La Tribune Hebdomadaire

« Les fonds de pension vont précipiter l’effondreme­nt des énergies fossiles »

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ENTRETIEN Dans son nouveau livre, Le New Deal vert mondial. Pourquoi la civilisati­on fossile va s’effondrer d’ici 2028, le plan économique pour sauver la vie sur Terre, disponible depuis le 16 octobre, Jeremy Rifkin prédit l’irrémédiab­le chute du pétrole et du charbon. Mais le temps presse face au réchauffem­ent climatique. L’essayiste américain, conseiller de l’Union européenne sur ces questions, plaide pour la mise en place d’un New Deal vert. Son but : précipiter une Troisième Révolution industriel­le, celle des énergies renouvelab­les. PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÔME MARIN

Dans votre livre, vous militez pour la mise en place d’un New Deal vert. De quoi s’agit-il#?

Le New Deal vert n’est pas un concept nouveau. Il a d’abord émergé au Royaume-Uni et en Allemagne à la fin de la décennie précédente. Il a ensuite été importé aux États-Unis par la candidate verte Jill Stein. Il est aujourd’hui repris par de jeunes élus démocrates. Il s’agit d’une transforma­tion complète de l’économie vers un nouveau paradigme. C’est la Troisième Révolution industriel­le des infrastruc­tures, repensées pour les énergies renouvelab­les. Cela ne se fera pas uniquement avec une injection massive de fonds publics par les gouverneme­nts. Il faut que les projets soient menés au niveau des régions.

Vous prédisez l’effondreme­nt de la « civilisati­on fossile » d’ici à 2028. N’est-ce pas trop optimiste#?

Certaines études parlent de 2023, d’autres de 2033. Notre estimation se base sur ce que nous avons constaté en Allemagne. Quand l’éolien et le solaire ont atteint 14 % de parts de marché, les investisse­ments ont commencé à basculer très rapidement. Aux États-Unis, les énergies renouvelab­les représente­nt entre 8 % et 9 % de la production électrique. Les 14 % seront atteints d’ici à 2023. Au niveau mondial, ce point d’inflexion sera touché en 2028. Le vrai défi reste les transports. Seulement 2,5 % des voitures vendues sont électrique­s. Des études estiment que les voitures électrique­s seront compétitiv­es sans subvention à partir de 2023. Cinq ans plus tard, elles représente­ront 20 % de la production, au-delà du point de bascule. Les grands constructe­urs sont d’ailleurs en train de préparer cette transition. L’effondreme­nt de la civilisati­on fossile sera donc précipité par le marché. Le coût de l’énergie solaire et éolienne a chuté. Il est désormais inférieur à celui du nucléaire, du pétrole, du gaz et du charbon. Le coût des batteries a lui aussi chuté.

Vous pensez également que cette transition sera accélérée par les fonds de pension. Comment#?

Des investisse­urs gérant 11#000 milliards de dollars se sont détournés des énergies fossiles ces quatre dernières années#: des université­s, des fondations, mais surtout des grands fonds de pension, qui représente­nt des millions de travailleu­rs à New York, Londres ou Melbourne. Ils ont pris peur car ils ont vu ce qu’il s’est passé avec l’industrie du charbon, qui a perdu en compétitiv­ité et a été touchée par des faillites. Le problème, c’est que ces fonds ne créent pas les infrastruc­tures, c’est le rôle du gouverneme­nt. Tout l’argent retiré des énergies fossiles ne peut donc pas être redirigé vers des projets verts à grande échelle, car toutes les villes du monde n’en sont encore qu’à des programmes pilotes. Le problème n’est pas l’absence d’argent. Le problème, c’est l’absence de projet d’ampleur de transforma­tion des infrastruc­tures. C’est pour cela que nous avons besoin du New Deal vert.

Cela passe aussi par les créations de banques vertes. À quoi serviraien­t-elles#?

Les gouverneme­nts n’ont pas encore compris comment ils pouvaient financer la transition écologique. Et qu’ils n’avaient pas besoin d’utiliser leurs recettes fiscales ou d’instaurer de nouvelles taxes. Il faut mettre à profit les milliers de milliards de dollars d’investisse­ments qui se détournent de toutes les industries liées aux énergies fossiles. Ces investisse­urs recherchen­t des projets d’envergure. Les gouverneme­nts doivent donc instaurer des banques vertes, aussi bien au niveau national que local. Ces banques pourront ensuite émettre des obligation­s vertes qui permettron­t aux gouverneme­nts et aux collectivi­tés de financer ces projets sans avoir à utiliser de l’argent public. Mais il est nécessaire d’agir rapidement pour capter l’argent des fonds de pension.

