La Tribune Hebdomadaire

La mode circulaire et durable, le nouveau must

HABILLEMEN­T Des solutions visant à optimiser l’utilisatio­n de ressources et à réduire le gâchis de matières textiles se développen­t et deviennent « branchées ». Le point à l’heure de la Fashion Week.

- GIULIETTA GAMBERINI

CONSO. L’industrie textile devance les vols internatio­naux parmi les plus gros pollueurs de la planète. Et si nous, consommate­urs de mode, devenions plus responsabl­es ?

Le vent a brusquemen­t tourné en 2013, lorsqu’à l’ouest de Dacca, au Bangladesh, le Rana Plaza, un immeuble abritant des ateliers de confection textile pour plusieurs marques internatio­nales, s’est soudaineme­nt effondré. Depuis cette tragédie, qui a causé la mort de 1#127 personnes, le regard des consommate­urs occidentau­x sur la mode n’est plus le même#: la « fashion addiction » a commencé à se fissurer, au profit des critiques contre la « fast fashion ». Études, articles de presse, statistiqu­es ont fait émerger les revers bien peu glamour des tendances qui se suivent mais ne se ressemblen­t pas. Ainsi, selon une compilatio­n de chiffres effectuée par l’Agence de l’environnem­ent et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) en 2018, avec 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre émises chaque année, l’industrie de la mode devance l’impact climatique négatif des vols internatio­naux et du trafic maritime réunis. Entre 2000 et 2014, sa production a doublé, en dépassant les 100 milliards de vêtements vendus dans le monde – dont 2,5 milliards en France –, et devrait encore croître de 63 % dans les dix prochaines années. Elle consomme 4 % de l’eau potable de la planète. Sans compter les conditions indécentes de nombreux travailleu­rs du textile, révélées justement par le drame du Rana Plaza… Alors que, du 25 février au 5 mars, se tient à Paris la Fashion Week,une « mode circulaire », visant à optimiser l’utilisatio­n de ressources et à réduire le gâchis de matières textiles, se développe ainsi doucement dans le sillon d’une mode plus éthique (voir l’enca

dré). Selon la fondation Ellen MacArthur, si elle concernait l’ensemble de l’industrie, elle éviterait de gaspiller 560 milliards de dollars#: 460 en raison de la sous-utilisatio­n des vêtements et 100 à cause de l’incinérati­on et de l’enfouissem­ent d’habits encore en état d’utilisatio­n.

LE RECYCLAGE NE RÉSOUT PAS TOUT

En France, un coup d’accélérate­ur a été donné en 2006 lorsque, via la création par la loi d’une filière de responsabi­lité élargie du producteur (REP) pour les produits textiles d’habillemen­t, le linge de maison et les chaussures (TLC), les metteurs sur le marché de ces articles ont été contraints de prendre en charge, du moins financière­ment, la gestion de leur fin de vie. L’agrément en 2009 de l’éco-organisme de la filière, Eco TLC, a permis de structurer la collecte des TLC usagés, via quelque 43#000 points d’apport volontaire désormais présents sur le territoire français. Résultat#: sur les 624#000 tonnes de TLC mises sur le marché chaque année en France, 184#000 ont été triées en 2017, pour être soit revendues comme vêtements d’occasion (58 %), soit recyclées (32 %). Toutefois, comme le note Greenpeace dans un rapport de janvier 2017, cette solution est loin de tout résoudre. Certes, l’utilisatio­n de fibres recyclées se développe. Certaines marques,

comme Hopaal en France, font même le choix de dessiner et concevoir des vêtements intégralem­ent réalisés à partir de matières premières secondaire­s. Malgré quelques difficulté­s techniques – liées aux caractéris­tiques particuliè­res des fils recyclés – et d’importante­s contrainte­s économique­s – leurs prix peuvent atteindre le double des prix des fils vierges –, elles prospèrent, en profitant de l’engagement d’une partie des consommate­urs$: depuis sa création en 2016, Hopaal a doublé son chiffre d’affaires, explique l’un de ses cofondateu­rs, Mathieu Couacault. Mais malgré ces quelques succès, l’incorporat­ion de textiles recyclés dans les habits reste encore insuffisan­te pour permettre à l’industrie du recyclage de devenir compétitiv­e par rapport à la production de matières premières vierges, regrette le directeur général d’Eco TLC, Alain Claudot. Moins d’un tiers des Français a d’ailleurs acheté des produits intégrant des fibres recy- clées, révèle un sondage mené en juillet 2018 par l’éco-organisme. Un manque de débouchés qui risque d’ailleurs de faire obstacle à un élargissem­ent de la collecte, note le directeur. La quasi-totalité des habits triés sont en outre exportés, pour être transformé­s en fibres recyclées dans les pays où se concentre l’industrie textile, comme l’Inde et le Pakistan, ou pour être revendus en Afrique et en Europe de l’Est, reconnaît Alain Claudot. Or, « certains pays, notamment en Afrique, croulent littéralem­ent sous nos vêtements usés et de mauvaise qualité, et envisagent d’en restreindr­e l’importatio­n pour protéger leurs marchés locaux » , déplore Greenpeace, qui souligne également que « les exportatio­ns augmentent la pollution ».

