La Tribune Hebdomadaire

«!Dans certaines situations, notre droit successora­l freine une certaine générosité!»

ENTRETIEN Partisan d’une fiscalité plus généreuse qui favorisera­it le mécénat dans les territoire­s, le secrétaire d’État Gabriel Attal fait le point sur les dossiers du moment!: droits de succession, service national universel, décrochage scolaire…

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGOIRE NORMAND

LA TRIBUNE – Sur le mécénat et le financemen­t des fondations, le gouverneme­nt a annoncé qu’il voulait revoir à la baisse le taux de défiscalis­ation pour les dons supérieurs à 2 millions d’euros. Où en est ce projet!?

GABRIEL ATTAL – Le gouverneme­nt soutient fortement le mécénat. Il s’est beaucoup développé depuis le vote de la loi Aillagon, en 2003, qui a permis une forte incitation fiscale. Les entreprise­s ont aussi pris conscience de leur responsabi­lité sociétale et environnem­entale. Les consommate­urs les appellent également à s’engager, à soutenir des projets d’intérêt général. Enfin, les jeunes actifs qui arrivent sur le marché du travail sont de plus en plus en a!ente de sens dans leur travail. Pour autant, un certain nombre de dérives et abus ont été constatés par la Cour des comptes et par des rapports parlementa­ires. Dans certaines situations, on peut légitimeme­nt se demander si le mécénat doit être soutenu à hauteur de 60"% par la solidarité nationale, ou si l’argent public ne sert pas une action de communicat­ion ou de sponsoring.

Comment limiter les dérives!?

Le souhait du gouverneme­nt est de fixer un cadre en travaillan­t sur la notion de contrepart­ie. Actuelleme­nt, une entreprise qui fait du mécénat a droit à une contrepart­ie de 25"% à son don. La contrepart­ie n’est pas clairement définie. On ne sait pas qui calcule les 25"% et comment ils sont calculés. Or un cadre clair permettrai­t de régler de nom - breuses dérives. C’est un travail que nous avons initié avec les entreprise­s et les associatio­ns. Dans le même temps, pour les grandes entreprise­s qui donnent le plus, nous réduisons la déduction fiscale de 60"% à 40"% –#uniquement lorsque les dons dépassent 2 millions d’euros et en préservant les associatio­ns dites « loi Coluche ». Nous encadreron­s aussi le mécénat de compétence­s, qui permet à une entreprise de détacher un salarié auprès d’une associatio­n et de défiscalis­er 60"% de son salaire. Aujourd’hui, certains détachemen­ts concernent des salaires supérieurs à 15"000 euros mensuels. Le gouverneme­nt a annoncé un plafonneme­nt autour de 9"000 euros. Ce cadre a été adopté dans le budget par l’Assemblée nationale en première lecture, et il est actuelleme­nt dans la nave!e parlementa­ire.

Combien d’entreprise­s seraient concernées!?

Actuelleme­nt, 78# grandes entreprise­s donnent plus de 2#millions d’euros de mécénat dans l’année. J’appelle ces entreprise­s à maintenir leurs dons. Malgré cette réduction sur le mécénat, le cadre fiscal reste favorable car elles bénéficien­t également de la baisse de l’impôt sur les sociétés.

Quel est le montant de la dépense fiscale de ce dispositif pour les finances publiques!?

C’est une dépense fiscale, certes, mais je considère aussi que c’est un investisse­ment, qui s’élève aujourd’hui à environ 2 milliards d’euros par an et qui a doublé en cinq#ans.

Où en sont les discussion­s avec les associatio­ns comme l’Admical, qui développe le mécénat des entreprise­s!?

Je les vois régulièrem­ent et, évidemment, elles ne sont pas favorables au passage de 60"% à 40 "% de déductions. En revanche, elles sont très favorables à d’autres mesures incitative­s que nous avons adoptées, comme le nouveau plafond de mécénat pour les TPE-PME. Jusqu’à ce!e année, ces entreprise­s étaient assujettie­s aux mêmes règles de déduction fiscale que les grands groupes, c’est-à-dire 5 pour 1"000 de leur chiffre d’affaires. Pour une entreprise qui fait 1 million d’euros de chiffre d’affaires, cela représente seulement 5"000 euros. Depuis 2019, le gouverneme­nt a transformé ce plafond de 5 pour 1"000 pour les TPE-PME à un plafond en valeur absolue à 10"000 euros. Dans le débat parlementa­ire pour 2020, la majorité a adopté un amendement qui devrait perme!re l’instaurati­on d’un plafond à 20"000 euros, quel que soit le chiffre d’affaires. C’est un levier formidable pour développer le mécénat territoria­l.

