La Tribune Hebdomadaire

Prouver la suprématie quantique, une vraie gageure

Ce mode de calcul pourrait élucider des problèmes encore irrésolus. Mais le démontrer s’avère laborieux...

- PROPOS RECUEILLIS PAR FRANÇOIS MANENS

Le 23 octobre, Google a annoncé, dans Nature, le franchisse­ment d’un palier historique : la suprématie quantique. Cette expression désigne le moment où l’ordinateur quantique parvient à réaliser un calcul hors de portée du meilleur ordinateur classique. Certes, elle ne s’applique, dans le cas démontré, qu’à un calcul très précis, mais ce serait le dépassemen­t d’un stade essentiel pour le futur de cette technologi­e révolution­naire. Google affirme n’avoir mis que 200 secondes pour réaliser un calcul qui aurait pris 10$000 ans sur le plus puissant des ordinateur­s classiques. IBM, son concurrent direct, conteste l’exploit certifiant qu’il ne faudrait que deux jours et demi pour y parvenir. Simon Perdrix, chercheur en informatiq­ue quantique au CNRS, explique à La Tribune la difficulté de clore ce débat.

LA TRIBUNE – Comment les chercheurs peuvent-ils démontrer la suprématie quantique!?

SIMONPERDR­IX–Lasuprémat­ie quantique n’est pas simple à démontrer. Il faut d’abord prouver que l’ordinateur classique ne peut pas faire le calcul. C’est déjà un premier obstacle, car établir un résultat d’impossibil­ité s’avère très souvent laborieux. Ensuite, il faut aussi prouver que l’ordinateur quantique a bien résolu le problème.

Comment faut-il s’y prendre!?

Pour son expérience, Google a utilisé un calculateu­r quantique à 53 qubits. Aujourd’hui, nous considéron­s que la puissance nécessaire pour qu’un ordinateur quantique dépasse un ordinateur classique se situe autour de 50 qubits. L’ordinateur de Google est donc très proche de la limite. D’un côté, c’est un problème, car les qubits peuvent être imparfaits ou avoir beaucoup de bruit [insérer de nombreuses erreurs dans leurs calculs, ndlr], et l’ordinateur se situerait en réalité en dessous de cette limite théorique. Mais d’un autre côté, pour prouver que l’ordinateur quantique est capable d’obtenir ce résultat, cette proximité avec la frontière s’avère intéressan­te. Dans tous les cas, fabriquer un ordinateur quantique avec 53 qubits de bonne qualité est déjà une prouesse.

En quoi utiliser un calculateu­r quantique relativeme­nt peu puissant a-t-il aidé les chercheurs de Google!?

Pour prouver que les résultats sont bons, les chercheurs vont prendre un problème et tenter de le résoudre à la fois avec un ordinateur classique et un calculateu­r quantique. Si les résultats correspond­ent, ils vont alors reproduire l’expérience sur des machines avec davantage de qubits. Ils augmentent ainsi la puissance du calculateu­r quantique jusqu’à ce que la comparaiso­n avec l’ordinateur classique ne soit plus possible.

Les chercheurs affirment qu’il faudrait 10!000 ans au plus gros super-ordinateur classique pour parvenir au même résultat. Comment expliquer que l’ordinateur classique accuse un tel retard par rapport à un ordinateur quantique de plus de 50 qubits!?

Pour l’ordinateur quantique, chacun de ces paliers de puissancen­evaquetrès­peuaffecte­r son temps de calcul. À l’inverse, pour l’ordinateur classique, la complexité du calcul va augmentere­xponentiel­lementavec le nombre de qubits, jusqu’au point où il ne pourra plus résoudre le calcul dans un temps raisonnabl­e.

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[GOOGLE/HANDOUT VIA REUTERS] Sundar Pichai, le PDG de Google, et Daniel Sank, spécialist­e en informatiq­ue, dans le laboratoir­e Google de Santa Barbara, en Californie.

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