Lever l’anonymat sur Internet ? Inutile et contre-productif !
INTERNET Pour de nombreuses voix au sein de la majorité, interdire l’anonymat en ligne aiderait à lutter contre le cyber-harcèlement. Pas si simple.
Plus de pseudo, plus d’anonymat… Et si nous utilisions tous Internet de façon publique, avec notre identité civile!? Ce vieux serpent de mer s’invite de nouveau dans le débat politique, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron. Après s’être prononcé fermement sur l’interdiction de l’anonymat en début d’année, le président de la République a tempéré ses propos suite à l’accueil glacial de sa proposition, tant par les associations de défense des libertés que par certains membres de la majorité. « Faut-il interdire l’anonymat partout sur Internet!? Cette voie pourrait à quelques égards nous mener au pire, il faudra donc y réfléchir à deux fois », a-t-il donc précisé lors de sa dernière déclaration en date, le 20 février, au cours du dîner annuel du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). Suite à la montée de la violence sur les réseaux sociaux, Emmanuel Macron a cependant confirmé qu’une proposition de loi contre la haine sur Internet sera dépo- sée en mai par la députée LRM Laetitia Avia. L’élue avait déjà remis en septembre 2018 un rapport sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme sur la Toile. L’idée a été relancée avec l’affaire de la « Ligue du LOL », nom donné à un groupe Facebook formé par des journalistes et des communicants s’étant livrés, au début des années 2010, à du cyber-harcèlement ciblé sur les réseaux sociaux. D’après les opposants à l’anonymat, utiliser son vrai nom permettrait de mettre fin au sentiment d’impunité des auteurs de cyber-harcèlement, donc de limiter les messages haineux pour établir un espace de dialogue apaisé sur Internet. « L’anonymat encourage un sentiment d’impunité pour ceux qui s’autorisent à harceler, humilier et insulter. La loi contre la haine sur Internet permettra de mieux lever cet anonymat lorsque ces délits seront commis » , a ainsi plaidé le 11 février Laetitia Avia sur Twitter. Si la proposition d’interdire l’anonymat a fait un flop, c’est parce que surfer incognito en ligne est déjà impossible. Bien que la majorité des personnes communiquent sous pseudo sur Internet, il est déjà possible d’identifier les auteurs des messages. Les sites et les opérateurs télécoms collectent l’adresse IP de l’appareil, ce qui permet de retrouver facilement la trace des auteurs dans la grande majorité des cas. Sans compter que les réseaux sociaux exigent une adresse courriel ou un numéro de téléphone pour la création d’un compte, ce qui permet, là encore, de retrouver les auteurs. Le 19 février, France 3 Alsace couvrait via Facebook live la « Quand on noyait mon pseudo sous des photos de merde et de pisse, je pouvais me dire que ce n’était pas moi » « DARIA MARX », VICTIME DE LA « LIGUE DU LOL ».
venue d’Emmanuel Macron à Quatzenheim (Bas-Rhin), après la profanation de tombes avec des tags antisémites. La chaîne a été contrainte d’arrêter son direct au vu de l’avalanche de commentaires
« ignobles et illégaux » et des « appels au meurtre explicites » , a-t-elle réagi. Dans un tel cas, il est déjà possible, grâce aux textes en vigueur, de retrouver les auteurs de messages punis par la loi. La loi dite « Schiappa », promulgée en août 2018, reconnaît les cy ber-harcèlements en groupe, aussi appelés « raids numériques ». Désormais, tous les membres d’un groupe incriminé peuvent écoper d’une sanction, et ce, même sans avoir agi « de façon répé
tée » . Autrement dit, publier un seul message dans le cadre d’une opération massive de cyber-harcèlement est punissable, « même en l’absence de
concertation » . Les sanctions peuvent aller d’une peine de prison jusqu’à deux ans et de 30!000 euros d’amende. Cette loi venait déjà renforcer l’arsenal législatif existant, notamment la Loi pour la confiance dans l’économie numérique de 2004, qui interdit le harcèlement et autorise l’identification des harceleurs. Ian Brossat, porte-parole du PCF et adjoint à la mairie de Paris chargé du logement, en a fait l’expérience. Sa plainte a finalement débouché en 2017 sur la condamnation de deux auteurs de tweets homophobes à deux et quatre mois de prison avec sursis par le tribunal correctionnel de Paris. « Quand les bornes sont franchies, anonymat ne vaut pas impunité » , insiste-t-il sur Twitter.
« Je ne souhaite pas que l’on mette fin à l’anonymat généralisé sur les réseaux
sociaux », a affirmé sur RMC le 25 janvier dernier Mounir Mahjoubi. Puis, le 14 février, le secrétaire d’État au Numérique s’est contredit en déclarant vouloir un « zéro anony
mat »… mais uniquement pour les internautes qui contribuent à « la démocratie
participative », notamment « les pétitions en ligne ». Une levée généralisée de l’anonymat pourrait surtout présenter un danger pour les victimes. Elles pourraient subir des pratiques encore plus ciblées et donc, plus difficiles à vivre au quotidien. « Quand [mon pseudo] Daria Marx était menacée de mort, quand on la noyait sous des centaines de photos de merde et de pisse, je pouvais me dire que ce n’était pas moi, écrit sur son blog cette victime de la « Ligue du LOL ». Je pouvais me détacher du personnage virtuel malmené. Cela m’a sauvée bien des fois. » Alors que la liberté d’expression est l’un des fondements d’Internet, utiliser son identité civile pourrait aussi conduire à une « autocensure de certaines communautés », selon Ketsia Mutombo, présidente et cofondatrice de l’association Féministes contre le cyber-harcèlement. « L’anonymat permet avant tout de préserver les victimes. Pour beaucoup de communautés comme les LGBTQI, le perdre conduirait à de l’autocensure. Par exemple, si certains d’entre eux n’ont pas fait leur coming out auprès de leur famille ou de leur employeur, ils préféreront se taire pour éviter les représailles ou les discriminations. »