La Tribune Hebdomadaire

Tro!ine!es recherchen­t régulation, désespérém­ent"!

LIMITATION Les opérateurs de modèles en «!free floating!», autant appréciés que décriés, veulent s’imposer en ville. Paris a lancé un appel d’o"res au cahier des charges rigoureux pour limiter les abus.

- JÉRÔME MARIN

Matin et soir, le ballet des camionnett­es se répète. Dans cette zone industriel­le de Gennevilli­ers, dans les Hauts-de-Seine, des milliers de tro!ine!es électrique­s sont rapatriées chaque jour. Elles repartiron­t quelques heures plus tard, rechargées et si besoin réparées. Direction : les rues de Paris, où elles pourront être louées à la demande depuis un smartphone. Noires, vertes, rouges, orange… En quelques mois, ces deux-roues ont envahi la capitale, comme elles avaient déjà colonisé d’autres grandes villes américaine­s et européenne­s. Elles y ont, souvent, rencontré un franc succès. Mais aussi suscité un véritable ras-le-bol d’une partie de la population.

LES RENDRE DISPONIBLE­S PARTOUT ET À TOUTE HEURE

C’est ici que Bird, l’un des leaders du marché, a installé la gestion opérationn­elle de sa flo!e parisienne. Difficile de savoir combien de tro!ine!es sont stockées, en ce!e matinée d’octobre, dans cet entrepôt de 1#500$mètres carrés. Environ 700 en train d’être rechargées, au moins autant prêtes à être ramenées. Et encore plusieurs centaines entassées au fond en a!ente de pièces détachées ou de composants électroniq­ues pour être remises en état de marche. Juste à côté, une dizaine de mécanicien­s s’affairent pour réparer sonne!e, éclairage ou béquille d’autres encore.

À Paris, la société américaine dispose d’environ 4#500 engins, mais n’en déploie que 4#000 maximum dans les rues. Selon les estimation­s, près de 20#000 tro!ine!es sont mises à dispositio­n des Parisiens et des touristes par Bird et ses concurrent­s, comme Uber (par l’intermédia­ire de sa marque Jump), Lime, Voi ou Do!. « Notre flo!e doit a!eindre une taille critique », justifie Arthur-Louis Jacquier, directeur général de Lime à Paris. Pour créer des habitudes et fidéliser les utilisateu­rs, les opérateurs doivent en effet s’assurer que des trottinett­es sont disponible­s partout et à tout moment de la journée, en particulie­r aux heures de pointe lorsque la demande est forte. La révolution des trottinett­es électrique­s a commencé à Santa Monica, banlieue cossue de Los Angeles, sur les bords de l’océan Pacifique. À son origine : Travis VanderZand­en, ancien haut dirigeant d’Uber et de son grand rival américain Ly&. Et fondateur de Bird. En septembre 2017, la startup lance une dizaine de véhicules dans la cité californie­nne. À ce!e époque, la mode est encore aux vélos en free floating (sans bornes), modèle importé des grandes métropoles chinoises. L’intérêt pour ces modèles est immédiat. Un an plus tard, Bird est déjà présent dans une centaine de villes, et a levé plus de 250 millions de dollars auprès d’investisse­urs. Les spécialist­es de la location de vélos se convertiss­ent aux trottinett­es. Et de nouveaux opérateurs se créent.

DU PASSAGE EN FORCE À LA NÉGOCIATIO­N

Si ces plateforme­s ont grandi aussi vite, notamment aux États-Unis, c’est parce qu’elles ont repris une tactique déjà employée avec succès par Uber quelques années plus tôt. D’abord, se lancer dans de nombreuses villes, sans autorisati­on ou discussion préalable avec les municipali­tés, profitant le plus souvent d’un vide juridique. Ensuite, créer de la demande, en proposant une alternativ­e aux transports traditionn­els et en jouant également sur l’effet de nouveauté. Puis, enfin, tenter d’utiliser sa clientèle pour forcer la main des élus. « Si nous avions demandé l’autorisati­on, nous ne nous serions jamais lancés, assure Driss Ibenmansou­r, directeur de Bird en France. C’était un mal nécessaire. »

