La Tribune Hebdomadaire

Les taxis autonomes, pas près de circuler en ville

AUTOMOBILE Malgré les milliards investis par les géants technologi­ques américains, les véhicules sans chau!eur sont encore loin de courir les rues. En Chine, les villes nouvelles s’y préparent en aménageant l’espace urbain.

- GUILLAUME RENOUARD, À SAN FRANCISCO

« Nous avons surestimé l’arrivée des véhicules autonomes »

JIM HACKETT,

DIRECTEUR GÉNÉRAL DE FORD

Dans quelques villes américaine­s, les minibus sans chau!eur de May Mobility comblent l’absence de transports en commun

Le 8 novembre dernier, Waymo, succursale d’Alphabet consacrée aux véhicules sans chauffeur, annonçait la fermeture de ses opérations à Austin (Texas), où l’entreprise avait, en 2015, transporté pour la première fois un passager à bord d’un de ses véhicules. Elle affirme vouloir ainsi concentrer ses efforts sur la ville de Phoenix, en Arizona, où Waymo fournit un service de taxi autonome intégré à la plateforme Ly#, rivale d’Uber. Difficile, cependant, de ne pas voir dans cette annonce quelque chose de symbolique. $ Car si les taxis autonomes suscitent depuis plusieurs années de nombreux espoirs, leurs promesses tardent à se concrétise­r. En octobre, les analystes de la banque d’investisse­ment Morgan Stanley ont amputé la valeur estimée de Waymo de 40%%. Motif : la commercial­isation de ses taxis autonomes prend plus de temps que prévu, et ces derniers restent dépendants des chauffeurs humains.

« Nous avons surestimé l’arri

vée des véhicules autonomes » , adesoncôté­avouéJimHa­cke&, le directeur général de Ford, à l’occasion du Detroit Economic Club, un symposium qui s’est tenu en avril dans l’ex-capitale américaine de l’automobile. L’heure n’est plus aux déclaratio­ns grandiloqu­entes. Le scepticism­e a gagné l’industrie. Aussi, lorsqu’Elon Musk, le patron de Tesla, a annoncé en avril dernier le déploiemen­t de robots taxis 100%% autonomes pour 2020, la prédiction fut accueillie avec scepticism­e.

DES AUTOS ALLERGIQUE­S À L’IMPRÉVU

L’argument derrière l’inéluctabl­e avènement des taxis autonomes était relativeme­nt simple. L’intelligen­ce artificiel­le (IA) est capable d’effectuer une tâche à la perfection, pour peu qu’on la nourrisse de suffisamme­nt de données. Les géants américains que sont Waymo, Uber ou encore General Motors n’auraient donc qu’à faire rouler leurs véhicules sur des millions de kilomètres pour que leurs robots taxis deviennent des as du volant capables de transporte­r des passagers en milieu urbain en toute sécurité, à un prix défiant toute concurrenc­e. Mais les véhicules autonomes butent sur un problème majeur : l’imprévu. S’il est facile d’apprendre à un logiciel à respecter le Code de la route, le préparer à réagir lorsqu’un piéton traverse au rouge ou qu’un panneau de signalisat­ion est illisible relève de la gageure. D’autant que des conditions climatique­s difficiles (pluie, neige…) peuvent tromper les caméras sur lesquelles s’appuient ces véhicules. Outre ces difficulté­s techniques, l’industrie souffre également d’un cadre législatif encore inadapté. En l’absence d’une législatio­n mise en place à l’échelle fédérale, les géants technologi­ques américains doivent ainsi composer avec des règles qui varient grandement d’un État, voire d’une ville à l’autre. En 2016, Uber a ainsi dû retirer ses véhicules autonomes des rues de San$ Francisco une semaine après leur déploiemen­t, l’entreprise ayant omis de demander un permis adéquat. Les robots taxis doivent enfin composer avec la méfiance du public. Ceux déployés par Waymo ont à plusieurs reprises été vandalisés par les habitants de la ville de Phoenix.

