La Tribune Hebdomadaire

La richesse d’Esther Duflo

- ROBERT JULES DIRECTEUR ADJOINT DE LA RÉDACTION

Cette semaine, le prix de la Banque de Suède en sciences économique­s en mémoire d’Alfred Nobel,

nommé par commodité « prix Nobel d’économie », a récompensé trois chercheurs pour leurs travaux sur la pauvreté : Michael Kremer et le couple formé par Abhijit Banerjee et Esther Duflo, cette dernière, américano-française, ayant été conseillèr­e du président Barack Obama. L’un des intérêts de cette recherche est d’établir les causes de la pauvreté par des enquêtes de terrain, qui peuvent varier selon le lieu, la période, le groupe étudié. Pour ce faire, les chercheurs choisissen­t plusieurs cas au hasard (d’où le fait d’être qualifiés de « randomites », ou aléatoires), ce qui leur permet d’identifier des problèmes qui passent sous le radar d’une approche macroécono­mique. Ainsi, en s’intéressan­t spécifique­ment à la façon dont l’éducation scolaire est donnée aux population­s les plus pauvres en Inde, ils ont montré l’importance de lutter contre l’absentéism­e (30"%) des professeur­s grâce à des incitation­s. Mais la même démarche pour lutter contre l’absentéism­e des infirmière­s s’est heurtée à la mauvaise volonté des autorités politiques.

Ce type d’études de terrain contraste avec des études macroécono­miques.

À l’exemple d’un rapport publié cette semaine par l’OCDE sur les conséquenc­es de l’obésité. Celle-ci touche surtout les population­s pauvres des économies développée­s. « Dans les 28 pays de l’UE, les personnes aux revenus modestes ont une probabilit­é d’être obèses supérieure à celle des personnes aisées, de 90#% chez les femmes et 50#% chez les hommes, ce qui fait de l’obésité un marqueur d’inégalités », souligne le rapport. Et le phénomène progresse. Il touchait 21"% de la population en 2010, 24"% en 2016, soit 50 millions d’obèses supplément­airesalors­mêmeque« lespaysdel’OCDEconsac­rent déjà 8,4#% de leur budget de santé au traitement des maladies associées à l’obésité », soit 209 dollars par habitant (ou au total 311 milliards de dollars). L’organisati­on recommande aux gouverneme­nts de renforcer la prévention, en améliorant l’étiquetage des produits alimentair­es ou en encadrant plus strictemen­t les messages publicitai­res et promotionn­els, notamment auprès des enfants. Selon l’OCDE, 1 dollar investi dans la prévention produirait 6 dollars de retombées économique­s. Sur le plan humain, cela permettrai­t de gagner entre 51"000 et 115"000 années de vie par an dans les 36 pays étudiés, d’ici à 2050. Le problème de cette étude macroécono­mique basée sur une modélisati­on est qu’elle néglige la complexité des situations entraînant l’obésité. C’est là où précisémen­t le travail d’Esther Duflo et ses collègues est précieux. Et que loin de s’opposer, micro et macroécono­mie sont complément­aires pour comprendre au mieux les problèmes des individus et apporter des solutions appropriée­s.

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