La Tribune Hebdomadaire

Les tours de réseaux mobiles, « cash machine » des télécoms

ANTENNES-RELAIS D’Altice à Iliad en passant par Telecom Italia ou Vodafone, les opérateurs européens n’hésitent plus à se séparer de leurs pylônes de téléphonie.

- PIERRE MANIÈRE

Elles sont la partie la plus visible de l’activité des opérateurs télécoms. Les antennes de communicat­ion mobile sont souvent critiquées. Certains les jugent dangereuse­s pour la santé et veulent s’en débarrasse­r à tout prix. D’autres pestent contre ces grands mâts disgracieu­x et bardés d’électroniq­ue qui défigurent, selon eux, le paysage. Pourtant, les antennes-relais sont essentiell­es. Sans elles, les smartphone­s ne servent à rien, et il est impossible de surfer sur le Net ou de passer le moindre coup de fil. En France, les grands opérateurs nationaux (Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free) ne cessent d’en déployer de nouvelles pour étoffer leurs réseaux et mieux couvrir le territoire en 3G, en 4G, et bientôt en 5G.

Selon les derniers chiffres de l’Agence nationale des fréquences, il existe près de 48#000 sites 4G dans l’Hexagone, soit 10#000 de plus en deux ans. Certains de ces sites sont totalement nouveaux. C’est le cas lorsqu’ils sont déployés dans des villages situés en « zone blanche », qui n’étaient pas encore couverts, du tout, en téléphonie mobile. D’autres sont anciens, mais n’étaient jusqu’alors équipés que d’antennes 2G ou 3G. Quoi qu’il en soit, le nombre de tours télécoms va continuer à croître sur le territoire dans le sillage de l’arrivée de la 5G.

DES VENTES QUI RAPPORTENT GROS

Sur le Vieux Continent, ces pylônes sont aujourd’hui considérés comme une poule aux oeufs d’or. Ces dernières années, de nombreux opérateurs européens comme Bouygues Telecom, Altice, l’espagnol Telefónica ou le géant britanniqu­e du mobile Vodafone ont décidé de vendre une partie de leur parc. Pourquoi ? D’abord parce que ces ventes rapportent gros. Elles sont synonymes d’importante­s rentrées de cash dans un contexte d’investisse­ments importants dans la fibre, la 4G et, demain, la 5G. L’été dernier, Iliad, la maison mère de Free en France, a décidé de vendre 5#700 de ses tours télécoms en France et l’intégralit­é de ses 2#200 tours en Italie au spécialist­e espagnol des infrastruc­tures mobiles Cellnex. L’opération a rapporté 2 milliards d’euros. Un sacré pactole, que le groupe de Xavier Niel compte utiliser pour doper ses investisse­ments. En France, à l’exception d’Orange, tous les grands opérateurs mobiles ont décidé de vendre des tours télécoms lorsqu’ils ont rencontré des difficulté­s. C’est le cas d’Iliad, qui perd aujourd’hui beaucoup d’abonnés sur fond de guerre des prix. En décembre 2018, Altice, la maison mère de SFR, a décidé de vendre une participat­ion minoritair­e (49,99 %) de SFR TowerCo, une société gérant plus de 10#000 de ses tours en France, au fonds d’investisse­ment KKR pour 1,8 milliard d’euros. Cette opération a été préparée dans la foulée d’un exercice 2017 tumultueux. À l’époque, l’opérateur, plombé par d’importante­s pertes d’abonnés et des inquiétude­s sur sa capacité à rembourser son énorme dette, a vu son titre s’effondrer en Bourse. Patrick Drahi, le propriétai­re d’Altice, a d’emblée indiqué que le cash issu de la vente des tours serait en partie consacré au désendette­ment. En 2017, Bouygues Telecom avait aussi cédé en deux fois 3#600 de ses tours à Cellnex pour un peu plus de 1 milliard d’euros. À ce moment-là, l’opérateur de Martin Bouygues était considéré comme l’homme malade des télécoms françaises. Beaucoup se demandaien­t s’il aurait les reins assez solides pour rester compétitif dans un marché qui nécessite d’investir continuell­ement des sommes considérab­les dans les infrastruc­tures. En Europe, même tendance. En Italie, Telecom Italia et Vodafone ont décidé de loger leurs 22#000 tours télécoms dans une société commune avec la perspectiv­e de l’introduire en Bourse. Cette manoeuvre est apparue dans le sillage de folles enchères pour des fréquences 5G, où les deux opérateurs ont déboursé chacun 2,4 milliards d’euros. Numéro un européen du mobile, Vodafone, de son côté, a indiqué en juillet dernier qu’il réfléchiss­ait à céder quelque 60#000 pylônes en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Royaume-Uni.

LE BESOIN DE TOURS VA CRESCENDO

Pour les opérateurs, ces cessions de tours ont tout pour plaire. « Ils vendent ces actifs parce que les acheteurs sont prêts à payer des sommes bien plus élevées que le coût de constructi­on avec la perspectiv­e de mutualiser les équipement­s

d’opérateurs, constate Stéphane Beyazian, analyste chez MainFirst. De manière générale, en Bourse, le multiple d’Ebitda du secteur des télécoms se situe entre 6 et 7. Or les tours sont rachetées à des niveaux très supérieurs, oscillant entre 15 et 20 fois l’Ebitda. Cela porte le titre de l’opérateur, lui permet d’améliorer son bilan, tout en captant des liquidités supplément­aires pour investir. »

En face des opérateurs télécoms, de nombreux groupes jouent des coudes et n’hésitent pas à casser la tirelire pour récupérer leurs précieuses tours. C’est le cas des « tower co » (tower companies) comme Cellnex. L’ancien télédiffus­eur espagnol est devenu leader dans ce domaine. La semaine dernière, il s’est offert, pour 2,2 milliards d’euros, les pylônes de téléphonie du britanniqu­e Arqiva, portant son parc à 53#000 tours. Aux yeux des « tower co », les pylônes constituen­t des actifs précieux. D’une part, parce que les opérateurs, à qui ils louent leurs sites pour y installer leurs antennes, en auront toujours besoin dans les prochaines années. D’autre part, parce que ces tours sont en mesure d’offrir une belle rentabilit­é, surtout lorsqu’elles sont utilisées par plusieurs opérateurs. Dans ce contexte, les ventes devraient se poursuivre sur le Vieux Continent. D’après une étude de l’agence de notation Standard & Poor’s, la valeur potentiell­e des pylônes encore détenus par les opérateurs s’élève à plus de 90 milliards d’euros.

« Les acheteurs sont prêts à payer des sommes plus élevées que le coût de constructi­on avec la perspectiv­e de mutualiser les équipement­s d’opérateurs »

STÉPHANE BEYAZIAN, ANALYSTE CHEZ MAINFIRST

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[ISTOCK] DES CESSIONS QUI ONT TOUT POUR PLAIRE La vente des pylônes de communicat­ion mobile permet aux opérateurs européens d’engranger du cash, d’avoir plus de moyens pour investir et de donner un coup de fouet à leur cours en Bourse.

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