La Tribune Hebdomadaire

EPR : un rapport atomique pour relancer la filière nucléaire

ÉNERGIE Le rapport Foltz dénonce les faiblesses de la filière nucléaire française, tout en semblant justifier la constructi­on de nouvelles centrales. Retour sur un exercice acrobatiqu­e.

- JÉRÔME MARIN

C’est un exercice d’équilibris­te auquel s’est livré Jean-Martin Folz, dans un rapport remis en début de semaine à Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie. La mission était triple : à la fois dresser le constat, incontesta­ble et implacable, de l’échec retentissa­nt pour EDF de la constructi­on de l’EPR de Flamanvill­e, qui accumule les retards et les surcoûts!; se montrer optimiste sur l’avenir de ces réacteurs nucléaires de nouvelle génération!; mais aussi recommande­r la poursuite des investisse­ments dans leur développem­ent. « La pertinence du concept et du design » a été démontrée, justifie l’ancien PDG de PSA, citant l’exemple des deux réacteurs chinois de Taishan, mis en service ces derniers mois.

Sur une trentaine de pages, Jean-Martin Folz dénonce d’abord des estimation­s initiales « irréaliste­s », tant pour les coûts que pour les délais de constructi­on. « EDF a grossièrem­ent sous-estimé […] la complexité » du projet, assène-t-il. Initiale ment prévue en juin 2012, la mise en service n’interviend­ra pas avant fin 2022. La facture estimée a déjà quasiment quadruplé, passant de 3,3 à 12,4 milliards d’euros. La faute est également mise sur une série de dysfonctio­nnements et de dérapages, dont l’inventaire est accablant, mettant en lumière une gouvernanc­e « inappropri­ée » du projet et des « relations insatisfai­santes » entre les différente­s entreprise­s impliquées dans la constructi­on.

UNE EXPÉRIENCE CHÈREMENT ACQUISE

Plus grave encore, les difficulté­s du chantier témoignent d’une « perte de compétence­s généralisé­e » dans la filière nucléaire française, en particulie­r chez EDF et chez Framatome, l’ex-Areva NP devenue filiale d’EDF début 2018. Cela touche autant les

bureaux d’études, les fabricants de composants que « l’aptitude à gérer un très gros chan

tier ». En cause : l’absence de constructi­on de nouvelles centrales pendant près de vingt ans. Le rapport s’attarde notamment sur la « faiblesse des ressources et talents en technique et réalisatio­n de soudage » . Ainsi, le dernier retard en date a été provoqué par la découverte de soudures non conformes, qui devront être réparées grâce à l’utilisatio­n de robots téléopérés. Malgré tout, l’ancien patron de PSA se montre plutôt confiant, voulant croire que l’électricie­n français a tiré les leçons du fiasco de Flamanvill­e. Une « expérience si chèrement acquise », estime-t-il. « Les progrès observés au cours des récentes années doivent conforter, et amplifier, les derniers choix d’organisati­on faits par EDF », poursuit-il. Le rapporteur salue aussi l’entrée de Framatome dans le groupe, qui permet « de rationalis­er et de simplifier plus avant l’organisati­on des ressources scientifiq­ues et techniques dans les projets nucléaires. »

UN AVENIR PAS ENCORE ASSURÉ

Pour réussir la constructi­on des prochains EPR, le rapporteur préconise également de lancer « des programmes stables à long terme de constructi­on de nouveaux réacteurs »

afin d’impulser une nouvelle dynamique en donnant aux entreprise­s du secteur « la visibilité et la confiance nécessaire­s pour qu’elles engagent les efforts d’investisse­ment et de recrutemen­t indispensa­bles » . Et de citer l’exemple de la Chine, où « la constructi­on de centrales nucléaires se poursuit régulièrem­ent depuis une vingtaine d’années ».

