La Tribune Hebdomadaire

Après les « green bonds », des obligation­s de transition moins restrictiv­es

CLIMAT Les « transition bonds », nouveaux instrument­s financiers destinés à accompagne­r la! transforma­tion d’ industries à forte intensité carbone, prennent le relais des!obligation­s vertes, trop contraigna­ntes pour certains.

- DELPHINE CUNY

L’urgence climatique nécessite des efforts supplément­aires. La transition requiert de nouveaux outils financiers afin d’accélérer l’émergence d’industries plus vertes et de soutenir les industries qui transforme­nt leur modèle économique », considère Thomas Buberl, le directeur général du groupe Axa. L’assureur, concerné par le climat à la fois dans son activité de couverture des risques et en tant qu’investisse­ur institutio­nnel, est à l’origine d’une nouvelle classe d’actifs, les transition bonds, des « obligation­s de transition » censées prendre le relais des green bonds, les « obligation­s vertes » qui financent des projets déjà verts, apparues il y a plus de dix!ans. Axa a souscrit, le 27 novembre, l’intégralit­é de l’émission d’un des tous premiers transition bonds, émis par Crédit Agricole CIB (CACIB) pour 100!millions d’euros.

En juin dernier, les équipes d’Axa Investment Managers (la branche de gestion d’actifs) avaient lancé un appel aux acteurs du marché en faveur d’un instrument apportant « un financemen­t aux entreprise­s qui sont “brunes” aujourd’hui mais ont l’ambition de passer au vert à l’avenir » et présenté les lignes directrice­s des transition bonds, qui reprennent les grands principes des green bonds : un fléchage précis des projets financés et un engagement de reporting régulier sur l’utilisatio­n des fonds. L’idée, qui reflète la tendance des acteurs de la finance à passer de l’exclusion des secteurs polluants (charbon notamment) à l’accompagne­ment des acteurs et pays en transition, a été bien accueillie par la communauté des investisse­urs, alors que la demande excède largement l’offre de produits financiers estampillé­s durables.

LA CRÉATION D’UN GROUPE DE TRAVAIL

« Une obligation de transition sert à financer des projets qui ont des vertus environnem­entales mais qui ne cochent pas toutes les cases pour entrer dans le cadre plus restrictif des green bonds », nous explique Hugues Delafon, expert finance durable chez CACIB, banque pionnière qui figure parmi les trois leaders mondiaux dans l’arrangemen­t d’obligation­s vertes. « Ce peut être, par exemple, un projet de centrale au gaz dans un pays à la part élevée de charbon dans son mix énergétiqu­e. Le gaz, c’est mieux que le charbon. »

Le comité exécutif des Green Bond Principles, les standards de fait du marché, élaborés sous l’égide de l’Internatio­nal Capital Market Associatio­n (ICMA), vient de créer un groupe de travail sur les transition bonds, coordonné par Axa IM, HSBC et JP!Morgan, auquel participen­t notamment CACIB, BNP Paribas et Natixis. L’objectif est de « comprendre pourquoi les entreprise­s des secteurs à forte intensité carbone ont été largement absentes du marché des green bonds jusqu’ici et de donner des lignes directrice­s » pour les futures émissions. Les raisons sont connues : caractère contraigna­nt et complexe des green bonds en termes de reporting interne, insuffisan­ce de projets éligibles à financer, risque de réputation.

« Total a toujours été hostile à l’idée d’éme!re des green bonds. J’ai très peur d’être accusé de greenwashi­ng », a témoigné Patrick Pouyanné, le PDG de Total, invité par Axa à un événement sur le climat, le 27 novembre. « Mais je suis prêt à recourir à des obligation­s de transition, par exemple pour des projets dans le gaz. Ce serait conforme à notre stratégie », a confié le patron du groupe pétrolier qui a l’ambition de « devenir la major de l’énergie responsabl­e ».

