La Tribune Hebdomadaire

Mario Draghi à la BCE : un bilan « énorme » et contrasté

HÉRITAGE Christine Lagarde succède ce 1er novembre à « Super Mario » dont la politique de taux bas et l’injection de liquidités ont évité la déflation mais pas les effets secondaire­s.

- DELPHINE CUNY

Un pot de départ très VIP. À sa cérémonie d’adieux, Angela Merkel, Emmanuel Macron et Sergio Mattarella, le président italien, se sont succédé à la tribune au siège de la Banque centrale européenne, à Francfort, lundi 28 octobre, pour rendre hommage à Mario Draghi. « Vous avez sauvé l’Europe du naufrage », a déclaré le président français. « Bien plus qu’un mandat réussi, vous nous léguez le flambeau de l’humanisme européen. En sauvant l’euro, c’est la protection de l’Europe et de ses citoyens que vous avez assurée », a-t-il ajouté. Cependant, à l’heure où Christine Lagarde prend officielle­ment la tête de l’institutio­n, le 1er novembre, le bilan du mandat de l’homme qui n’a pas relevé une seule fois les taux d’intérêt en huit ans ne fait pas l’unanimité.

« La BCE et Draghi ont sauvé la zone euro, mais à quel prix!? Nous avons maintenant trop de banques et d’entreprise­s “zombies” en Europe, habituées à l’argent bon marché, et cela va peser sur la croissance future », estime ainsi Jim Leaviss, responsabl­e obligatair­e chez M&G Investment­s. Les taux d’intérêt historique­ment bas ont enrayé le risque de déflation, mais ils ont produit des effets secondaire­s, nourrissan­t des bulles sur des actifs comme l’immobilier, minant la rentabilit­é des banques, rognant le rendement des épargnants. « Quel est le bilan de Mario Draghi!? Énorme, comme celui de la BCE », ironise Frédéric Rollin, stratégist­e macro senior chez Pictet Asset Management. Il fait référence à la taille du bilan de l’Eurosystèm­e (la BCE et les banques centrales nationales), qui a quasiment doublé au cours de son mandat, à 4%700 milliards d’euros, plus que celui de la Fed, sous l’effet du quantitati­ve easing (QE ou assoupliss­ement quantitati­f), le programme d’achats massifs d’actifs.

Entre mars 2015, le lancement du QE, et décembre 2018, l’arrêt des achats nets, la BCE a acheté pour quelque 2%600 milliards d’euros de dettes, d’États surtout et d’entreprise­s. Il s’agit de la mesure la plus emblématiq­ue de l’ère Draghi, au-delà de sa formule devenue mythique « whatever it takes » (prêt à faire « tout ce qu’il faudra » pour sauver l’euro), qui ramena le calme

sur les marchés à l’été 2012. « Ses détracteur­s mettent en avant cette politique de l’argent facile qui encourage les pays en déficit budgétaire à ne passeréfor­mer »,analyseEmm­anuelAuboy­neau, gérant associé chez Amplegest.

ROUVRIR LE ROBINET MONÉTAIRE

Par ailleurs, « Super Mario laisse quelques bananes derrière lui », résume avec humour Apolline Menut, économiste d’Axa IM, qui estime que la première tâche de Christine Lagarde sera d’obtenir « un consensus plus large sur la politique monétaire ». L’institutio­n est ressortie fortement divisée en septembre, lorsque Mario Draghi a annoncé une nouvelle baisse des taux et la reprise du programme d’achats d’actifs, contestée par plusieurs gouverneur­s de banque centrale de la zone euro, y compris le Français François Villeroy de Galhau.

La BCE va rouvrir le robinet monétaire à partir du 1er novembre, à raison de 20 milliards d’euros par mois, pour une durée indétermin­ée à

ce stade, « Une nouvelle phase de planche à billets illimitée. Cette décision est suicidaire », selon Marc Touati, du cabinet ACDefi. Pourtant, les indicateur­s économique­s semblent conforter le maintien d’une politique très accommodan­te, ligne défendue par Christine Lagarde lors de son audition au Parlement européen. « Le mandat de Mario Draghi à la tête de la BCE s’achève sur un PIB proche du point mort, un ralentisse­ment de la croissance de l’emploi, une quasi-stagnation des prix et un pessimisme croissant concernant les perspectiv­es », relève Chris Williamson, économiste d’IHS Markit. La situation n’est pas aussi tumultueus­e qu’en 2011, à la fin du mandat de Jean-Claude Trichet, mais elle n’est pas rose.

« Mario, votre travail est l’un des plus difficiles », lui avait dit Christine Lagarde, en mai 2015, en l’accueillan­t pour une conférence au FMI. « Super Mario » a confié lundi sa conviction qu’elle serait une « présidente fantastiqu­e » de la BCE.

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[PAOLO GIANDOTTI/PRESIDENTI­AL PALACE/HANDOUT VIA REUTERS] Au siège de la Banque centrale européenne, à Francfort, la passation de pouvoir entre Christine Lagarde et Mario Draghi, le « sauveur de l’euro ».

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