Paris n’a pas échappé au phénomène. « Au début, il y a eu jusqu’à 12 opérateurs de tro!ine!es à Paris », se souvient Anne Hidalgo. Une véritable « anarchie » qui a poussé la municipali­té à taper du poing sur la table. Si elle n’a pas interdit ces services, à l’inverse de plusieurs grandes villes américaine­s, elle a annoncé en juillet une série de mesures. « Il faut qu’ils respectent des règles du code de la route », poursuit la maire de la capitale, qui cite l’interdicti­on de circuler et de stationner sur le tro!oir, ainsi que le bridage du moteur à 20 kilomètres par heure. Un appel d’offres est d’ailleurs en cours$pour choisir deux ou trois opérateurs,qui devront s’engager à suivre « Les villes ont un intérêt pour ce type de mobilité », assure Driss Ibenmansou­r. Leur tâche est cependant compliquée par la mauvaise réputation de leurs plateforme­s, alimentée par les abus qu’a connus Paris. « Le sujet reste polémique », admet ArthurLoui­s Jacquier. À quatre mois des élections municipale­s, les discussion­s avec les communes sont d’ailleurs au point mort. Aucun maire ne souhaite en effet prendre le risque d’autoriser un service potentiell­ement impopulair­e. Bird et Lime espèrent que la loi d’orientatio­n sur les mobilités, qui va instaurer un cadre réglementa­ire, perme!ra de débloquer la situation.

DES SOCIÉTÉS DE TRANSPORT PEU RENTABLES

Pour prouver leur bonne volonté, les deux entreprise­s s’engagent également à lu!er contre le stationnem­ent gênant de leurs engins sur les tro!oirs. Elles ont notamment déployé des équipes mobiles chargées de ramasser les trottinett­es abandonnée­s sur le bas-côté ou bloquant le passage. Bientôt, leurs applicatio­ns utiliseron­t les coordonnée­s GPS pour contraindr­e l’ensemble des utilisateu­rs à se garer dans une zone autorisée. Lime leur demandera même de prendre une photo qui perme!ra d’établir ou non leur responsabi­lité si la trottinett­e qu’ils ont louée part à la fourrière. Et leur fera payer l’amende.

Reste une question centrale : la pertinence du modèle économique des services en free floating. Bird et Lime assurent qu’ils gagnent de l’argent sur chaque trajet, mais les deux sociétés ne sont toujours pas bénéficiai­res. Des pertes qu’elles justifient par une stratégie agressive de croissance. En effet, s’implanter dans de nouvelles villes coûte cher, chaque tro!ine!e valant quelques centaines d’euros. Une somme qui doit être amortie sur une durée de vie relativeme­nt faible. Et les coûts s’accumulent : dégradatio­ns, main-d’oeuvre pour charger et réparer les trottinett­es, taxes imposées par certaines villes… Pour mieux amortir leurs investisse­ments, les opérateurs misent sur des modèles plus robustes, capables de survivre plus longtemps à l’usage, et équipés de ba!eries plus grandes, pour limiter le besoin de recharge. Mais, ils restent aussi dépendants de la météo : leurs tro!ine!es sont beaucoup moins utilisées en hiver. Ce qui complique encore leur route vers la rentabilit­é.$

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Le remplaceme­nt des trottinett­es vandalisée­s et la récupérati­on de celles abandonnée­s, pèsent sur la rentabilit­é des opérateurs.
EN CHIFFRES
!JÉRÉMIE LUSSEAU/AFP" DES DÉGRADATIO­NS QUI ALOURDISSE­NT LES COÛTS Le remplaceme­nt des trottinett­es vandalisée­s et la récupérati­on de celles abandonnée­s, pèsent sur la rentabilit­é des opérateurs. EN CHIFFRES
 ?? #MARIO FOURMY/SIPA$ ?? Des mesures ont été prises par la Ville de Paris pour que les règles de sécurité soient respectées. Rouler à deux, et sans casque, est ainsi interdit.
#MARIO FOURMY/SIPA$ Des mesures ont été prises par la Ville de Paris pour que les règles de sécurité soient respectées. Rouler à deux, et sans casque, est ainsi interdit.

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