La Tribune Hebdomadaire

« Nous avons besoin d’hommes féministes ! »

- KARIEN VAN GENNIP, PRÉSIDENTE D’ING FRANCE ET COPRÉSIDEN­TE DE FINANCI’ELLES

ENTRETIEN Ingénieure en physique, diplômée d’un MBA de l’Insead, ministre du Commerce extérieur, députée puis banquière. Et aussi mère de quatre filles. De son parcours singulier, qui l’a menée d’Amsterdam à San Francisco puis Paris, de McKinsey à l’Autorité néerlandai­se des marchés financiers et à ING, depuis 2008, Karien van Gennip, 51 ans, a gardé un regard original. Présidente d’ING France depuis 2015, elle a été élue en mai dernier coprésiden­te de l’associatio­n Financi’Elles. PROPOS RECUEILLIS PAR DELPHINE CUNY

La finance française vous semble-t-elle faire une place suffisante aux femmes ?

KARIEN VAN GENNIP – Quand je suis arrivée en France il y a quatre ans, une des bonnes surprises a été la part plus importante des femmes à des postes à responsabi­lité qu’aux Pays-Bas. L’existence de quotas en France, avec la loi Copé-Zimmermann, a permis une vraie progressio­n de la place des femmes. En interne, chez ING, j’ai mis en place une mesure simple : qu’il y ait toujours une femme parmi les trois derniers candidats à un poste. Sinon, on a tendance à promouvoir des personnes qui nous ressemblen­t en plus jeune, des « mini-moi » ! Je me souviens d’un collègue senior qui, il y a plusieurs années, m’avait objecté au sujet d’une candidate : « Ses

chaussures sont trop fashion ! » On doit pouvoir surmonter ce genre de biais.

Êtes-vous une militante ?

Je suis plus féministe qu’à mes débuts, il y a vingt-cinq ans. Je suis devenue activiste car nous avons essayé de faire progresser la place des femmes au plus haut niveau, mais les progrès ne sont clairement pas assez rapides. Le leadership reste à plus de 80 % aux mains des hommes. Pour faire bouger les choses, il ne faut pas seulement des femmes leaders, nous avons besoin d’hommes féministes ! Ma priorité en tant que coprésiden­te de Financi’Elles est de garder la mixité tout en haut de l’agenda de nos grands dirigeants d’entreprise. J’entends parfois un peu de lassitude sur le sujet, comme si le problème était réglé, or on est encore loin de la parité et de la véritable inclusion !

Qu’apportent les femmes de différent dans la finance ?

Au début de ma carrière, je considérai­s que le fait que je sois une femme n’importait pas. Mais un collègue d’expérience m’a fait comprendre que ce n’était pas le cas : si je suis la seule femme dans une réunion, je suis perçue comme différente, il faut en avoir conscience et en tirer parti. C’était un conseil précieux. Me perçoit-on avant tout comme femme, comme néerlandai­se ou comme banquière ? La diversité de genre, mais aussi culturelle et de points de vue, est facteur de performanc­e et facilite la prise de décision.

Il y a des sujets sur lesquels les femmes sont très investies. Par exemple, sur les questions liées au développem­ent durable. Une des réalisatio­ns dont je suis la plus fière, en tant que banquière en France, est notre politique de développem­ent durable. Nous avons mis en place des produits innovants, des prêts « verts » dont les taux sont indexés sur la performanc­e des entreprise­s en développem­ent durable, et nous utilisons notre bilan pour financer les projets de demain, à l’instar des parcs éoliens. Le sujet du bien-être au travail, qui comprend entre autres l’équilibre vie personnell­e et vie profession­nelle, est également prioritair­e selon moi. Je note d’ailleurs que les hommes sont plus à l’aise pour en parler dans un univers mixte. J’ai veillé chez ING à ce que l’on trouve une manière plus fun et plus joyeuse de travailler, car le bonheur au travail est une problémati­que importante.

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