Énergie fossile, le gaz reste à ce titre vivement critiqué par les associatio­ns de défense de l’environnem­ent. « Pour être sincères, ces obligation­s de transit i o n doivent al l e r à des entreprise­s qui s’engagent à aligner progressiv­ement leurs activités sur une trajectoir­e 1,5 °C et adoptent des objectifs de décarbonat­ion de court, moyen et long terme fondés sur la science, comprenant notamment un plan de sortie des énergies f ossil e s » , objecte l’ONG Les!Amis de la Terre.

ÉLARGIR LE MARCHÉ

Banques et investisse­urs poussent à un élargissem­ent du marché de la finance durable au-delàdeséme"eurshabitu­els de green bonds : États, collectivi­tés, banques de développem­ent, institutio­ns financière­s, entreprise­s –!d’énergie notamment, telle Engie, pionnier et premier éme"eur corporate au monde (8,75 milliards d’euros en cumulé). Depuis la toute première obligation verte émise en juillet 2017 par la Banque européenne d’investisse­ment (BEI), cet instrument financier s’est largement diffusé auprès des grands emprunteur­s et le marché des green bonds a connu une très forte croissance. Plus de 223 milliards de dollars d’obligation­s vertes ont été émises depuis début 2019, et l’année devrait se clore sur un nouveau record de 250 milliards de dollars, en hausse de 45#% environ par rapport à 2018, selon l’organisati­on à but non lucratif Climate Bonds Initiative (CBI). Christiana Figueres, l’ancienne secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changement­s climatique­s, avait estimé qu’il fallait a"eindre 1#000!milliards de dollars de green bonds par an en 2020 pour pouvoir financer la transition écologique. Ce cap sera franchi l’an prochain, mais seulement en termes d’obligation­s en circulatio­n, d’émissions cumulées depuis dix!ans (700 milliards actuelleme­nt). Le marché des green bonds a du mal à passer à l’échelle : il représente à peine 1,5#% de l’ensemble du colossal marché obligatair­e et manque de liquidités. À l’aube d’une vague réglementa­ire qui va structurer le marché,laCommissi­oneuropéen­ne finalisant sa liste des actifs verts, un standard de green bonds et un écolabel des fonds d’investisse­ment au niveau de l’UE pour lutter contre le greenwashi­ng, la finance durable cherche à combler ce fossé en repoussant ses frontières, sous l’oeil vigilant des parties prenantes, société civile et investisse­urs exigeants. À! l’été 2019, l’émission de 500 millions de dollars d’obligation­s de transition durable par le géant brésilien Marfrig, un des premiers producteur­s mondiaux de hamburgers, pilotée par BNP!Paribas, ING et Santander, a fait tiquer plus d’un spécialist­e de la finance durable. L’agence Vigeo Eiris a émis un avis peu convaincu sur les engagement­s contre la déforestat­ion et pour la préservati­on de la biodiversi­té. Deux autres émetteurs de ce type d’obligation­s ont essuyé des critiques!: le hongkongai­s Capco (financemen­t de centrales à gaz à la place du charbon) et l’italien Snam (investisse­ment dans le biométhane).

MOINS DE CONTRAINTE­S

Un éme"eur régulier de green bonds, le producteur d’électricit­é italien Enel, leur a préféré un nouvel instrument moins contraigna­nt : il a émis en septembre les premières « obligation­s liées aux objectifs de développem­ent durable » à usage général, pour 1,5 milliard de dollars (BNP, Crédit Agricole et Soc Gen y ont participé). Il dépense les fonds comme il l’entend (même pour une centrale au charbon), mais il encourt des pénalités sur le coût de l’emprunt s’il ne tient pas son objectif en énergie renouvelab­le (55#%!de ses capacités de production installées fin 2021). Il pense que ces obligation­s sont l’avenir!et remplacero­nt à terme les! green bonds.

«!Recourir à des obligation­s de transition serait conforme à la stratégie de Total!» PATRICK POUYANNÉ,

PDG DE TOTAL

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Les obligation­s de transition permettron­t de financer par exemple des centrales à gaz en!remplaceme­nt du charbon.
#ISTOCK$ OBJECTIF DÉCARBONAT­ION Les obligation­s de transition permettron­t de financer par exemple des centrales à gaz en!remplaceme­nt du charbon.

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