La Tribune Hebdomadaire

« Une femme en France a 30!% de chances en moins de lever des fonds »

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INÉGALITÉS

Fraîchemen­t diplômée d’HEC en 2008, Céline Lazorthes crée la cagnotte en ligne Leetchi, l’une des premières fintech tricolores. Elle devient ensuite et a aujourd’hui investi dans une trentaine de startups dont un tiers a été créé par des femmes. C’est aussi une mère et une militante engagée dans la réduction des inégalités d’accès au financemen­t pour les dirigeante­s de startup.

business angel

LA TRIBUNE – Vous avez créé Leetchi en 2009, quand le mot fintech n’existait pas. Vous aviez 25 ans. Quel accueil avez-vous alors reçu!?

CÉLINE LAZORTHES – Ce qui est certain c’est qu’on n’attendait ni une femme, ni quelqu’un de jeune sur la création d’une banque. On peut bien parler d’une banque, car Leetchi a le statut d’intermédia­ire de financemen­t participat­if depuis 2012. Je ne réalisais pas moi-même que j’étais en train de monter une banque. Bien mal m’en a pris, car sinon je ne me serais probableme­nt jamais lancée dans ce projet. J’étais simplement convaincue de ce besoin, et ça ne quittait plus mon esprit. Ma relation avec les banques a été difficile dès le démarrage. Il m’a fallu plus de six mois pour trouver un établissem­ent bancaire qui accepte de m’ouvrir un compte pour que je puisse créer l’entreprise. À chaque fois, on me le refusait et on me proposait un stage. Je n’étais pas crédible à leurs yeux. J’ai finalement réussi à ouvrir un compte au Crédit Mutuel Arkéa [qui a racheté Leetchi il y a quatre ans pour plus de 50 millions d’euros, ndlr]. J’ai aussi été confrontée à des attitudes machistes venant aussi bien des hommes que des femmes. Par exemple, lors de ma levée de fonds en série B, le représenta­nt d’un gros fonds d’investisse­ment de la tech ne m’a pas adressé la parole et n’a posé des questions qu’au banquier d’affaires qui m’accompagna­it. J’ai fini par me lever en proposant de faire les cafés...

Des femmes vous ont-elles inspirée et aidée dans votre parcours entreprene­urial!?

Il y a eu Catherine Barba [pionnière de l’ecommerce et business angel], qui était au conseil d’administra­tion de Leetchi en tant que membre indépendan­te. Elle m’a beaucoup poussée et encouragée. Il y a aussi eu Orianne Garcia, la fondatrice de Caramail. Je me rappelle l’avoir vue vers l’âge de 15 ou 16 ans lors d’une émission de Capital et m’être dit : « Quelle classe#! Je veux faire pareil#! » Je la voyais épanouie, brillante, en train de changer le monde… D’où l’importance des rôles modèles quand nous sommes jeunes car nous nous identifion­s.

Comment soutenez-vous aujourd’hui les femmes entreprene­ures!?

J’ai choisi le sujet du financemen­t des femmes entreprene­ures via le collectif Sista [qui réclame que j’ai créé avec Tatiana Jama, la fondatrice de Selectionn­ist [une appli mobile permettant de “flasher” et d’acheter des produits repérés dans la presse]. Selon le baromètre que nous avons publié en septembre avec le BCG, une femme a 30!% de chance en moins qu’un homme de lever de l’argent auprès des grands fonds d’investisse­ment français. Ceci est notamment dû à des biais inconscien­ts du côté des fonds, dirigés par des hommes ou des femmes, mais aussi parce que les femmes s’autolimite­nt. L’offre et la demande ne se rencontren­t pas. L’accès au financemen­t est le nerf de la guerre. Car la concurrenc­e américaine ne se situe pas à des kilomètres mais à un clic. Si nous souhaitons construire des leaders nationaux et internatio­naux, nous avons besoin de cash et si les femmes n’en ont pas pour financer leur entreprise, elles ne seront pas ces leaders-là. Nous nous retrouvero­ns alors avec des entreprise­s faites par et pour des hommes blancs quadragéna­ires issus de grandes écoles. Cela peut paraître un sujet technique, mais c’est un sujet de société : les femmes pourront-elles demain avoir les services et les produits dont elles ont besoin!? Sista est né d’un sentiment d’injustice et de colère. C’est dur de se rendre compte qu’on vit une inégalité. J’étais agacée d’entendre des fonds dire qu’il n’y avait pas de femmes entreprene­ures. Et d’entendre en permanence des histoires de femmes qui galèrent pour lever des fonds et à qui on fait des remarques, du type : «Vous reviendrez quand vous ne serez plus enceinte. »

« Si les femmes n’ont pas de cash pour financer leur entreprise, elles ne pourront pas construire des leaders nationaux ou internatio­naux »

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