Assurance-chômage : le gouvernement s’apprête à appliquer sa réforme explosive
EMPLOI Depuis le 1er novembre, les conditions d’accès à une indemnisation de Pôle emploi sont durcies pour les nouveaux chômeurs. Analyse d’un dispositif aux effets incertains.
GRÉGOIRE NORMAND « Ces règles, c’est une punition. […] On entre dans une trappe à pauvreté pour ces demandeurs d’emploi »
LAURENT BERGÉ,
SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CFDT
C’
est un chantier qui a fait peu de bruit, mais ses résultats pourraient en provoquer énormément. Depuis le 1er novembre, s’applique le premier volet de la réforme de
l’indemnisation des chômeurs. « Ces règles, c’est une punition. […] On entre dans une trappe à pauvreté pour ces demandeurs d’emploi » a déclaré Laurent Berger, le responsable de la CFDT, au cours d’un débat organisé sur l’antenne d’Europe 1, mardi matin. Pour sa part, le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux a dit soutenir cette réforme car « le système », selon lui, permettait jusqu’alors « des stratégies d’optimi
sation » de la part de certains chômeurs. « Je ne sais pas comment cette réforme va avoir un impact sur les modifications des comportements des employeurs d’un côté, et des demandeurs
d’emploi de l’autre », notamment sur la question du travail des seniors, a expliqué par ailleurs le responsable du Medef.
Après l’échec des négociations entre les partenaires sociaux en février dernier, l’État a repris la main sur le système assurantiel. Ce changement va avoir des répercussions très concrètes sur des milliers de demandeurs d’emploi dans les prochaines semaines. Lors d’une conférence de presse, fin septembre, plusieurs représentants de l’Unédic n’ont pas caché leurs craintes sur les conséquences de l’entrée en vigueur de ces nouvelles mesures destinées, entre autres, à réaliser des économies. Patricia Ferrand, la présidente de l’organisme paritaire chargé de la gestion de l’assurance chômage, avait lancé un avertissement. « Ces règles changent énormément de choses [...] C’est un enjeu démocratique d’avoir une étude d’impact sur les nouvelles règles de l’assurance-chômage alors que les décrets publiés n’ont fait l’objet d’aucune évaluation. »
DES DÉCRETS D’APPLICATION PUBLIÉS EN PLEIN ÉTÉ
L’application dans quelques jours des mesures décidées par le gouvernement pourrait faire l’effet d’une bombe dans les rangs des futurs demandeurs d’emploi. La principale modification concerne la durée nécessaire de cotisation
pour toucher de nouveaux droits. Il faudra désormais avoir travaillé 6 mois sur les 24 derniers mois, contre 4 mois sur les 28 derniers mois auparavant. Alors que les décrets d’application de la réforme ont été publiés en plein milieu de l’été, l’Unédic a procédé à des simulations pour tenter d’en évaluer l’impact.
Parmi les principaux résultats, l’organisme paritaire insiste particulièrement sur la baisse du nombre de demandeurs d’emploi qui pourront ouvrir des droits en raison de la hausse nécessaire de la durée de cotisation. Le passage de 28 à
24 mois va également diminuer la durée du droit « car l’affiliation, à partir de laquelle la durée du droit est calculée, est recherchée sur une période
plus courte ». D’après les calculs de l’organisme en charge des comptes de l’assurance-chômage, environ 710$000 allocataires pourraient être concernés par cette mesure sur la première année de mise en oeuvre. Au niveau du rechargement des droits, des modifications sont prévues dans les décrets publiés au Journal officiel. Désormais, il faudra avoir travaillé au minimum pendant 6 mois pour recharger ses droits. Sous les conventions actuelles, il faut travailler 1 mois pendant sa période d’indemnisation pour bénéficier de ce rechargement.
POUR LES HAUTS SALAIRES, DES PRESTATIONS DÉGRESSIVES
L’autre disposition importante, qui devrait entrer en application dans quelques jours, concernera les salariés ayant perçu une rémunération supérieure à 4$500 euros bruts, soit environ 3$500 euros nets. Les allocataires de moins de 57 ans ayant touché des revenus supérieurs à cette somme verront désormais leur indemnité baisser de 30$% à partir du septième mois d’indemnisation. Cette baisse de l’allocation ne concerne pas les demandeurs d’emploi de plus de 57 ans, fortement touchés par le chômage de longue durée.
La crainte exprimée par les opposants à la réforme est que ce principe de dégressivité risque de s’appliquer aux autres catégories de chômeurs, alors que son efficacité est loin d’être approuvée parmi les économistes. Ainsi, dans une étude publiée en 2016, Bruno Ducoudré, économiste de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), avait noté que les bénéfices de la dégressivité sont « douteux et qu’elle crée des effets indésirables ». Ceux-ci seront visibles à partir du second semestre 2020. Les économies attendues de ce dispositif seraient de l’ordre de 140 millions d’euros à partir de 2021.
LES DÉMISSIONNAIRES AURONT DROIT AUX INDEMNISATIONS
Promesse de campagne du candidat Macron, l’indemnisation sera ouverte aux démissionnaires ayant travaillé dans la même entreprise au cours des cinq dernières années et ayant un projet de reconversion professionnelle ou de création/reprise d’entreprise. Avant de poser sa démission, le salarié devra demander un conseil en évolution professionnelle (CEP) et ensuite adresser à une commission paritaire (syndicats/patronat) une demande d’attestation « du caractère réel et sérieux » de son projet. Celle-ci examinera notamment « la pertinence
de la formation identifiée » et ses perspectives d’emploi ou, pour une entreprise, les « besoins
de financement » et les « moyens techniques et
humains » envisagés. Selon des estimations de l’Unédic issues de la loi Avenir professionnel, entre 17$000 et 30$000 personnes pourraient être concernées par cette mesure. Le coût d’un tel dispositif serait compris entre 230 et 345 millions d’euros par an.
La plupart des instituts de statistiques ont revu à la baisse leurs projections de croissance pour l’année prochaine. En France, si le coup de frein anticipé du produit intérieur brut est relativement modeste (la croissance devrait passer de 1,3$% à 1,2$%), le rythme des créations d’emploi devrait en revanche fortement ralentir. Les organismes de conjoncture prévoient environ 75$000 créations d’emploi dans le privé en 2020 contre 250$000 en 2019. En outre, le risque de se retrouver au chômage pourrait s’amplifier l’an prochain avec l’essoufflement de l’économie française. Le rôle d’amortisseur social joué traditionnellement par l’assurance-chômage pourrait alors se réduire avec l’application de cette réforme.
Si, d’un point de vue statistique, de nombreux chômeurs pourraient sortir des listes de Pôle emploi, cela aurait pour possible conséquence de gonfler les chiffres du « halo du chômage »$ : actuellement, les services de l’Insee estiment que 1,5 million de personnes souhaitent un emploi sans être considérées au chômage. n