UN DÉPLOIEMEN­T TRÈS PROGRESSIF

Selon un récent sondage de l’American Automobile Associatio­n, sept Américains sur dix auraient peur de monter dans un véhicule 100%% autonome. Une confiance que plusieurs accidents mortels, dont un impliquant un taxi autonome Uber et cinq des voitures Tesla en mode autopilote, n’ont pu qu’ébranler encore davantage. Si l’industrie du taxi robot ne progresse pas aussi rapidement que prévu, veillons à ne pas l’enterrer trop vite. Les investisse­urs américains ont misé 60 milliards dans les véhicules autonomes l’an dernier, contre 6 en 2015. La startup Cruise Automation, rachetée 1 milliard de dollars par General Motors en 2016, a depuis a&iré plus de 6 milliards d’investisse­ments. Le programme de taxis autonomes mis en place par Waymo à Phoenix continue de fonctionne­r. Son concurrent Uber, qui effectue des tests à Pi&sburgh (Pennsylvan­ie), a déjà complété 50%000 trajets. En avril dernier, l’entreprise a reçu 1 milliard de dollars d’investisse­ment pour perfection­ner sa technologi­e, sur laquelle travaillen­t plus de 1%200 employés. « Le déploiemen­t de taxis autonomes est l’une de nos priorités, nous sommes convaincus qu’ils feront partie de l’avenir du transport et la technologi­e s’améliore de jour en jour », affirmeMan­ikGupta,directeur produits chez Uber, pour qui l’adoption ne pourra toutefois se faire que de manière très

progressiv­e. « En plus du défi qui consiste à faire se mouvoir le véhicule dans le monde réel, il faut aussi repenser intégralem­ent l’expérience utilisateu­r : comment le véhicule choisit-il le bon emplacemen­t pour s’arrêter!? Comment récupère-t-il le passager et le dépose-t-il une fois arrivé à destinatio­n!? Autant de questions qui doivent encore être résolues. Nous n’allons donc pas nous réveiller un matin et constater que tous les véhicules sur la route sont devenus autonomes. Il faudra d’abord cibler des environnem­ents bien définis, certains quartiers, voire certaines rues, pour ensuite accroître les zones couvertes au fil du temps. »

Lorsqu’ils sont utilisés dans des conditions bien précises, les taxis autonomes rencontren­t déjà un certain succès. L’entreprise May Mobility gère ainsi des minibus autonomes dans quelques villes américaine­s, où ils comblent l’absence de transports en commun. Ils effectuent toujours les mêmes trajets et ne dépassent jamais les 40 km/h. D’autres ciblent des usages et des segments de population bien spécifique­s.

DES CAPTEURS INSTALLÉS PARTOUT

C’est le cas de Voyage, une jeune pousse de la Silicon Valley qui teste ses robots taxis dans une communauté de personnes âgées en Floride. Ce type d’environnem­ent a l’avantage d’être plus prévisible et moins chaotique qu’une ville traditionn­elle.

Les robots taxis y comblent un besoin flagrant –$nombre d’habitants ont du mal à conduire et à marcher sur de longues distances$– pour un prix compétitif et, les rues étant propriété privée, la question des réglementa­tions est simplifiée. D’autres entreprise­s étudient des concepts similaires dans des campus universita­ires ou profession­nels.

En Chine, l’industrie renverse l’échiquier. Plutôt que d’adapter les taxis autonomes à l’environnem­ent urbain existant, on conçoit des villes nouvelles spécialeme­nt taillées pour perme&re à ces véhicules de circuler plus facilement. Les rues sont élargies, le paysage urbain conçu pour maximiser la visibilité et limiter les imprévus, tandis que des capteurs sont installés partout pour communique­r des données aux véhicules. Le tout soutenu par de grands programmes d’investisse­ment public. De quoi combler l’écart technologi­que qui sépare Baidu, Pony.ai et WeRide de leurs rivaux américains%? $

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Une Waymo produite par Alphabet, la maison mère de Google. En pointe sur la voiture autonome, la firme a récemment réduit ses ambitions.
!WAYMO" DES PROMESSES QUI TARDENT À SE CONCRÉTISE­R Une Waymo produite par Alphabet, la maison mère de Google. En pointe sur la voiture autonome, la firme a récemment réduit ses ambitions.

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