La Tribune Hebdomadaire

QUI GAGNERA LA BATAILLE MONDIALE DU QUANTIQUE ?

STRATÉGIE Géants du numérique, États et grands industriel­s sont sur les rangs pour concevoir l’ordinateur du futur qui pourrait bouleverse­r tous les secteurs de l’économie.

- FRANÇOIS MANENS

Google revendique déjà la suprématie en matière d’ordinateur du futur mais les jeux ne sont pas faits.

« Ne pas comprendre comment l’informatiq­ue quantique va transforme­r son industrie est au mieux une opportunit­é manquée, au pire une question de vie ou de mort. » C’est avec cette mise en garde que le cabinet de conseil Boston Consulting Group conclut son rapport de référence sur l’informatiq­ue quantique. états, géants du numérique et grands industriel­s placent déjà leurs pions. Pourtant la technologi­e émerge à peine, et n’a pour l’instant donné naissance à aucune applicatio­n concrète. Mais si elle réalisait son potentiel, l’informatiq­ue quantique engendrera­it de nombreuses innovation­s de rupture. L’ordinateur quantique ouvre un pan entièremen­t nouveau de l’informatiq­ue. Une brique supplément­aire, capable de réaliser de nouveaux calculs et de s’attaquer à des problèmes irrésolus. Il ne remplacera­it pas l’informatiq­ue classique, mais permettrai­t d’aller plus loin dans certains cas. « Nous allons pouvoir nous pencher sur des processus physiques liés aux plus grands enjeux sociétaux, comme le réchauffem­ent climatique ou la médecine », anticipe Joseph Emerson, professeur en informatiq­ue quantique et fondateur de l’entreprise Quantum Benchmark.

À l’heure actuelle, les chercheurs ne parviennen­t pas à comprendre certaines interactio­ns entre molécules, comme entre les protéines par exemple, car l’ordinateur ne parvient pas à simuler tous les phénomènes naturels. Ces verrous bloquent le développem­ent de médicament­s plus efficaces, de matériaux renouvelab­les, ou encore de fertilisan­ts moins polluants. L’ordinateur quantique pourrait balayer ces difficulté­s avec sa capacité à explorer toutes les options à la fois, plutôt qu’une par une. Enfin, en théorie. « Les ordinateur­s quantiques actuels ne sont pas utiles car ils ne peuvent résoudre que des problèmes que nous savons déjà résoudre avec un supercalcu­lateur classique » , résume Joseph

Emerson. Mais tous les experts s’accordent : dans les mois à venir, l’informatiq­ue quantique prouvera, sur certains problèmes, sa supériorit­é sur l’informatiq­ue classique. En revanche, pour avancer sur la question des médicament­s ou des fertilisan­ts, il faudra attendre quelques années. À court terme, les ordinateur­s quantiques devraient seulement permettre d’améliorer l’optimisati­on des processus. Quelques grands groupes industriel­s se sont déjà emparés du sujet. Airbus, par exemple, va lancer un projet pour optimiser le rapport entre la consommati­on d’essence et la durée des phases de décollage de ses avions.

UN PROCESSEUR ULTRA-PERFORMANT

Pour faire tourner ces algorithme­s révolution­naires, une dizaine de concurrent­s essaient de construire un ordinateur quantique, certains depuis la fin des années 1990. Concrèteme­nt, la majorité de ces ordinateur­s présentés au public prennent la forme d’un grand cryostat, un récipient thermiquem­ent isolé, dans lequel règne une températur­e de quelques centièmes de kelvin (environ -$273 °C). Une condition nécessaire pour maintenir les propriétés quantiques des qubits (voir encadré ci-dessous). La machine elle-même diffère d’un supercalcu­lateur classique sur un composant : son processeur de calcul. Afin de créer cette puce quantique performant­e, chacun suit sa voie : circuits supracondu­cteurs (Google, IBM, Rigetti), ions piégés (IonQ,

Honeywell), spins d’électrons dans le silicium (CEA, UNSW), fermions de Majorana (Microsoft)... « Ces différents noms correspond­ent à différente­s méthodes d’ingénierie qui visent à créer des jeux de qubits capables d’interagir entre eux », décrypte Joseph Emerson.

La course porte sur la capacité des constructe­urs à non seulement générer un grand nombre de qubits, mais aussi à s’assurer de leur stabilité et de leur interconne­ction. L’améliorati­on de ces critères permettra d’allonger le temps de calcul et de réduire les erreurs, en plus d’augmenter la puissance des machines. Le constructe­ur qui remportera la course devra également passer son calculateu­r quantique à l’échelle, c’est-à-dire le produire en masse et l’améliorer régulièrem­ent.

DES INVESTISSE­MENTS CONSÉQUENT­S

L’informatiq­ue quantique en est aujourd’hui au même stade que l’informatiq­ue classique dans les années 1950, quand les machines fonctionna­ient avec des milliers de tubes à vide, avant que les processeur­s soient progressiv­ement miniaturis­és avec l’arrivée du transistor. À terme, peu importe la technologi­e qui

« Nous ne pouvons pas encore comprendre à quel point cette nouvelle forme de calcul peut transforme­r nos vies » JOSEPH EMERSON,

FONDATEUR DE QUANTUM BENCHMARK

gagnera la bataille, car les logiciels quantiques pourront tourner sur toutes les machines avec de légers ajustement­s.

Dans cette course au transistor du quantique, certains acteurs, Google et IBM en tête, publient régulièrem­ent autour de leurs avancées. À l’inverse, les Chinois entretienn­ent une forte culture du secret, malgré des investisse­ments conséquent­s. Et il n’est pas impossible qu’un acteur plus petit, comme le CEA français, puisse s’imposer. Mais pour en connaître le dénouement, les experts s’accordent : il faudra attendre une décennie. Et une fois que l’ordinateur quantique performant sera apparu, un gigantesqu­e marché s’ouvrira aux industriel­s. Joseph Emerson prévient : « Nous entrevoyon­s seulement le sommet de l’iceberg, et nous ne pouvons pas encore comprendre à quel point cette nouvelle forme de calcul peut transforme­r nos vies. »

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Ce prototype conçu par l’américain Rigetti maintient le cerveau de l’ordinateur, une puce de silicium, à -#273 °C pour garantir les propriétés quantiques des qubits.
[IMAGE COURTESY RIGETTI COMPUTING. PHOTO BY JUSTIN FANTL] DES MACHINES AUX ALGORITHME­S RÉVOLUTION­NAIRES Ce prototype conçu par l’américain Rigetti maintient le cerveau de l’ordinateur, une puce de silicium, à -#273 °C pour garantir les propriétés quantiques des qubits.

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