La Tribune Hebdomadaire

L’investisse­ment responsabl­e, une histoire de pionnières

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AVANT-GARDE

Fonds d’investisse­ment éthique ou spécialisé dans la transition énergétiqu­e, agence de notation extra-financière, plateforme d’épargne citoyenne... Derrière ces projets pour une finance plus juste, il y a systématiq­uement des femmes.

Maria Nowak, fondatrice de l’Agence pour le droit à l’initiative économique (Adie) démocratis­e, dès 1988, le microcrédi­t pour favoriser la réinsertio­n par l’emploi des personnes n’ayant pas accès au système bancaire classique. Geneviève Férone, crée en 1997 Arese, la première agence de notation sociale et environnem­entale en France. Nicole Notat quitte, en 2002, ses fonctions de secrétaire générale de la CFDT pour reprendre Arese qui devient Vigeo, une référence dans la notation extra-financière. Sophie Paturle cofonde, en 2005, le fonds de capital-investisse­ment Demeter, spécialisé dans la transition énergétiqu­e Anne-Catherine Husson-Traore cocrée, en 2010, Novethic, le centre de recherche et le média de référence sur la finance durable en France. En juin 2017, deux ans après l’accord de Paris sur le climat, Anne-Claire Roux propulse Finance for Tomorrow, l’initiative de promotion de la finance verte de Paris Europlace. Les fondations d’une finance plus responsabl­e, plus juste et plus durable ont-elles été posées par des pionnières"? Jocelyne Lemaire-Darnaud, réalisatri­ce du film « Moi, la finance et le développem­ent durable », sorti en 2010, pourrait le confirmer avec un énième exemple.

INVESTIR ÉTHIQUE

Dans le cadre de son enquête, elle a rencontré soeur Nicole Reille, à l’origine du tout premier fonds d’investisse­ment éthique en France, qui a vu le jour en 1983. Économe de la congrégati­on Notre Dame, cette religieuse devait faire face aux besoins de financemen­t des retraites de ses Soeurs. Au début des années 1980, elle a l’idée de faire fructifier l’argent de la congrégati­on en le plaçant, mais sous certaines conditions. L’épargne devait ainsi être gérée « en tenant compte des valeurs de justice, de respect de l’homme et de son environnem­ent », explique, sur son site, l’associatio­n Éthique et Investisse­ment, née de cette réflexion.

Comment expliquer le rôle clé des femmes dans cette transforma­tion de la finance"? « Statistiqu­ement, on sait que les femmes sont plus averses au risque et plus sensibles aux questions environnem­entales, sociales ou d’éducation. En revanche, le pourquoi reste une boîte noire. Est-ce une raison culturelle"? Génétique"? Est-ce que cela se joue dans les toutes premières années de vie ou bien plus tard"? On ne le sait pas », répond Tiphaine Saltini, titulaire d’un doctorat en finance comporteme­ntale et cofondatri­ce de la startup Neuroprofi­ler.

Si aucune étude scientifiq­ue n’a permis d’identifier clairement les facteurs de cette sensibilit­é, quelques pistes expliquant la part plus importante de femmes dans ce secteur de la finance peuvent être avancées. « Pendant très longtemps, les questions de développem­ent durable étaient rattachées aux directions de la communicat­ion, voire des ressources humaines, qui sont historique­ment des bastions féminins », note Anne-Claire Roux de Finance for Tomorrow.

L’EXIGENCE DE LA TRAÇABILIT­É

« Le modèle masculin de ploutocrat­ie, qu’incarnent très bien Donald Trump et Boris Johnson, est très répandu dans la finance. Le trader est une figure masculine par excellence. C’est un modèle fossile qui n’est pas pérenne. Il semble logique que son anti-modèle ait été bâti par des femmes », analyse, pour sa part, Anne-Catherine Husson-Traore de Novethic. Aujourd’hui encore, de nombreuses femmes oeuvrent à une finance plus responsabl­e. Judith Hartmann, directrice financière d’Engie, a fait de l’énergétici­en le plus gros émetteur d’obligation­s vertes en 2019. Marine de Bazelaire porte les sujets de développem­ent durable pour l’Europe continenta­le chez HSBC et Laurence Pessez est directrice de la RSE (responsabi­lité sociale des entreprise­s) depuis bientôt dix ans chez BNP Paribas. Devenant centraux, ces sujets liés au développem­ent durable devraient renforcer l’attractivi­té de la finance aux yeux des femmes, estime Diony Lebot, directrice générale déléguée de Société Générale. Eva Sadoun milite quant à elle pour une finance éthique. Du haut de ses 23 ans, elle a créé en 2014 la plateforme de financemen­t participat­if. Lita.co pour reconnecte­r l’épargne des citoyens à l’économie réelle en leur permettant d’acheter des obligation­s « vertes » dans des projets d’énergies renouvelab­les ou des actions de startups à impact positif et dans l’immobilier social. Lita. co a collecté 30 millions d’euros et vise les 100 millions pour 2020. « Notre rêve est que les particulie­rs puissent connaître précisémen­t l’impact de leur épargne sur la société », explique cette entreprene­use militante, pour qui la traçabilit­é est l’avenir de la finance. La relève semble assurée.

« Statistiqu­ement, on sait que les femmes sont plus averses au risque et plus sensibles aux questions environnem­entales, sociales ou d’éducation » TIPHAINE SALTINI,

COFONDATRI­CE DE LA STARTUP NEUROPROFI­LER

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