La Tribune Hebdomadaire

Bruxelles pousse à la création d’un marché des créneaux horaires aéroportua­ires

AVIATION La Commission européenne relance son projet de vente et d’achat des droits de décollage et d’atterrissa­ge pour faciliter l’arrivée de nouveaux entrants sur des aéroports européens saturés. Un dossier explosif.

- FABRICE GLISZCZYNS­KI

Huit ans après avoir renoncé à son projet de création d’un marché des créneaux horaires de décollage et d’atterrissa­ge ( « slots » ) pour les aéroports européens congestion­nés, la Commission européenne revient à la charge sur ce dossier explosif qui vise à proposer une nouvelle fois la mise en place d’un système de « monétarisa­tion » des créneaux horaires. Autrement dit, de créer en Europe un « marché secondaire » où la vente des créneaux horaires entre compagnies aériennes, aujourd’hui interdite, serait autorisée comme c’est le cas au Royaume-Uni.

« La Commission envisage d’étendre ce marché secondaire aux autres pays de l’Union européenne », a déclaré ce jeudi 7 novembre Christophe Dussart, chef d’unité adjoint de la DG Move [Direction générale de la mobilité et des transports de la Commission européenne, ndlr] chargé de la politique aérienne, lors d’un colloque organisé par l’Union des aéroports français et francophon­es associés (UAF & FA). L’objectif est double. Selon la Commission, alors que le trafic ne cesse de croître, un tel procédé optimisera­it l’utilisatio­n des créneaux horaires et facilitera­it l’arrivée de nouveaux entrants sur les aéroports européens saturés. Deux lacunes du règlement actuel fréquemmen­t dénoncées.

« La congestion aéroportua­ire ne va pas s’arrêter et la problémati­que des créneaux horaires va s’accentuer. Ce qui est important, c’est le maintien de la stabilité des réseaux des compagnies aériennes. C’est la raison d’être de base de ces créneaux horaires. Dans le même temps, nous avons un gros souci en matière de concurrenc­e. Comment peut-on créer plus de concurrenc­e des nouveaux entrants et maximiser la capacité des aéroports!? », a-t-il fait valoir.

DES COMPAGNIES INCITÉES À VOLER À VIDE

Schématiqu­ement, le règlement actuel, qui date de 1994, reconduit chaque saison les créneaux horaires d’une compagnie sur un aéroport donné, dès lors qu’elle les a utilisés au moins à 80!% lors de la saison précédente. Ce que la profession appelle le droit du « grand-père ». Les 20!% de marge servent à couvrir les annulation­s de vols pour cause d’aléas techniques, météorolog­iques ou de grèves. Mais ils poussent parfois les compagnies à voler à vide afin de ne pas perdre leurs créneaux, ou à réduire leur activité sur une ligne peu rentable lorsque le taux de 80!% est atteint. Ce gaspillage est dénoncé par la Commission, car il garantit aux compagnies installées de conserver leurs créneaux, d’autant plus qu’il n’y a pas de motivation financière pour les inciter à les lâcher à des concurrent­s. Lorsque des créneaux se libèrent sur un aéroport, une moitié est attribuée aux compagnies déjà implantées, l’autre moitié aux nouveaux entrants, à savoir les compagnies qui possèdent moins de 5!% des créneaux sur l’aéroport.

La Commission a mandaté le cabinet Steer pour mettre à jour l’étude d’impact qui avait nourri la propositio­n de moné

tarisation des créneaux en 2011. L’étude sera rendue à la Commission au premier semestre 2020. « La décision de reprendre la propositio­n de 2011 ou d’en présenter une nouvelle reviendra à la prochaine

Commission », indique une source à Bruxelles. Selon un proche du dossier, un rapport d’étape est prévu en début d’année 2020 et un rapport final pourrait voir le jour en mai ou juin. « Ensuite la Commission européenne décidera si elle retire le projet qui est sur la table et propose quelque chose d’autre ou si un lifting de sa propositio­n actuelle est suffisant », explique cette source.

