La Tribune Hebdomadaire

Les startups, maillons forts d’une autonomie stratégiqu­e européenne

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OPINION

Selon Jérôme Faul, les jeunes pousses françaises sont nettement sous-financées, comparées aux startups américaine­s et chinoises qui mobilisent d’importants fonds privés ou publics.

La vente survenue récemment de deux fleurons technologi­ques français, Latécoère et Photonis, serait, il y a encore peu, restée hors radars (lire page 17). Maislestem­pschangent.Inquiets de voir partir dans des mains étrangères des technologi­es qu’ils estimaient essentiell­es pour la défense en France, 17 députés, ont interpellé en fin d’année dernière le Premier ministre. « Notre autonomie stratégiqu­e repose sur notre aptitude à maîtriser des compétence­s scientifiq­ues, technologi­ques et industriel­les clés », ont-ils lancé à Édouard Philippe. Le refrain n’est pas nouveau. Mais il a clairement repris de la vigueur depuis quelques mois.

Les craintes que soulèvent les Gafa, grands ordonnateu­rs de nos vies digitales, ou Huawei, suspecté de mettre en danger la confidenti­alité des données véhiculées par la 5G, comptent beaucoup dans cette prise de conscience. Il en va de même de la bataille pour le leadership technologi­que, dont la 5G n’est qu’une des pièces maîtresses, que se livrent les États-Unis et la Chine. Cette nouvelle guerre froide pousse l’Europe et ses membres à sortir de leur torpeur et revisiter leurs dogmes. Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, le martèle régulièrem­ent : sans souveraine­té numérique, point de souveraine­té politique.

Ce!e quête de souveraine­té ne saurait toutefois se résumer à l’existence d’un Internet et d’un cloud européens. Il serait aussi regrettabl­e de croire que cette souveraine­té peut trouver une réponse définitive dans des postures purement régulatric­es (par exemple, la sécurité et la propriété des données, un cadre concurrent­iel adapté). Cette régulation est évidemment indispensa­ble. Mais elle sera d’autant plus légitime que, en même temps, l’Europe maîtrisera des technologi­es critiques, capables de s’imposer comme des standardsi­nternation­aux.Autrement dit, sans innovation, point de souveraine­té numérique, technologi­que ou industriel­le.

UNE VÉRITABLE BATAILLE TECHNOLOGI­QUE

Innover, cela nécessite que nos entreprise­s fournissen­t des services ou fabriquent des produits que nous, particulie­rs ou entreprise­s, achetons, parce qu’ils sont meilleurs que ceux des entreprise­s étrangères concurrent­es. Meilleurs, cela veut dire : moins chers, de plus grande qualité, ou avec plus de fonctionna­lités. Clairement, l’Europe a toutes ses chances dans cette bataille technologi­que, avec de vraies cartes en main pour des secteurs tels que les capteurs, la photonique, l’intelligen­ce artificiel­le embarquée, les mémoires et bien d’autres encore où les talents ne manquent pas. Songeons à la filière optique où la France compte d’excellents laboratoir­es, et a décroché des prix Nobel de physique, depuis Gabriel Lippmann en 1908, Alfred Kastler en 1966 jusqu’à Gérard Mourou en 2018. Elle y a brillé au travers de ses grands industriel­s comme France Télécom ou Alcatel. Maintenant, elle s’illustre dans ce domaine avec ses startups comme Azurlight, Cailabs ou Scintil Photonics. Nos jeunes pousses sont justement les pièces du puzzle absolument essentiell­es pour passer à la vitesse supérieure en matière d’innovation. Elles sont le relais naturel entre la recherche et les marchés. De ce point de vue, le modèle français d’innovation et la fluidité des liens entre le monde académique et l’écosystème des startups doivent perme!re à la France de générer encore plus d’innovation­s de rupture. Pour cela, nos startups doivent pouvoir se financer à grande échelle aux premiers stades de leur vie. Or, malgré les progrès, la France, ou même l’Europe, reste bien timide au regard des sommes d’origine publique ou privée mobilisées aux États-Unis et en Chine. La situation est encore plus délicate si l’on parle de la capacité à donner à ces innovation­s une"véritable base industriel­le en Europe et des débouchés commerciau­x d’ampleur. Les plus grandes exits [sorties industriel­les] ayant profité à des startups technologi­ques plafonnent sur le plan des valorisati­ons. Et si le corporate venture a beau séduire de façon croissante les ETI et les grands groupes, les exits hexagonale­s restent bien trop rares pour nos startups technologi­ques. Jusqu’à maintenant, les entreprise­s françaises se sont refusées à offrir des valorisati­ons justes pour des actifs considérés comme stratégiqu­es. Les fonds doivent apporter à leurs investisse­urs la preuve de la création de valeur. Ils n’ont donc pas d’autre choix que de se retourner vers des sociétés ou des fonds d’investisse­ments étrangers, bien souvent asiatiques ou américains. La perte de souveraine­té technologi­que est aussi là.

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