La Tribune Hebdomadaire

Quels moteurs de croissance pour l’Afrique!?

TRIBUNE L’économie africaine peine à décoller. Comment changer la donne!? Les 12e Journées de l’économie de Lyon y consacrero­nt un débat. Le regard de François Bourguigno­n.

- PAR FRANÇOIS BOURGUIGNO­N, ÉCONOMISTE

Quarante pour cent de la population au sud du Sahara vit aujourd’hui sous le seuil d’extrême pauvreté, soit 1,70 euro par personne et par jour aux prix en vigueur dans les pays développés, soit encore 200 euros par mois pour deux adultes et deux enfants"! Si ce chiffre a enfin commencé à diminuer depuis le tournant du millénaire, le nombre absolu de pauvres, lui, stagne. Il est même en légère augmentati­on du fait d’une croissance démographi­que très rapide. Il y a aujourd’hui 1 milliard d’Africains au sud du Sahara, dont 400 millions de pauvres. Ils seront 2 milliards d’ici vingt-cinq ans et ils concentrer­ont alors l’essentiel de l’extrême pauvreté dans un monde où, de leur fait, l’inégalité aura peut-être commencé à ré-augmenter.

LES MATIÈRES PREMIÈRES NE SUFFISENT PLUS

Même s’il reste grand, l’écart de niveaux de vie entre pays émergents et économies avancées diminue rapidement. Pourquoi n’en va-t-il pas de même en Afrique"? Pourquoi l’optimisme débordant d’il y a une dizaine d’années est-il retombé"? Dans une large mesure parce que la croissance africaine repose sur l’exportatio­n de matières premières dont les prix réels – rapportés aux biens importés – ont d’abord explosé, puis chuté depuis quatre ou cinq ans. Ils avaient doublé entre 2000 et 2012 – tous produits confondus, pétrole, cuivre, café, coton..."; ils ont depuis baissé de 25"%. L’inquiétude succède à l’exubérance. Est-on à la veille de voir se répéter la lente récession des années 1980 et 1990"? Tout dépend de l’évolution du prix des matières premières, mais le risque est réel sans changement de stratégie de développem­ent.

Même s’il était possible de lisser parfaiteme­nt les effets des cycles que décrivent les prix des matières premières, celles-ci ne sauraient fournir un moteur durable et rapide de croissance à l’Afrique. D’une part, il est probable que le trend de long terme des prix réels soit orienté à la baisse. D’autre part, même si ce n’était pas le cas, les matières premières ne permettron­t pas à l’Afrique de rattraper son retard sur le reste du monde. En effet, le revenu des exportatio­ns de matières premières croît en moyenne comme l’économie mondiale, ce qui implique que la croissance des pays africains dépend en moyenne très fortement de celle de l’économie mondiale, soit de 3,5"% à 4,5"% par an. Avec une croissance démographi­que de l’ordre de 3"%, le revenu par tête africain ne peut croître au mieux que de 1"% à 1,5"% par an sur la longue période, un taux inférieur à la moyenne mondiale. Le retard de l’Afrique aurait alors tendance à s’accentuer.

ANTICIPER DES RISQUES TRÈS PROBABLES

La diversific­ation de l’économie dans l’industrie, l’agro-industrie ou certains services comme le tourisme est donc un impératif absolu du développem­ent africain. Plusieurs défis sont à surmonter pour faciliter un tel redéploiem­ent. En premier lieu, un lissage rigoureux des effets des cycles de matières premières est nécessaire pour éviter la désincitat­ion à la diversific­ation dans la partie haute du cycle, puisque l’on peut tout se procurer à l’étranger, et la contrainte de financemen­t des investisse­ments dans la partie basse. En second lieu, la compétitiv­ité des économies africaines est faible dans les activités où les économies d’échelle et d’apprentiss­age sont élevées. Il faut donc élargir les marchés nationaux par des unions douanières régionales effectives et exclusives, ce qui n’est pas toujours le cas des accords existants, et protéger momentaném­ent ces zones commercial­es de la concurrenc­e étrangère jusqu’à ce qu’elles puissent l’affronter. Ouvrir plus largement les marchés étrangers aux produits africains aiderait aussi à cette diversific­ation. En troisième lieu, l’énorme déficit d’infrastruc­ture physique et de capital humain doit être réduit, ce qui requiert une aide élargie et plus efficace.

Ces trois stratégies sont à mener de front, en même temps que continuent les efforts en cours en matière de gouvernanc­e. Un développem­ent rapide et durable reste

« Avec une croissance démographi­que de l’ordre de 3!%, le revenu par tête africain ne peut croître au mieux que de 1!% à 1,5!% par an, un taux inférieur à la moyenne mondiale »

possible en Afrique. Même si certains pays vont mieux que d’autres, la situation générale est cependant lourde de dangers. Les 400 millions de personnes additionne­lles qui arriveront sur le marché du travail dans les vingt prochaines années sont déjà nées et l’on ne sait pas aujourd’hui comment on pourra les employer et leur assurer une vie décente.

François Bourguigno­n est chaire émérite à l’École d’économie de Paris, ancien économiste en chef et premier vice-président de la Banque mondiale (2003-2007). Il interviend­ra à trois conférence­s (dont celle sur l’économie africaine) programmée­s dans le cadre des Journées de l’économie 2019 (Jéco) qui se dérouleron­t du 5 au 7 novembre à Lyon.

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Une carrière de coltan en République démocratiq­ue du Congo. La croissance africaine repose sur l’exportatio­n de matières premières dont les prix réels ont chuté depuis quatre ou cinq ans.
[BAZ RATNER/REUTERS] UNE SITUATION GÉNÉRALE LOURDE DE DANGERS Une carrière de coltan en République démocratiq­ue du Congo. La croissance africaine repose sur l’exportatio­n de matières premières dont les prix réels ont chuté depuis quatre ou cinq ans.
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[YURI GRIPAZ/REUTERS] François Bourguigno­n rappelle que l’Afrique au sud du Sahara compte 400 millions de pauvres.

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