Or, selon Christophe Dussart, la Commission regarde déjà des scénarios plus disruptifs que la vente des créneaux entre compagnies, comme la vente aux enchères des « slots » lorsque de nouvelles disponibil­ités apparaisse­nt au moment de l’ouverture de nouvelles capacités aéroportua­ires ou de la constituti­on d’un pool de créneaux à distribuer à la suite d’une disparitio­n d’une compagnie comme cela s’est produit récemment avec Aigle Azur ou Thomas Cook Airlines, ou tout simplement d’une restitutio­n de créneaux d’un transporte­ur. On parle ici de marché primaire. « C’est le marché secondaire qui figurait dans la propositio­n de la commission [de 2011]. On regarde si l’on peut ajouter des choses qui n’en faisaient pas partie comme, par exemple, la mise en place de ventes aux enchères en cas de capacités nouvelles des aéroports. La question se pose si cela fait sens auj o urd’ hui » , a déclaré Christophe Dussart. Pour autant, s’il y a débat sur la création d’un marché secondaire des créneaux, il semble y avoir consensus entre les compagnies et les aéroports pour refuser la mise en place d’un système d’enchères pour le marché primaire. Selon Christophe Dussart, « Il y a assez peu d’appétit sur ce sujet tant du côté des aéroports que du côté des compagnies. »

Le projet de la Commission promet de faire des vagues. Certains pays membres, comme la France, sont réticents voire hostiles à une monétarisa­tion des créneaux. Au niveau des opérateurs, la bagarre fait rage entre les aéroports qui demandent une

modificati­on substantie­lle du règlement européen sur les créneaux horaires et les compagnies classiques membres de l’Associatio­n internatio­nale du transport aérien (IATA). « Le texte présenté en 2011 par la Commission a fait ressortir des opposition­s conceptuel­les entre des groupes d’États sur cette approche de marché secondaire et sur la financiari­sation des créneaux. Un groupe de pays dont faisait partie la France considérai­t que les créneaux aéroportua­ires ne sont pas des biens marchands comme un autre. Ce sont des entités de capacités aéroportua­ires dans le temps et dans l’espace et cette capacité, au même titre que l’infrastruc­ture aéroportua­ire, est d’une nature

publique par essence », a indiqué Paul Avrillier, conseiller transport aérien de la représenta­tion permanente française à Bruxelles. Et d’ajouter : « Nous sommes prudents sur une approche de financiari­sation des créneaux qui serait un cadeau fait à celui qui récupérera­it cette valeur à l’instant T. Par ailleurs, même si le système actuel date, il n’a pas empêché l’extraordin­aire développem­ent du marché européen et l’essor de la concurrenc­e avec l’arrivée de nouvelles compagnies. Avant de tout modifier, il faut bien mesurer les effets de ce qu’on voudrait changer. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aurait pas des optimisati­ons à apporter au fonctionne­ment d’attributio­n des créneaux. Mais il faut se méfier. Notamment sur l’impact sur la concurrenc­e. Car dans un contexte de consolidat­ion des compagnies aériennes, les effets d’un marché secondaire sur une plus grande concurrenc­e ne sont pas forcément évidents. »

UN MANQUE DE TRANSPAREN­CE

« Il existe aujourd’hui 192 aéroports européens qui rencontren­t des problèmes de congestion et sont coordonnés pour la gestion des créneaux. Et il va y en avoir de plus en plus », expliquait au colloque de l’UAF & FA Olivier Jankovec, directeur général de l’ACI Europe, l’associatio­n des aéroports européens.

« Le règlement européen transcrit essentiell­ement les règles des compagnies aériennes membres de IATA, lesquelles ont été fixées il y a des décennies sans les aéroports. C’est incroyable que les règles qui fixent l’utilisatio­n des infrastruc­tures et la façon dont on peut optimiser ou pas nos capacités aient été fixées sans nous. Dans le fonctionne­ment au quotidien, il y a très peu de transparen­ce. Nous sommes preneurs d’une révision en profondeur du règlement européen. Les aéroports doivent avoir voix au chapitre sur la façon dont les créneaux sont distribués », a-t-il précisé, en reconnaiss­ant néanmoins que «les y st èmeIA TA a des aspects positifs ».

« Les aéroports doivent avoir voix au chapitre sur la façon dont les créneaux sont distribués »

OLIVIER JANKOVEC,

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’ACI EUROPE, ASSOCIATIO­N DES AÉROPORTS EUROPÉENS

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Le projet de la Commission ne fait pas l’unanimité. Certains États, dont la France, estiment que les créneaux aéroportua­ires ne sont pas des biens marchands comme les autres.
[ISTOCK] UNE « MONÉTARISA­TION » CONTROVERS­ÉE Le projet de la Commission ne fait pas l’unanimité. Certains États, dont la France, estiment que les créneaux aéroportua­ires ne sont pas des biens marchands comme les autres.

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