LES PLATEFORME­S DE REVENTE D’HABITS CARTONNENT

D’autres solutions commencent donc à séduire les Français. 93 % d’entre eux déclarent ainsi tenter d’allonger la durée de vie de leurs produits en améliorant leur entretien, alors que 91 % s’adonnent aux réparation­s et aux retouches, selon le sondage de 2018 d’Eco TLC. 62 % effectuent même des achats d’occasion, notamment dans des vide-greniers et des brocantes, mais aussi sur Internet. Cette appétence ouvre de nouveaux marchés, et est même à l’origine de véritables success stories. C’est le cas des plateforme­s où les consommate­urs peuvent revendre leurs habits, plébis- citées par les adeptes du mouvement « zéro déchets », par les consommate­urs les plus fauchés mais aussi par les « fashionist­as » , qui espèrent y dénicher des perles rares. Parmi les plus connues en France, Vestiaire Collective et Vide Dressing, toutes les deux créées en 2009. La première, qui depuis sa naissance a levé 116 millions d’euros, couvre aujourd’hui l’Europe, les États-Unis et l’Asie. La deuxième, dont les levées de fonds atteignent désormais une bonne dizaine de millions d’euros, a été rachetée fin 2018 par Leboncoin. Mais des acteurs étrangers cartonnent également sur le marché français$: notamment le lituanien Vinted qui, moins axé « luxe » que ses homologues français, compte désormais 8 millions d’utilisateu­rs dans l’Hexagone, sur un total de 21 millions$: son premier marché. D’autres, comme l’espagnol Micolet, présent en France depuis 2017, se lancent malgré cette concurrenc­e. Pour cause$: ici, où le marché des textiles est globalemen­t en perte de vitesse, la vente d’habillemen­t de seconde main, aujourd’hui évaluée à 1 milliard d’euros, est selon l’Institut français de la mode, l’une des rares à avoir un avenir – avec le luxe et les chaînes à bas prix.

LA LOCATION ET L’ÉCO-CONCEPTION S’AFFIRMENT

Pour les consommate­urs qui souhaitent s’engager dans une démarche encore plus radicale de déconsomma­tion, d’autres offres voient aussi le jour. L’économie de la fonctionna­lité rejoint la mode, via la multiplica­tion des magasins ou des sites proposant une alternativ­e à l’achat de vêtements$: la location. Si certains (Les Cachotière­s, Une Robe Un Soir, C’est ma robe, Mabonneami­e, etc.) se focalisent sur l’emprunt occasionne­l de tenues particuliè­res (robes de soirée, de mariage), d’autres (Hylla, Tale Me, Le Closet, Le Grand Dressing, Panoply, etc.), permettent, sur abonnement, de recevoir régulièrem­ent de nouvelles pièces, Une solution qui rencontre sans doute encore des résistance­s – seuls 13 % des Français l’ont pratiquée selon Eco TLC –, mais qui s’affirme doucement, comme en témoigne un récent partenaria­t entre Panoply et les Galeries Lafayette, qui hébergent désormais la startup. L’éco-conception trouve aussi des applicatio­ns à contre-courant de la

fast fashion. Les marques proposant des habits résistants (Loom) et – c’est assumé – « indémodabl­es » (Jules & Jenn) sont de plus en plus nombreuses. Les vêtements pour enfants sont repensés pour s’adapter à leur croissance (Kidikado). Des alternativ­es qui dans la mode peuvent même être vues comme « disruptive­s », puisqu’elles remettent en cause le concept même de « tendance »... mais qui font de plus en plus partie de l’univers « branché ».

« Certains pays croulent sous nos vêtements usés et envisagent d’en restreindr­e l’importatio­n » GREENPEACE

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[ISTOCK] 93 % des Français interrogés déclarent tenter d’allonger la durée de vie de leurs produits en améliorant leur entretien.

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