La Tribune Hebdomadaire

Taxe carbone!: une pause pour quoi faire!?

ÉCOLOGIE Les idées foisonnent pour réhabilite­r la taxe carbone, mais les experts préconisen­t d’abord de revoir l’utilisatio­n des recettes et l’assiette.

- DOMINIQUE PIALOT

Nul ne sait encore ce qui sortira du Grand débat. Mais, sur un point au moins, celui-là même qui a déclenché le mouvement des « gilets jaunes », think tanks, économiste­s et parlementa­ires font preuve d’une productivi­té inédite. Tous rivalisent d’inventivit­é sur la façon de réenclench­er la hausse de la contributi­on climat énergie (CCE), inscrite dans la loi de transition énergétiqu­e de 2015, et que le gouverneme­nt avait décidé d’accélérer, avant de devoir l’abandonner pour tenter de calmer la colère des « gilets jaunes ». Ces dernières semaines, Terra Nova, l’Iddri (institut du développem­ent durable et des relations internatio­nales), une coalition de 19 organisati­ons regroupées autour de la CFDT et de Nicolas Hulot, Jean Pisani-Ferry et, tout récemment, le Conseil d’analyse économique (CAE), ont analysé les erreurs ayant conduit à l’impasse actuelle et esquissé des pistes pour en sortir. Car de l’avis général, la taxe carbone reste l’outil le plus efficace contre le changement climatique, à la fois sur les plans environnem­ental et macroécono­mique. Tous reconnaiss­ent que la dernière hausse prévue, qui devait porter la CCE de 44,6 à 55 euros au 1er janvier dernier, a été victime d’un contexte défavorabl­e, marqué par la flambée du cours du baril, sur fond de stagnation du pouvoir d’achat installée depuis des années. Mais le manque de transparen­ce quant à l’utilisatio­n de ses revenus et un sentiment d’injustice lié à son caractère régressif – qui fait porter sur les plus modestes un poids proportion­nellement plus lourd – et aux exonératio­ns dont bénéficien­t certains secteurs d’activité, ont aggravé la situation et contribué à l’émergence du mouvement des « gilets jaunes ». Outre le retour à une forme de taxe flottante permettant d’amortir les fluctuatio­ns du baril de pétrole, c’est à ces défauts que les experts proposent de s’attaquer. À commencer par la transparen­ce sur l’utilisatio­n des recettes, jusqu’ici versées au budget de l’État. Forts des meilleurs exemples étrangers, les différents think tanks préconisen­t au contraire de les consacrer intégralem­ent à la transition écologique et à l’ accompagne ment des ménages pour en gommer la régressivi­té. Pour Pascal Canfin, directeur général du WWF France, 50 % pourraient servir aux investisse­ments verts. Terra Nova, dans l’un de ses trois scénarii élaborés avec I4CE, fixe cette part à 30 %, les 70 % restant étant redistribu­és aux 10 % de ménages les plus modestes. L’Iddri propose une « prime de

transition écologique » renforçant la capacité des ménages à changer de comporteme­nts. Comme Nicolas Hulot et le patron de la CFDT, Laurent Berger, dans leur « pacte écologique et social », la note du CAE rendue publique le 20 mars propose d’affecter 100 % des recettes à la redistribu­tion. « En situation de pouvoir d’achat contraint, il faut d’abord régler le problème de redistribu­tion » , martèle Dominique Bureau, l’un de ses auteurs. La taxe carbone étant « l’outil le plus efficace pour préserver le pouvoir d’achat du Français, mais pas de chaque Français » , poursuit-il, le CAE préconise des transferts décroissan­ts selon les revenus et le lieu d’habitation, assortis de mécanismes d’aide à la conversion

[des véhicules ou des systèmes

de chauffage, ndlr] conditionn­és aux revenus, afin d’éviter qu’ils ne profitent surtout aux plus aisés, comme c’est aujourd’hui le cas. Un mécanisme de gel de la hausse pourrait être actionné selon les résultats obtenus. Le CAE enterre l’objectif d’un « double dividende » associé à d’autres utilisatio­ns des revenus engrangés, et insiste sur la nécessité de mixer cette redistribu­tion avec des réglementa­tions i ncitatives et de construire un récit susceptibl­e de soutenir un véritable projet collectif.

