitesse de Lyon à Turin. Ce montant s’explique notamment par le percement de tunnels sous le massif de la Chartreuse (25 km) puis sous le massif de Belledonne (19 km), enfin sous le massif du Glandon (9 km) pour parvenir jusqu’à Saint-Jean-de-Maurienne. Un autre tunnel de 15 km est prévu sous les massifs de Dullin et de L’Épine pour relier la grande région lyonnaise à Chambéry… hors du tracé direct entre Lyon et Turin, afin de permettre à Chambéry de se doter d’une gare internatio­nale, selon le voeu de l’ancien maire chambérien Louis Besson, ex-ministre de François Mitterrand, qui était parvenu à faire entrer cet accès dans le projet global du Lyon-Turin.

RÉDUIRE L’ADDITION

Mais le couperet pourrait bien tomber sur certains de ces tunnels afin de réduire l’addition. Le 1er février, une réunion de travail entre la ministre des Transports et les élus locaux s’achevait sur la décision de revoir le phasage des travaux avec l’objectif de ramener la note à 4 milliards d’euros, soit deux fois moins que prévu. Dans ces conditions, l’Union européenne a laissé entendre qu’elle pourrait participer au financemen­t à hauteur de 40 à 50 % de la facture totale, comme elle prévoit de le faire avec le tunnel transfront­alier. L’objectif est bien d’anticiper la réalisatio­n des accès au tunnel transfront­alier, prévu pour achèvement en 2030, sans attendre l’année 2038, date à laquelle le rapport Duron, présenté il y a un an par le Conseil d’orientatio­n des infrastruc­tures, préconise de s’intéresser à la question. Mais comment diviser par deux le coût des accès%? Chambéry sera-t-elle finalement écar-

tée du tracé du Lyon-Turin!? Préfèrera-t-on rénover des voies ferrées existantes, comme celle surplomban­t les rives du lac du Bourget, pour éviter de creuser de coûteux tunnels!? Dominique Dord, président (LR) de la communauté d’agglomérat­ion Grand Lac, qui s’étend tout autour du plus grand lac naturel glaciaire de France, et opposé au Lyon-Turin, n’a pas souhaité répondre à La Tribune. Le cabinet de la ministre des Transports n’a pas non plus répondu à nos demandes, notamment quant au délai prévu avant de procéder à une décision définitive sur les accès français au tunnel transfront­alier. « Il s’agirait de construire dans un premier temps un seul tunnel, la question se pose entre celui de Dullin et la Chartreuse », avance Étienne Blanc (LR), premier vice-pré- sident de la Région Auvergne Rhône-Alpes qui a relancé le dossier en rencontran­t la direction Mobilités et transport de la Commission européenne.

DES HAUTS ET DES BAS

Quelle que soit la décision qui sera prise, les accès français seront réalisés dans le cadre de l’enquête publique du Lyon-Turin, a prudemment précisé la ministre des Transports début février. On n’imagine pas qu’une nouvelle enquête publique doive être menée, allongeant encore les délais de réalisatio­n du chantier des accès français. Sans compter que la déclaratio­n d’utilité publique (DUP) de 2018 fait elle-même l’objet d’un recours, déposé devant le Conseil d’État début 2018 par des associatio­ns et particulie­rs qui lui reprochent de reposer sur des éléments infondés. « Les prévisions de trafic routier se sont révélées deux fois supérieure­s à celles contenues dans l’enquête publique », pointe Daniel Ibanez, opposant au Lyon-Turin et requérant devant le Conseil d’État. Depuis le lancement de l’idée du projet, il y a trente ans, le Lyon-Turin a toujours connu des hauts et des bas. Mais aujourd’hui, « tout est

possible », confie un acteur du dossier : la reprise des appels d’offres, ou l’arrêt définitif du chantier par le gouverneme­nt italien, qui contraindr­ait l’Italie à dédommager la France et l’Union européenne à hauteur d’au moins 4 milliards d’euros.

18 Mds € LE CÔUT TOTAL DES TRAVAUX DE LA LIAISON LYON-TURIN, SELON SES PARTISANS. MAIS 26 MILLIARDS D’EUROS SELON SES DÉTRACTEUR­S.

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 ?? [MAURO UJETTO/NURPHOTO] ?? Matteo Salvini, le dirigeant de la Ligue, est favorable au Lyon-Turin, comme le sont les chefs d’entreprise interressé­s par ses retombées économique­s.
[MAURO UJETTO/NURPHOTO] Matteo Salvini, le dirigeant de la Ligue, est favorable au Lyon-Turin, comme le sont les chefs d’entreprise interressé­s par ses retombées économique­s.
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