Habitat intergénérationnel!: une nouvelle façon de vivre ensemble
VIEILLISSEMENT. L’habitat intergénérationnel représente une solution face à l’augmentation du nombre de seniors.
Les 75!ans et plus seront deux fois plus nombreux en 2050 en Auvergne-Rhône-Alpes qu’aujourd’hui. Selon une étude récente de l’INSEE et de l’Agence régionale de santé, leur nombre devrait ainsi passer de 726"000 à près d’1,5!million. À cette échéance, les seniors représenteront 15"% de la population régionale, alors qu’ils ne pesaient que 7"% il y a vingt!ans. Devant ce#e montée en puissance, pouvoirs publics, collectivités locales et bailleurs sociaux s’inquiètent.Commentassureràcespopulations, notamment à celles qui ne peuvent s’offrir un hébergement dans une résidence coûteuse, une retraite digne et paisible, repoussant le plus possible une entrée en Ehpad"?
PIONNIÈRE SUR LE SUJET
L’habitat intergénérationnel –!résidences spécifiquement construites
pour mêler des populations d’âges différents pouvant se rendre mutuellement des services!– pourrait repré
senter une partie de la réponse. «!Historiquement, la solidarité entre générations se vivait dans le cadre de la famille ou du village, mais l’industrialisation et l’urbanisation de nos sociétés ont donné de nouvelles solutions de solidarité grâce aux systèmes de retraite notamment. Résultat!: nous nous sommes détournés progressivement de la solidarité entre les générations!», analyse l’historien François!Boursier, enseignant à l’Ucly. « Les crises économiques ont cassé ces solutions. Les dispositifs institutionnels ne sont plus suffisants aujourd’hui. L’habitat intergénérationnel est une réponse! assez intéressante à cette problématique.!» Selon le géographe lyonnais, spécialisé en aménagement, et auteur d’une thèse sur l’habitat intergénérationnel, Nathaël Torres, la France comptait environ 250!résidences intergénérationnelles fin 2017. «!Les premières datent du début des années 1990 mais on a pu observer une forte progression depuis 2013. La canicule a!été un déclencheur.!» Dans ce contexte, la région Auvergne-RhôneAlpes semble en avance sur le sujet, en raison de la présence sur le territoire de leaders du sujet. Récipro-Cité en premier lieu, spécialiste de l’ingéniérie du vivre-ensemble, créé en 2009!par!Serge Le!Boulch, et réalisant!aujourd’hui un chiffre d’affaires de 2!millions d’euros avec 35 salariés. Mais aussi le bailleur social Sollar (groupe 1001 Vies Habitat), dirigé par Guy Vidal, acteur très impliqué depuis 2010. À noter également, l’action de l’association Habitat et Humanisme, née à Lyon, qui a créé une trentaine de «!maisons!» intergénérationnelles à travers la France. L’association Tim!et Cole#e (créée par ESDES intergénérations) est aussi pionnière de la question de l’intergénération. Elle a été une des premières, en France, à s’emparer du sujet de l’hébergement d’étudiants par des personnes âgées. L’adoption de la loi Elan, fin 2018, avec la reconnaissance de la cohabitation intergénérationnelle et la valorisation de l’habitat inclusif, devrait désormais faciliter le déploiement de ce mode d’habitat.
DES PROJETS SURTOUT PORTÉS PAR DES BAILLEURS SOCIAUX
Selon Nathaël Torres, 87"% des résidences intergénérationnelles sont portées par des bailleurs sociaux. «!Pour assurer une vraie mixité des âges, il faut avoir la capacité de gérer les critères de peuplement. Pour un promoteur privé, c’est compliqué!», avance-t-il. «!Depuis 2000, nous constatons une évolution des a#entes de nos locataires. Il fallait trouver une réponse adaptée à leur vieillissement!», explique Guy Vidal, directeur général de Sollar. Il a ainsi développé, avec Récipro-Cité et l’université Lyon!3, le concept Chers voisins fondé sur une animation au quotidien des échanges entre voisins de résidences HLM. Après une expérience pilote à Saint-Germain-auMont-d’or, dans l’Ouest lyonnais, l’idée a été déployée sur une dizaine d’immeubles du groupe. Même réflexion du côté de Grand Lyon Habitat, en charge de 26"000!logements sociaux. «!Nous avons commencé à travailler sur la question bien avant la loi!Elan. L’habitat intergénérationnel est une bonne solution pour maintenir nos locataires le plus longtemps possible à leur domicile. C’est une troisième voie entre le logement classique et l’Ehpad!», indique Séverine Molina Cruz, chargée de développement Handicap, vieillesse et précarité. La première résidence intergénérationnelle de Grand Lyon Habitat, le Victoria, avait été construite en 2012. La seconde, le Perla Rosa, vient d’être livrée dans le 8e!arrondissement de Lyon. «!Nous avons lancé quelques expérimentations, mais nous a#endons la mise en application locale de la loi Elan pour aller encore plus loin, notamment sur la question du forfait inclusif prévoyant un cofinancement de l’État. L’intergénérationnel coûte plus cher, entre autres en raison de la nécessité d’avoir une salle commune et un animateur, mais nous ne pouvons pas demander le supplément à nos locataires. C’était jusqu’ici un vrai frein au développement de ces résidences.!»
CONSTRUCTEURS ET PROMOTEURS S’ADAPTENT
Ce#e prise de conscience des bailleurs sociaux s’entremêle à celle des promoteurs et constructeurs. Ainsi Récipro-Cité s’est associé à Eiffage Immobilier pour développer Cocoon’Âges, un dispositif d’habitat familial intergénérationnel proposant une architecture adaptée et une offre de services-animation. «!J’ai conduit une étude de marché en 2014, elle nous a amenés à nous intéresser au logement intergénérationnel», explique JeanPierre Mahé, directeur du développement logement social pour Eiffage Construction. «! Aujourd’hui, nous sommes dépassés par le succès!», sourit-il. Quatre résidences ont déjà été livrées, dont une à Clermont-Ferrand en juin dernier. En tout, 21!opérations sont d’ores et déjà lancées, notamment à!Grenoble et à!Lyon. Une quarantaine d’autres sont en discussion avancée. «!La grande majorité de ces résidences est vendue à des bailleurs sociaux. Pour l’instant, une seule est destinée à un projet 100$% privé!», poursuit JeanPierre Mahé. Eiffage Immobilier prend en charge le coût d’un espace commun de!80 à 130!m2 et du gestionnaire-animateur (Récipro-Cité). «!Ce coût supplémentaire nous oblige à être plus efficients afin de produire des logements au prix du marché.!» !
«#C’est une troisième voie entre le logement classique et l’Ehpad#»
SÉVERINE MOLINA CRUZ,
CHARGÉE DE DÉVELOPPEMENT HANDICAP, VIEILLESSE ET PRÉCARITÉ CHEZ GRAND LYON HABITAT