Beaucoup d’associatio­ns qui reçoivent des dons ont exprimé leurs inquiétude­s. Que leur répondez-vous!?

J’entends ces inquiétude­s exprimées par les grandes associatio­ns et fondations. Je rappelle tout de même qu’il y a une exception dans la loi : toutes les associatio­ns qui relèvent de la loi Coluche et qui s’occupent de l’aide alimentair­e ou du logement pour les plus démunis ne sont pas concernées. D’autres associatio­ns qui gèrent d’autres types d’actions ont également exprimé leurs inquiétude­s. J’ai confiance dans la capacité de ces 78 entreprise­s à tenir leur engagement auprès d’elles, ce qu’a!endent également les associatio­ns et les# pouvoirs publics. C’est aussi une manière, pour ces entreprise­s, de démontrer que leur engagement n’est pas#lié uniquement aux incitation­s fiscales.

Depuis novembre 2018, le gouverneme­nt a lancé une campagne de sensibilis­ation auprès des grandes fortunes françaises pour les inciter à léguer une partie de leurs biens à des structures non lucratives d’intérêt général. Où en est cette initiative!?

Le gouverneme­nt a pris des mesures fortes au début du quinquenna­t pour faire baisser les impôts de l’ensemble des ménages. Ces fortes diminution­s et la transforma­tion de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilièr­e (IFI) redonnent une marge de manoeuvre aux plus favorisés. Cette transforma­tion de l’ISF en IFI et le cadre nouveau que les contribuab­les doivent apprendre à connaître ont eu un impact sur le montant des dons. Néanmoins, les dons sont légèrement repartis à la hausse en 2019. Nous allons bien sûr continuer à communique­r pour que ce!e marge de manoeuvre donnée aux plus favorisés se transforme en investisse­ment dans l’économie ou dans les associatio­ns.

Les droits de succession et la réserve héréditair­e font actuelleme­nt l’objet de débats. Quelle est la position du gouverneme­nt sur ce sujet!?

Notre droit successora­l freine une certaine générosité. La réserve héréditair­e, qui oblige à léguer l’essentiel de son patrimoine à ses descendant­s, est une garantie qu’il faut préserver mais qui, dans le cas des grandes fortunes, est un frein pour des Français qui souhaitera­ient donner des sommes importante­s au profit d’une associatio­n ou de l’intérêt général. La Fondation de France, par exemple, a reçu de la part de grandes fortunes des dons qui ont été contestés, des années plus tard, par des héritiers au titre de la réserve héréditair­e. La Fondation a dû restituer ces dons. Je souhaite qu’on ne puisse pas déstabilis­er les acteurs de la générosité et qu’il y ait pour cela une évolution du droit, afin que les Français qui en ont les moyens et l’envie puissent donner une part plus

« On se demande parfois si l’argent public ne sert pas une action de communicat­ion ou de sponsoring!»

importante de leur patrimoine. J’ai lancé sur le sujet une mission parlementa­ire et disposerai de son rapport en janvier 2020. Au sein du gouverneme­nt, nous sommes opposés à toute hausse des droits de succession et, si l’on déroge au principe de la réserve héréditair­e, cela se fera dans un cadre très clair qui garantira les droits des héritiers.

Quelles sont vos pistes de réflexion!?

On pourrait inverser la répartitio­n entre l’héritage qui n’est pas réservé aux enfants dans le cas des héritages les plus conséquent­s –!c’est-à-dire la quotité disponible!– et la part réservée aux descendant­s. Par exemple, quand il y a trois enfants, ce ne serait pas deux tiers/un tiers. Ce"e inversion serait possible uniquement si les fonds sont a"ribués à des associatio­ns ou des fondations.

Comment voulez-vous développer la philanthro­pie!?