Après tous ces déboires, l’avenir des EPR en France n’est officielle­ment pas encore assuré. Pour la filière nucléaire, le temps presse pourtant, afin de se préparer à la fermeture des plus vieilles centrales du parc français. Initialeme­nt, le gouverneme­nt devait prendre une décision mi-2021, à quelques mois seulement des élections présidenti­elles. Mais Bruno Le Maire n’hésite désormais plus à évoquer un report de calendrier. Pas avant 2023, soit après la mise en service de l’EPR de Flamanvill­e. Et surtout après le scrutin d’avril 2022. Le dossier est politiquem­ent sensible, alors que les retards à répétition semblent avoir durablemen­t terni l’image de ces réacteurs nucléaires, et que la prise de conscience écologique a fait naître de nouveaux enjeux électoraux que les prochaines municipale­s pourraient confirmer. Il s’entrechoqu­e en plus avec le projet de réorganisa­tion d’EDF, qui prévoit une scission en deux de l’entreprise – un « EDF bleu », renational­isé pour le nucléaire notamment, et un « EDF vert » pour les énergies renouvelab­les.

Un sujet socialemen­t explosif, qui mobilise déjà les syndicats. Il vient d’être reporté en 2020 et pourrait, lui aussi, traîner en longueur parce qu’il est lié à de difficiles négociatio­ns avec l’exécutif européen sur un relèvement du tarif de l’Arenh, le dispositif qui permet aux concurrent­s de l’électricie­n historique de lui acheter un quart de sa production nucléaire à un prix fixe. Pour les détracteur­s de l’atome, cependant, les conclusion­s de Jean-Martin Folz ne seraient en réalité qu’un moyen de préparer le terrain médiatique à l’annonce, déjà actée, de la constructi­on de nouveaux réacteurs. Et le discours de fermeté affiché par Bruno Le Maire – qui a dénoncé « un manque de rigueur inacceptab­le » et réclamé à EDF un « plan d’ac

tion » d’ici à la fin novembre – ne serait que de façade.

Ils en veulent aussi pour preuve la lettre adressée en septembre à Jean-Bernard Levy, le patron de l’électricie­n français, dans lequel le gouverneme­nt lui demandait de réfléchir à la constructi­on de « trois paires de réacteurs sur trois sites distincts » d’ici à 2035. Embarrassé, le ministère de la Transition écologique avait alors assuré qu’il ne s’agissait que d’une simple « hypothèse de

travail », qui « ne présage en rien les décisions qui pourraient être prises ». Quelques jours après la publicatio­n, mi-octobre, de ce courrier par Le Monde, JeanBernar­d Levy, dont le mandat à la tête de la société a été prolongé en mai, enfonçait encore le clou. « Il est clair que la France se prépare à construire de nouvelles centrales nucléaires », assurait-il au quotidien du soir, évoquant ensuite

les six EPR. « Pour faire baisser les coûts, il ne faut pas simplement faire des têtes de série les unes après les autres, mais un ensemble de réacteurs. C’est simplement la réalité industriel­le », justifiait-il. « Ce n’est pas EDF ni son PDG qui fixe la politique énergétiqu­e du pays », avait rétorqué Élisabeth Borne, la ministre de la Transition écologique. Sans convaincre les détracteur­s du nucléaire. n

« Les progrès observés au cours des récentes années doivent conforter, et amplifier, les derniers choix d’organisati­on faits par EDF »

JEAN-MARTIN FOLZ,

AUTEUR DU RAPPORT SUR L’AVENIR DE L’EPR

 ?? [ROMUALD MEIGNEUX/SIPA] ?? Bruno Le Maire et Élisabeth Borne (à gauche) lors de la remise du rapport de Jean-Martin Folz (à droite). L’ancien PDG de PSA a souligné les défaillanc­es mais aussi les espoirs que présente, selon lui, la technologi­e EPR.
[ROMUALD MEIGNEUX/SIPA] Bruno Le Maire et Élisabeth Borne (à gauche) lors de la remise du rapport de Jean-Martin Folz (à droite). L’ancien PDG de PSA a souligné les défaillanc­es mais aussi les espoirs que présente, selon lui, la technologi­e EPR.
 ?? [BENOIST/AFP] ?? LE DÉRAPAGE DES COÛTS ET DES DÉLAIS
Initialeme­nt prévu en juin 2012, le démarrage de l’EPR de Flamanvill­e n’aura pas lieu avant la fin 2022.
[BENOIST/AFP] LE DÉRAPAGE DES COÛTS ET DES DÉLAIS Initialeme­nt prévu en juin 2012, le démarrage de l’EPR de Flamanvill­e n’aura pas lieu avant la fin 2022.

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