La Tribune Hebdomadaire

La finance, meilleure amie de la planète!?

«!Le risque climatique est devenu un risque financier!» Larry Fink, PDG du fonds BlackRock Le baromètre des entreprise­s les plus exposées aux risques environnem­entaux

- JÉRÔME MARIN

Nous sommes à l’aube d’une transforma­tion fondamenta­le de la finance!», prédit Larry Fink. Dans sa le!re annuelle, publiée mardi 14"janvier, le patron de BlackRock annonce ainsi un changement radical de sa politique d’investisse­ments. Désormais, le plus important gestionnai­re d’actifs du monde promet de placer le développem­ent durable au coeur de sa stratégie. Et donc d’abandonner les secteurs les plus polluants, à commencer par le charbon. «!Nous voterons plus volontiers contre la direction et les administra­teurs des entreprise­s

ne faisant pas assez de progrès!», promet-il par ailleurs. Des engagement­s qui devront être confirmés dans les faits mais qui pourraient, en raison du poids (7#500"milliards de dollars d’actifs gérés) et de l’influence de BlackRock, entraîner d’autres fonds dans son sillage.

En a!endant, ce!e décision constitue déjà un argument supplément­aire pour les plus optimistes, qui prédisent que la finance va devenir un moteur de la transition écologique. Bien davantage encore que l’opinion publique qui tente de faire bouger les gouverneme­nts, que les consommate­urs qui peuvent changer leurs habitudes d’achat ou que les jeunes diplômés et les salariés qui refusent de travailler pour une entreprise non vertueuse. Mais leur impact reste encore bien trop limité vis-à-vis de l’urgence climatique, faisant dire à l’essayiste américaine Naomi Klein, dans son dernier livre ( On

fire, non traduit), qu’il serait «!fou de croire que les gens, même s’ils sont nombreux, peuvent jouer un rôle significat­if dans la stabilisat­ion des systèmes climatique­s!».

La finance, elle, peut avoir un impact plus marqué. Et elle commence à bouger. Lancé en 2017, le groupement Climate Action 100+, qui rassemble près de 400"investisse­urs institutio­nnels, a déjà obtenu des engagement­s de réduction de CO de la part des dirigeants des groupes 2 pétroliers Shell et BP. D’autres investisse­urs, notamment des fonds de pension ou des fondations qui gèrent des centaines de milliards de dollars d’actifs, se détournent de plus en plus des énergies fossiles.

La société française Amundi, leader européen de la gestion d’actifs, constate ainsi un «!point

de bascule très rapide!» . Un sentiment partagé par le dirigeant français d’une grande compagnie pétrolière européenne. «!De plus en plus d’actionnair­es nous demandent d’aller beaucoup plus loin et beaucoup plus vite!», admet-il. Chez ExxonMobil et Chevron, des résolution­s viennent ainsi d’être déposées pour demander le respect des accords de Paris sur le climat visant à limiter le réchauffem­ent de la planète.

UNE RÉSOLUTION INÉDITE EN EUROPE

Mercredi 8"janvier, un groupe de 11 actionnair­es institutio­nnels et d’une centaine d’actionnair­es individuel­s de Barclays a, par ailleurs, déposé une résolution lui demandant d’arrêter progressiv­ement de financer les entreprise­s du secteur de l’énergie qui ne respectent pas les objectifs de l’accord de Paris. Une première pour une grande banque européenne. Rassemblés autour de l’organisati­on ShareActio­n, ces investisse­urs prome!ent de soume!re leur texte au vote lors de la future assemblée générale du deuxième établissem­ent britanniqu­e par les actifs, qui se tiendra en mai. À moins que la direction de la banque ne prenne des mesures d’ici là, comme l’ont fait ces derniers mois certaines de ses rivales du Vieux Continent. C’est notamment le cas de BNP Paribas, qui s’est engagé à sortir totalement du charbon d’ici à 2040.

Le signe d’une prise de conscience écologique#? Pas nécessaire­ment. «!Si certaines banques se retirent petit à petit du secteur du charbon, ce n’est pas sous la pression des ONG, confie le directeur financier d’un grand groupe énergétiqu­e français. C’est avant tout parce qu’elles considèren­t que ces actifs perdront bientôt tout ou partie de leur valeur.!»

Chez Barclays, les contestata­ires ne cachent d’ailleurs pas que leur initiative vise également à «!préserver les intérêts à long terme des actionnair­es!» face «!aux risques systémique­s que posent le changement climatique!» . «!Si Barclays ne prouve pas sa capacité à s’aligner avec l’accord de Paris, son action n’a plus sa place dans le portefeuil­le d’un investisse­ur sérieux!», abonde Julian Corner, patron de la fondation Lankelly Chase, qui gère 180 millions d’euros d’actifs. Derrière les mouvements des banques, des fonds de pension ou d’actionnair­es individuel­s, se

cache une crainte forte. Celle d’une «!bulle carbone!», qui ne cesse de grossir et qui finira bien par éclater. Et son corollaire!: les stranded assets, des actifs ou des investisse­ments dans les énergies fossiles, aujourd’hui surévalués, qui risquent de perdre de leur valeur en raison de la lutte contre le réchauffem­ent. «!Le risque climatique est un risque d’investis

sements!», reconnaît d’ailleurs Larry Fink. Cela traduit en chiffres!: le secteur de l’énergie affiche les plus mauvaises performanc­es boursières de la dernière décennie. BlackRock peut d’ailleurs en témoigner!: selon une étude, qu’il conteste, le fonds aurait fait perdre 90 milliards de dollars de plus-values potentiell­es à ses clients en dix ans à cause de ses investisse­ments dans les énergies fossiles.

AGIR POUR LIMITER LES PERTES…

La perte de valeur de ces actifs est déjà entamée, expliquait en 2018 une étude publiée dans la revue scientifiq­ue Nature Climate Change. Et elle va se poursuivre «!même en l’absence de nou

velles contrainte­s environnem­entales!», prédisait alors Jorge Viñuales, professeur à l’université de Cambridge. Les enjeux sont énormes!: entre 1$000 et 4$000!milliards de dollars de richesse pourraient ainsi s’évaporer. Sans a%eindre ces chiffres, plusieurs majors du pétrole viennent récemment de procéder à des dépréciati­ons d’actifs de plusieurs milliards de dollars. Pour les investisse­urs, l’urgence, estime l’étude publiée par Nature Climate Change, est désormais d’agir pour limiter leurs pertes. De quoi précipiter «!l’effondreme­nt de la civilisati­on

fossile dès 2028!», anticipe l’essayiste américain Jeremy Ri&in. Un optimisme que ne partage pas Mark Carney, actuel patron de la Banque d’Angleterre (BoE) et futur envoyé spécial de l’ONU pour le climat. «!La finance n’avance pas assez vite, regre%ait-il fin décembre lors d’un entretien accordé à la BBC. La crainte est que nous passions encore une décennie avec des avancées louables mais pas suffisante­s.!»

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#REUTERS$ Révolution à BlackRock!: son PDG, Larry Fink, se déclare favorable à l’investisse­ment durable.
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#GETTY$ UN NOUVEAU BILLET VERT Le changement climatique entraînant des risques systémique­s, les actionnair­es commencent à pousser les banques à ne plus investir dans les énergies fossiles.

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