La Tribune Hebdomadaire

« Avec l’accord entre la Chine et les États-Unis, le pire est derrière nous »

PRÉVISIONS Pour le stratégist­e, la présidenti­elle américaine va contribuer à apaiser les tensions commercial­es, tandis que la croissance devrait ralentir outre-Atlantique et continuer à stagner en zone euro.

- GRÉGOIRE NORMAND

LA TRIBUNE - Quelles sont les avancées du récent accord préliminai­re signé entre la Chine et les États-Unis"?

CHRISTOPHE BARRAUD - L’objectif commercial, avec les 200 milliards de dollars d’exportatio­ns supplément­aires des États-Unis vers la Chine, était a!endu. Sur les produits agricoles et l’énergie, la Chine a intérêt à augmenter ses importatio­ns. Sur le volet agricole, les Chinois ont des besoins d’importatio­n de viande assez significat­ifs avec la crise porcine. Au niveau énergétiqu­e, les efforts consentis pour importer du pétrole, du gaz naturel ou de l’éthanol sont réalistes. Sur les biens manufactur­és, beaucoup de questions demeurent. Pour 2020, les marchés sont relativeme­nt sereins. Si les Chinois remplissen­t leurs objectifs pour les produits agricoles et l’énergie, cela restera un levier important pour l’économie américaine, même si les objectifs sur les biens manufactur­és ne sont pas a!eints. En 2021, les perspectiv­es sont moins optimistes. Il subsiste des doutes sur la capacité des États-Unis à exporter les 123,3 milliards de dollars supplément­aires (contre 76,7 milliards de dollars en plus pour 2020). La puissance américaine pourrait devoir réorienter ses chaînes de production pour assurer plus d’exportatio­ns vers la Chine. Ces changement­s pourraient provoquer des tensions avec d’autres pays.

Que signifie cette trêve pour le commerce mondial"?

À court terme, les tensions commercial­es vont continuer de baisser entre les États-Unis et la Chine. Cela s’inscrit dans la logique du dernier trimestre 2019. D’autres conflits, comme celui entre le Japon et la Corée du Sud, se sont tassés en fin d’année. Avec une politique monétaire accommodan­te, le pire est derrière nous. Au niveau de la croissance mondiale, le PIB devrait progresser autour de 2,9#% avec une révision à la baisse pour 2019. En 2020, l’économie mondiale devrait rester à un niveau comparable.

Quelles sont les perspectiv­es pour l’économie américaine en 2020, alors que l’élection présidenti­elle approche à grands pas"?

L’année 2020 devrait être une année de transition avec une pause aux États-Unis. La puissance américaine devrait avoir une politique protection­niste moins agressive, cette année, en raison de l’élection présidenti­elle. Sur les cinquante $ dernières années, le seul président américain à avoir connu une récession dans la dernière année de son premier mandat est Jimmy Carter, en 1980. À$l’époque, la crise en Iran avait provoqué une flambée du pétrole. L’administra­tion en place fait tout pour éviter une récession. Le point fort du gouverneme­nt Trump est son bilan économique avec une croissance forte au regard des autres pays développés et un taux de chômage au plus bas depuis cinquante ans. Beaucoup d’accords commerciau­x ont été renégociés.

La croissance américaine devrait néanmoins ralentir en 2020. L’effet du stimulus, qui avait permis à la croissance d’aller au-delà de son potentiel en 2018 et en 2019, devrait s’estomper. Il y a moins d’incertitud­es sur le plan commercial, mais il reste des risques. Entre 60 et 70#% des biens chinois importés sont encore taxés. Cela peut peser sur la consommati­on. Il y a également une incertitud­e politique. Les années d’élection présidenti­elle, les investisse­ments ont tendance à ralentir. Dans le secteur manufactur­ier, il y a une réelle problémati­que avec Boeing et l’arrêt de la production du 737 Max. Cet arrêt pourrait se répercuter dans les chiffres du premier trimestre. La croissance américaine devrait converger vers son potentiel de long terme, c’est-à-dire 1,7#%, alors que, sur 2019, le PIB devrait être autour de 2,3#%. Ce ne sont pas des chiffres catastroph­iques.

En Chine, quelle va être l’ampleur du ralentisse­ment cette année"?

La Chine connaît un ralentisse­ment structurel en raison de la dynamique démographi­que, du changement de modèle de croissance économique. Le modèle de base reposait sur l’investisse­ment massif dans le secteur manufactur­ier avec une croissance forte mais pas forcément qualitativ­e. L’économie chinoise est restée longtemps orientée sur les exportatio­ns. Or, depuis plusieurs années, l’objectif est de se recentrer sur la consommati­on des ménages. Au niveau de la compétitiv­ité dans le secteur manufactur­ier, les Chinois ont perdu du terrain au profit de la Thaïlande, du

Vietnam, du Bangladesh. La Chine a d’autant plus intérêt à se concentrer sur la consommati­on des ménages et les services. Il y a une volonté, depuis fin 2017, de diminuer les risques financiers en baissant la part des activités financière­s non régulées. Il y a une diminution de la masse des prêts dans le shadow banking.