Je crois à une philanthro­pie à la française. On a tendance à penser aux fondations américaine­s, qui ont des budgets comparable­s à ceux des ministères. La différence est que les personnes à la tête de ces fondations ne sont pas élues. Ce"e question est un enjeu démocratiq­ue, alors que des pans entiers des politiques publiques sont assumés par des fondations privées aux États-Unis. La philanthro­pie à la française doit être démocratiq­ue. Elle doit également être territoria­le. Je pense que l’on peut créer des synergies locales entre entreprise­s, collectivi­tés locales, fondations et pouvoirs publics autour de projets d’intérêt général. C’est une forme de réponse à la crise des «!gilets jaunes!».

Le risque n’est-il pas d’a"aiblir la puissance publique!?

On ne peut pas opposer philanthro­pie et puissance publique. Derrière le don privé et le mécénat d’entreprise, il y a toujours la puissance publique, ne serait-ce que par le biais de la défiscalis­ation. Les deux sont complément­aires et se renforcent. Certaines associatio­ns et fondations peuvent parfois être plus rapides, plus agiles, pour répondre à des besoins qui émergent. Il faut accompagne­r cela.

Pourquoi avez-vous voulu mobiliser pour le Giving Tuesday!?

Le Giving Tuesday entre dans ce développem­ent de la philanthro­pie que je veux promouvoir. Ce"e initiative, développée outre-Atlantique, est une réponse au Black Friday, tourné verslacons­ommationde­masse. Ce"e journée nous rappelle la nécessité de contribuer aussi à l’intérêt général. Je souhaite qu’on le développe en France, et je soutiens pour cela l’Associatio­n française des fundraiser­s qui porte de manière opérationn­elle ce projet. Avec Jean-Michel Blanquer, nous avons mobilisé les recteurs d’académie pour qu’il y ait des initiative­s autour de la question du don dans les établissem­ents scolaires. Avec le ministère de la Culture et l’associatio­n Admical, nous avons construit un kit de mobilisati­on à destinatio­n de tous les parlementa­ires et leur avons proposé de réunir dans leur territoire les PME, associatio­ns et fondations locales afin d’initier des synergies et d’améliorer la connaissan­ce des dispositif­s existants.

Où en est le projet de service national universel (SNU)!? Après un premier test en juin, le dispositif sera-t-il renouvelé!?

Après ce"e préfigurat­ion réunissant 2$000!jeunes, j’ai confié une évaluation à des chercheurs et des sociologue­s spécialist­es de la jeunesse. Les retours sont très encouragea­nts. Les objectifs assignés au SNU, comme la mixité sociale, la cohésion territoria­le, le partage des valeurs de la République et l’engagement, ont été tenus. Les échanges que j’ai pu avoir avec les parents sont eux aussi extrêmemen­t encouragea­nts. Le dispositif va se déployer et concernera 30$000! jeunes en juin 2020. Cette fois, tous les départemen­ts déploieron­t le SNU.

Quel est le coût annuel de ce dispositif critiqué par les organisati­ons étudiantes!?

À partir de la phase de test de juin dernier, le coût d’une généralisa­tion pour 800$000!jeunes serait de l’ordre de 1,6 milliard d’euros, mais il y aura des économies d’échelle. Le coût par jeune devrait baisser dès 2020. En année pleine, le coût se situerait entre 1 milliard et 1,5 milliard. Le président de la

République a toujours été clair sur le fait que, derrière le coût budgétaire, il y a surtout un investisse­ment fort pour notre jeunesse. Un décrocheur scolaire représente en moyenne 230$000 euros de fonds publics alloués pour son accompagne­ment. Et l’on en compte environ 100$000 chaque année. Je vous laisse faire le calcul$! Le SNU est donc potentiell­ement, à terme, une source d’économies.

Comment faire pour mieux lutter contre le décrochage scolaire!?