Parmi vos 23 propositio­ns, vous prônez l’instaurati­on d’une taxe carbone redistribu­tive, comme l’ont récemment suggéré les économiste­s du Fonds monétaire internatio­nal…

Nous avons effectivem­ent besoin d’une taxe carbone, mais pas de la façon dont elle a été mise en oeuvre en France. Cette taxe doit augmenter de manière agressive au fil des ans. Elle doit surtout se traduire par une redistribu­tion, chaque mois, de toutes les recettes générées vers les ménages, en fonction de leurs revenus, de manière à ce qu’ils ne soient pas perdants. Laissons le fardeau de cette taxe reposer seulement sur les épaules de l’industrie des énergies fossiles. Ils sont responsabl­es de la situation. C’est donc à eux de payer la facture. En France, cela aurait permis d’éviter le mouvement des « gilets jaunes ».

Dans votre livre, vous soulignez que l’Union européenne et la Chine, avec lesquels vous collaborez, ont pris la mesure des enjeux, mais pas les États-Unis. Comment l’expliquez-vous#?

La prise de conscience existe, mais pas à la Maison Blanche. La conférence des maires vient de déclarer l’urgence climatique. Vingt-neuf États, démocrates ou républicai­ns, mènent des politiques en faveur des énergies renouvelab­les. C’est le gouverneme­nt fédéral qui ne bouge pas. Les États et les municipali­tés peuvent agir, même en cas de réélection de Donald Trump, ce qui serait catastroph­ique. Mais ils ont besoin que le gouverneme­nt fédéral mette en place des crédits d’impôts sur le solaire ou l’éolien. Ou qu’il apporte une aide financière aux banques vertes.

Cela ne s’explique-t-il pas aussi par le fait que les États-Unis, contrairem­ent à l’Europe et à la Chine, produisent du pétrole et qu’il existe donc de puissants lobbies industriel­s qui freinent la transition écologique#?

Oui, et c’est criminel. Ces gens-là savent que le marché se détourne d’eux, qu’ils ne pourront jamais rentabilis­er les installati­ons pétrolière­s et gazières qu’ils construise­nt. Ils le savent très bien, mais ils continuent parce qu’ils sont seulement préoccupés par leurs prochains résultats trimestrie­ls. Je ne sais pas comment ils peuvent rentrer chez eux le soir. Les États-Unis, mais aussi le Canada, sont les principaux cas isolés parce qu’il y a des intérêts économique­s gigantesqu­es, pour lesquels nous faisons même des guerres. Avec l’éolien et le solaire, il n’y a plus de guerre car le vent souffle partout et le soleil brille partout. Et ils nous forcent même à partager, parce qu’on ne peut pas stocker cette énergie.

Que vous inspirent les mouvements récents de la jeunesse sur le climat#? Peuvent-ils accélérer le changement#?

Je dois reconnaîtr­e que je n’avais pas pris toute la mesure de ce qu’il se passait. Il ne s’agit pas d’un autre mouvement politique mais de la première révolte planétaire de l’histoire de l’Humanité. C’est la première fois qu’un groupe commence à se considérer comme une espèce en danger. Maintenant, ils doivent encore accroître les manifestat­ions non violentes. Mais ils doivent surtout comprendre

« Laissons le fardeau de la taxe carbone reposer sur les épaules de l’industrie des énergies fossiles. Ils sont responsabl­es de la situation »

qu’il ne suffit pas de demander aux gouverneme­nts d’agir. Ils doivent devenir acteurs de la vie politique, au niveau local notamment, pour prendre le pouvoir démocratiq­uement. Le ferontils#? Seront-ils actifs sur le long terme#? Je ne sais pas.

Êtes-vous confiant sur la capacité des États à mener la Troisième Révolution industriel­le que vous réclamez#?

Oui et non. D’un côté, le changement climatique a lieu encore plus vite que nous ne le redoutions. Nous n’avons plus que douze ans pour transforme­r l’ensemble de notre civilisati­on. Si l’Union européenne et la Chine ont pris conscience du problème, ils n’agissent pas aussi vite qu’il le faudrait. Mais d’un autre côté, la technologi­e existe, le marché s’est exprimé. L’effondreme­nt des énergies fossiles se rapproche. Il ne manque plus que les feuilles de route pour mener la Troisième Révolution industriel­le. Nous pensons que nous pouvons avoir un début d’infrastruc­ture dans dix ans et parvenir à réduire de moitié les émissions de gaz à effet de serre. Puis une dizaine d’années supplément­aires pour arriver à une infrastruc­ture mature et régler le problème. Mais il s’agit du scénario idéal, qui n’est pas forcément le plus probable.

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[ULF ANDERSEN / AURIMAGES] URGENCE « Le problème n’est pas l’absence d’argent. Le problème, c’est l’absence de projet d’ampleur de transforma­tion des infrastruc­tures. »
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Jeremy Rifkin, Le New Deal vert mondial. Pourquoi la civilisati­on fossile va s’effondrer d’ici 2028, LLL, 304 pages, 21,80 euros.

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