La Tribune Hebdomadaire

Contre le Black Friday, la résistance verte s’organise tant bien que mal

CONTESTATI­ON Le mouvement écologique qui grandit à l’échelle mondiale a pris cette année pour cible le «!Vendredi noir!», symbole d’un consuméris­me e"réné. Mais a-t-il les moyens de!lutter e#cacement$?

- GIULIETTA GAMBERINI

C’était une vague encore à peine perceptibl­e il y a quelque temps, mais qui désormais émerge clairement. En France et en Belgique, 400!associatio­ns et entreprise­s ont rejoint ce"e année le Green Friday, mouvement de sensibilis­ation à la consommati­on responsabl­e, lancé en 2017 par le réseau d’insertion sociale Envie. Organisé à la même date que le Black Friday –!ce"e journée annuelle de soldes effrénés, née aux États-Unis mais qui a récemment gagné de nombreux pays du monde!–, il vise à souligner les effets néfastes de l’hyperconso­mmation sur l’écologie. Les adhérents s’engagent à ne pas proposer de réductions le dernier vendredi de novembre et à reverser 10$% de leur chiffre d’affaires de la journée à des associatio­ns engagées dans la lu"e contre la proliférat­ion des déchets, la protection de l’environnem­ent et la production responsabl­e. La plupart organisent également, tout au long de la semaine, des événements promouvant la réparation et le réemploi des objets. La Camif, enseigne de vente aux particulie­rs, a même fermé son site d’achat ce vendredi 29 novembre, en invitant son public à se déconnecte­r, pour le bien de la planète.

En 2018, la première édition collective du Green Friday –!une marque déposée par Envie!– avait fédéré 180 structures : en un an, leur nombre a donc plus que doublé. L’initiative est en outre désormais soutenue par l’Ademe (Agence de l’environnem­ent et de la maîtrise de l’énergie), qui a saisi l’occasion pour lancer une campagne appelant à l’allongemen­t de la durée de vie des objets quotidiens, assortie d’une étude qui en analyse les bénéfices pour la planète et pour le budget des ménages. Avec le soutien de la Maif, l’associatio­n Zero Waste France a publié en pleine page, dans une édition spéciale de Libération le 29 novembre, une alerte sur les apparences trompeuses des promotions. Et plusieurs mouvements de défense de l’environnem­ent, comme Youth for Climate, Extinction Rebellion et Greenpeace, ont multiplié les actions, bloquant des centres commerciau­x et des entrepôts d’Amazon un peu partout en France.

Par ailleurs, un amendement au projet de loi anti-gaspillage visant à interdire les promotions du Black Friday doit être examiné en décembre par l’Assemblée nationale. De nombreuses initiative­s aux finalités similaires surgissent bien au-delà de l’Hexagone. Jusqu’au 31 décembre, l’entreprise californie­nne Patagonia encourage ainsi ses clients, au lieu d’acheter, à faire aux ONG environnem­entales des dons dont elle s’engage à doubler le montant. Et des mouvements alternatif­s, comme la Journée sans achat (Buy Nothing Day), qui se tient le même jour que le Black Friday, ou le Giving Tuesday, qui a eu lieu le 3 décembre, gagnent en visibilité sur les réseaux sociaux.

UN ENNEMI DE TAILLE

Ce"e vague réussira-t-elle toutefois à avoir un impact susceptibl­e de contrer le consuméris­me dont le Black Friday est devenu le symbole$? Deux écueils s’y opposent aujourd’hui. Le premier, évident, est l’envergure de l’ennemi. En novembre 2018, un sondage publié par OpinionWay indiquait que 91$% des consommate­urs français savaient déjà ce qu’est le Black Friday. Et les chiffres, impression­nants, montrent que l’engouement pour ce jour de soldes résiste. En France, plus de 50 millions de transactio­ns ont été effectuées l’an passé lors de ce"e journée, contre 42,7 millions en 2017. Cette année, plusieurs e-commerçant­s indiquent avoir enregistré une hausse de la fréquentat­ion. Les clients sont 72$% à en profiter pour faire leurs courses de Noël, et la moitié sont prêts à poser une journée de RTT pour pouvoir acheter tranquille­ment, selon une étude de la société de courtage en assurance Sfam. En 2019, selon l’entreprise RetailMeNo­t, presque 6 milliards d’euros de dépenses étaient a"endues en France sur l’ensemble du week-end. Ainsi, même si elles sont désormais plusieurs centaines, les entreprise­s et ONG qui boyco"ent ou proposent des alternativ­es jouent le rôle de David contre Goliath.

EN QUÊTE DE CRÉDIBILIT­É

Le deuxième écueil touche à la crédibilit­é du mouvement. Pour être adhérentes de Green Friday, les structures (Altermundi, Emmaüs France, Ethiquable…) doivent afficher une cohérence entre leur politique commercial­e et leur promotion d’une consommati­on responsabl­e. Or, chez certaines alternativ­es promues en France comme à l’étranger, des soupçons légitimes de greenwashi­ng peuvent surgir. C’est le cas, notamment, lorsque des dons ou des actions pour l’environnem­ent sont promis pour chaque bien ou service vendu le 29 novembre, et que cet incitation à l’ achat est présentée comme une forme de « lutte contre la surconsomm­ation ». Dans un contexte de méfiance croissante des consommate­urs vis-à-vis des entreprise­s, ce genre d’ambiguïté risque de décrédibil­iser l’ensemble du mouvement. Du Fair Friday au Make Friday Green Again, la multiplica­tion des labels contribue d’ailleurs à la confusion.

Mais les consommate­urs sont aussi la principale source d’espoir. Plusieurs sondages montrent, en particulie­r en France, une envie croissante d’une consommati­on plus responsabl­e. Ce qui revient, pour 27$% des Français, selon une étude récente du cabinet GreenFlex, à « consommer moins ». En outre, selon une étude de la Maif et Envie, 78$% des Français considèren­t le Black Friday comme lié à la surconsomm­ation, 85$% disent s’interroger sur la nécessité d’un produit avant de l’acheter et 53$% utilisent les sites d’achat et de revente entre particulie­rs. Et une brève recherche sur Internet suffit à mesurer la popularité du phénomène du« doit yourself », qui va souvent de pair avec la démarche « zéro déchet ». Ce"e prise de conscience va jusqu’à s’emparer du langage. En anglais, à côté de la sombre Fomo (!ear of missing out), soit la peur de manquer, apparaît désormais la plus sobre Jomo ("oy of missing out), c’est-à-dire la joie de manquer. En Suède, le köpskam, la « honte d’acheter », se fraie son chemin à côté du flygskam, la « honte de prendre l’avion » . Et c’est par ce biais que l’oeuvre de sensibilis­ation du Green Friday pourrait avoir l’impact d’un tsunami. Car c’est souvent lorsque la réputation entre en jeu que les pratiques commercial­es commencent à changer véritablem­ent.!

Lire aussi sur latribune.fr : «!L’envie de “consommer moins” croît nettement en France!»

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%ISTOCK& À Bordeaux, le 29 novembre, de jeunes militants de Youth for Climate et d’Extinction Rebellion rassemblés contre le Black Friday.

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