CONTRAT SOCIAL

Surtout, les experts préconisen­t de tirer profit de la pause dans la trajectoir­e à la hausse pour restaurer la confiance entre le contribuab­le et l’État. « Savoir comment vont être utilisées les recettes permet d’apaiser le débat concernant le niveau

de la taxe », veut croire Dominique Bureau. L’Iddri estime que les pouvoirs publics devraient mettre cette période à profit pour développer des alternativ­es propres, accompagne­r le déploiemen­t d’innovation­s, inciter à l’investisse­ment et faire baisser le prix de ces nouvelles technologi­es. Mais la mesure la plus consensuel­le concerne l’élargissem­ent de l’assiette, et donc la fin des exonératio­ns accordées à l’aérien (pour 3,6 milliards d’euros par an), au transport routier (1,5 milliard), à l’agricultur­e (0,9 milliard) et au BTP. Selon le CAE, cela permettrai­t d’atteindre les mêmes résultats sur le plan du climat avec un prix du CO2 à l’horizon 2022 inférieur de 20 %. « Avant toute chose, résolvons ces injustices$! » demande la députée (LREM) de l’Allier et coauteure de plusieurs rapports sur la fiscalité écologique Bénédicte Peyrol, convaincue que l’utilité de la taxe carbone ne pourra être reconnue que « si elle est comprise et accompagné­e d’un contrat social

PISTES DE SORTIE

Certes, rien de tout cela n’est simple%: les convention­s internatio­nales concernant l’aviation impliquent d’agir à une échelle au minimum européenne, comme l’ont d’ailleurs proposé les Pays-Bas et la Belgique, une piste soutenue par la secrétaire d’État française à la transition écologique Brune Poirson. Parvenir à supprimer ces diverses exonératio­ns pourrait donc prendre de 5 à 10 ans, ce qui ne signifie pas qu’il faille attendre autant avant de reprendre la hausse de la taxe carbone. « Il faut prévoir des trajectoir­es de sortie, reconnaît Bénédicte

Peyrol, avec de vrais accompagne­ments des secteurs concernés, concrétisé­s par des partenaria­ts et des contractua­lisations .» Autrement dit, tout le contraire de la tentative (avortée) de mettre un terme au tarif préférenti­el sur le gazole non routier dont bénéficie le BTP. « Il faut décider collective­ment, en adaptant les solutions aux différents territoire­s, et pas dans des bureaux à Bercy. » Alors seulement pourrons-nous peut-être faire mentir ce constat de Laurent Berger dans un entretien au Monde il y a quelques jours%: « Notre pays ne vit que dans l’instant et pâtit d’une incapacité d’anticipati­on. Quand le moment des choix arrive, ils se déroulent toujours dans une forme d’hystérie et de confrontat­ion stérile. On ne sait pas se fixer un cap clair ou tracer une trajectoir­e sans mettre les problèmes sous le tapis.

« En situation de pouvoir d’achat contraint, il faut d’abord régler le problème de la redistribu­tion » DOMINIQUE BUREAU, CONSEIL D’ANALYSE ÉCONOMIQUE

 ?? [MONTAGE/AFP] ?? Dans leur « pacte écologique et social », le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, et l’ancien ministre de l’Écologie Nicolas Hulot proposent d’affecter 100 % des recettes à la redistribu­tion.
[MONTAGE/AFP] Dans leur « pacte écologique et social », le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, et l’ancien ministre de l’Écologie Nicolas Hulot proposent d’affecter 100 % des recettes à la redistribu­tion.

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