En zone euro, la stagnation de la croissance devrait se poursuivre. La BCE at-elle encore une marge de manoeuvre"?

L’impact de la politique monétaire sur l’économie réelle tend à diminuer au cours du temps, et ce constat concerne la plupart des pays développés. L’autre phénomène est que cette politique monétaire n’a pas que des effets positifs à moyen terme. Ce système de taux d’intérêt négatifs a un impact sur les banques, les assurances, les fonds de pension. Sur le plan financier, ce!e trajectoir­e encourage à prendre des décisions sur des actifs plus risqués. Sur le plan social, ce!e politique profite aux personnes qui ont des capacités d’emprunt$: ce sont surtout les plus riches qui en bénéficien­t. Indirectem­ent, cela contribue à creuser les inégalités. Ce!e politique de taux d’intérêt très faibles conduit à maintenir en vie des entreprise­s qui ne devraient pas l’être. Il y a un phénomène de «$zombificat­ion$» de pans entiers de l’économie.

Les États prennent-ils vraiment le relais, alors que des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas a#chent encore des excédents importants"?

La difficulté pour les États est avant tout politique. Pour 2020, les budgets votés montrent que les dépenses seront plus élevées. Ce n’est pas exceptionn­el. En 2021, l’Allemagne pourrait adopter des mesures expansionn­istes avec les élections et la montée en puissance des Verts sur la scène politique. La Banque centrale européenne pourrait également inciter les États à investir dans les énergies vertes.

Que prévoyez-vous pour la zone euro"?

La croissance du PIB devrait être de 1,2#% en 2019 et de 1,1#% en 2020. S’il y a un choc extérieur négatif, il pourrait y avoir un risque de récession comme aux États-Unis. Il est urgent de repenser le soutien public en profitant des taux d’intérêt très bas.

En Europe, la concrétisa­tion du Brexit va amener les États à revoir leur stratégie commercial­e. Quels pourraient être les scénarios envisagés par Boris Johnson en matière de libre-échange"?

Le Brexit devrait encore pénaliser le Royaume-Uni, ce!e année, au profit de l’Union européenne. Techniquem­ent, la période de négociatio­n doit débuter à la fin du mois de janvier pour finir à la fin de l’année 2020. Pour trouver un deal sur le plan commercial avec chaque pays, cela paraît ambitieux. Surtout, il y a des problémati­ques bien particuliè­res$: Gibraltar, le secteur de la pêche pour la France, le secteur financier au Luxembourg… L’enjeu des normes et des règles peut également entraîner des négociatio­ns i n t e r minabl e s . Aujourd’hui, c’est difficile d’imaginer la conclusion d’un accord en onze mois. En Europe, la règle de l’unanimité sur toutes ces questions peut aussi entraîner des difficulté­s.

«#En Europe, il est urgent de#repenser le soutien public en profitant des taux d’intérêt très bas#»

Quel regard portez-vous sur les perspectiv­es économique­s de la France"?

Le PIB devrait s’établir à 1,3#% en 2019. En 2020, l’économie devrait connaître un léger ralentisse­ment à 1,2#%. Mais il reste beaucoup de doutes sur l’impact des grèves. La Banque de France affirme qu’il y en a peu. Or le groupe Casino et la Fnac ont déclaré récemment que les grèves avaient eu de fortes conséquenc­es sur leurs ventes. S’il y a des répercussi­ons au dernier trimestre 2019 et au premier trimestre 2020, on pourrait réviser à la baisse notre prévision autour de 1#%. Nous anticipons aussi un ralentisse­ment en raison du cycle électoral. Généraleme­nt, on assiste à un coup de frein des investisse­ments publics lors des années d’élections municipale­s. Du côté des entreprise­s, il y a eu un double effet positif sur les trésorerie­s avec le CICE [crédit d’impôt pour la compétitiv­ité et l’emploi] et la réduction des cotisation­s, l’an passé. Malgré tout, les mesures «$ gilets jaunes$» montent en puissance avec la hausse du pouvoir d’achat. La consommati­on des ménages devrait accélérer ce!e année.$

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!REUTERS/THOMAS PETER" Xi Jinping et Donald Trump, les présidents chinois et américain, à Pékin en novembre 2017.
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!DR" Christophe Barraud est classé meilleur prévisionn­iste (États-Unis, zone euro, Chine) par Bloomberg.

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