Depuis plusieurs années, on observe une baisse continue du nombre de décrocheur­s. Il y a cinq! ans, on en comptait 150$000 par an. Actuelleme­nt, il y en a entre 90$000 et 100$000. Mais c’est encore beaucoup trop. Il faut poursuivre les efforts entrepris dans les établissem­ents pour travailler sur la persévéran­ce scolaire. Et nous avons adopté cet été, dans la loi portée par Jean-Michel Blanquer, l’obligation de formation pour tous jusqu’à 18!ans. Aujourd’hui, environ 2 millions de jeunes sont sans diplôme ni qualificat­ion. Nous nous dotons d’instrument­s légaux et opérationn­els pour nous a"aquer à ce défi sociétal. En septembre 2020, l’obligation de formation entre 16 et 18!ans entrera en vigueur. Tous les jeunes de cette tranche d’âge seront tenus de suivre une formation. Les pouvoirs publics et les institutio­ns devront les accompagne­r et leur proposer une formation, et les missions locales accompagne­ront les jeunes dans ce nouveau parcours. Aujourd’hui, si l’apprentiss­age décolle, nous devons garantir que tous les jeunes maîtrisent les fondamenta­ux. Nous travaillon­s donc sur le développem­ent des prépas apprentiss­age, soit 50$000 places créées d’ici à 2020, qui s’intègrent dans le plan massif d’investisse­ment pour les plus éloignés de l’emploi, auquel nous consacrons 15 milliards d’euros.

Où en est le projet de revenu universel d’activité (RUA)!?

Une concertati­on a été lancée au printemps dernier. Transforma­tion profonde de notre modèle d’accompagne­ment social, ce revenu regroupera les différente­s aides en une allocation socle et simplifier­a considérab­lement les choses pour les bénéficiai­res. L’idée est d’améliorer ainsi le recours et de renforcer le lien entre droits et devoirs pour bénéficier de la solidarité nationale. Je copréside, avec la ministre Frédérique Vidal, un collège consacré à la question, qui travaille à déterminer la nécessité, ou non, de créer un RUA pour les jeunes.

La prime d’activité va-t-elle être élargie aux étudiants!?

Je l’ai déjà dit, je souhaite que nous y réfléchiss­ions. Je ne peux pas me résoudre à l’idée que des étudiants me"ent en péril leurs études car ils sont contraints de travailler beaucoup. Actuelleme­nt, la prime d’activité se déclenche lorsque l’on travaille au minimum à hauteur de 80$% du Smic. Travailler autant quand on est étudiant est quasiment impossible, sauf à alimenter l’échec dans l’enseigneme­nt supérieur. J’ai donc demandé à ce que l’on étudie le déclenchem­ent de la prime d’activité en soutien aux étudiants dès lors qu’ils travaillen­t 12 heures par semaine.

Plusieurs organisati­ons étudiantes ont appelé à manifester le 5 décembre. Comment répondre au malaise des étudiants!?

Il faut faire la part des choses. Il y a d’une part le discours des syndicats d’étudiants qui appellent à se mobiliser depuis des mois contre la réforme des retraites, et plus largement contre beaucoup de projets portés par le gouverneme­nt, et d’autre part les débats légitimes autour des conditions de vie des étudiants, après l’acte tragique de ce jeune qui s’est i mmo l é . L e s é t u d i a n t s attendent qu’on agisse pour les aider plus encore face à la précarité. Le gouverneme­nt est très mobilisé sur le sujet et agit, depuis deux!ans, par la revalorisa­tion des bourses, la suppressio­n de la cotisation de la sécurité sociale des étudiants, le gel des loyers des résidences Crous. La mobilisati­on du 5 décembre s’oppose à la suppressio­n des régimes spéciaux dans notre système de retraites. Or les jeunes que je rencontre ne croient même plus qu’ils auront une retraite et vilipenden­t l’inéquité de ce système. C’est cette confiance dans un système de retraite par répartitio­n, soutenu par la solidarité nationale, que nous devons restaurer par un projet qui rétablira équité et lisibilité pour l’ensemble des retraités.

« Le service national universel concernera 30!000"jeunes en"juin 2020, cette"fois dans tous les départemen­ts"»

« Les jeunes que je rencontre ne croient plus qu’ils auront une retraite et vilipenden­t l’inéquité de ce système"»

 ?? "BERTRAND GUAY/AFP# ?? En fonction depuis octobre 2018, le jeune secrétaire d’État est notamment chargé de mettre en place le service national universel.
"BERTRAND GUAY/AFP# En fonction depuis octobre 2018, le jeune secrétaire d’État est notamment chargé de mettre en place le service national universel.
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#PATRICK ALLARD/RÉA$ Parmi les priorités du ministère de l’Éducation figure l’obligation de formation entre 16 et 18#ans. La France compte environ 2 millions de jeunes sans diplôme ni qualificat­ion.

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