Cette reconnaissance faciale qui change déjà la physionomie du quotidien
BIG DATA Prouver son identité, utiliser son smartphone, ouvrir un compte en banque… Les Français sont de plus en plus souvent confrontés à cette technologie, fiable mais controversée.
La reconnaissance faciale, longtemps restée cantonnée aux films de science-fiction, est devenue une réalité en quelques années, y compris en France. Dernière annonce en date : Cédric O, secrétaire d’État au Numérique, a récemment appelé à réaliser une expérimentation en temps réel de ce!e technologie sur les images de vidéosurveillance. Grâce à l’intelligence artificielle, la reconnaissance faciale permet l’identification d’une personne à partir de son visage ou de vérifier qu’elle est ce qu’elle prétend être (on parle alors d’authentification). La reconnaissance faciale est capable d’analyser les traits du visage, mais aussi des données biométriques, comme les yeux, et de les comparer si besoin à des photos ou des vidéos.
Ce!e technologie controversée soulève de nombreuses inquiétudes parmi ses opposants, qui craignent des a!eintes à la protection des données et aux libertés individuelles avec des soupçons de surveillance généralisée. Pour ses défenseurs, la reconnaissance faciale permet des authentifications fiables, rapides et sécurisées pour lu!er contre tous types de fraudes.
Le marché de la reconnaissance faciale était estimé à 4,55 milliards d’euros dans le monde en 2019 et devrait dépasser les 9 milliards d’euros en 2025, selon une étude du cabinet d’analyse Mordor Intelligence. Ce!e technologie s’est déjà largement imposée dans certains pays, comme la Chine. En France, elle est juridiquement encadrée par la loi informatique et liberté du 6 janvier 1978 et par le fameux RGPD européen (règlement général sur la protection des données) entré en vigueur en mai 2018.
Par principe, l’utilisation de ce!e technologie est interdite. Mais de nombreuses exceptions existent, à commencer par l’obtention explicite du consentement des personnes concernées. Les expérimentations se développent donc tous azimuts, en dépit des appels à moratoire lancés par la société civile, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) et certains élus. Tour d’horizon des usages déjà réels ou en projet de la reconnaissance faciale.
DÉVERROUILLER SON SMARTPHONE EN UN CLIN D’OEIL
Cela peut désormais paraître anodin, mais déverrouiller un smartphone à l’aide de son visage nécessite le recours à la reconnaissance faciale 3D. Ce système de déverrouillage est en train de se développer, sous l’impulsion d’Apple. La firme de Cupertino a intégré à ses produits un système de reconnaissance faciale, baptisée «"Face ID"», depuis 2017 à partir de l’iPhone X. «!En France, l’authentification faciale 3D est principalement utilisée par Apple pour l’instant. Il existe d’autres smartphones comme Oppo Find X ou Xiaomi Mi8 qui y recourent!», précise Ville-Pe!eri Ukonaho, directeur associé au cabinet d’études Strategy Analytics. «!En 2018, nous avons dénombré environ 2 millions de smartphones équipés de reconnaissance faciale 3D en France, et ce chiffre devrait dépasser les 3 millions en 2019. Nous nous attendons à ce que d’autres fournisseurs adoptent également l’authentification faciale 3D ce#e année, de sorte que les volumes augmentent!», anticipe Ville-Pe!eri Ukonaho. Concernant la reconnaissance faciale 2D, qui permet l’authentification à partir d’une simple photo, «!elle est beaucoup plus courante et moins sécurisée! »,
affirme l’analyste. «!Nous estimons qu’environ 13 millions de smartphones vendus en France en 2018 en étaient équipés.!»
ACCÉDER À DES SITES DU SERVICE PUBLIC EN SE FILMANT
Le ministère de l’Intérieur et l’Agence nationale des titres sécurisés (ANTS) développent l’application Alicem (pour authentification en ligne certifiée sur mobile). Elle perme!ra aux utilisateurs qui le souhaitent de s’identifier sur smartphone via un système de reconnaissance faciale pour accéder aux services publics en ligne. Le but : sécuriser les échanges sur Internet, selon le ministère. Concrètement, les utilisateurs devront être dotés d’un passeport biométrique, délivré après juin 2009, et équipé d’une puce sécurisée. Pour se connecter, l’utilisateur doit scanner et lire la puce de son passeport et procéder à la reconnaissance faciale. Ce!e dernière étape passe par la prise d’une petite vidéo, où plusieurs actions doivent être réalisées (cligner des yeux, tourner la tête de gauche à droite…) «!L’authentification par reconnaissance faciale ne s’effectue qu’une seule fois, le jour où l’application est installée sur smartphone, précise Jérôme Letier, directeur de l’ANTS. La photo du passeport et le flux vidéo sont envoyés sur les serveurs de l’ANTS pour être comparés. Une fois la vérification effectuée, toutes les données biométriques sont effacées dans les secondes qui suivent!», insistet-il, face aux nombreuses inquiétudes soulevées par le déploiement de ce!e application.
Dans une interview accordée au Parisien fin décembre, Cédric O affirmait n’être
«!pas certain!» qu’Alicem soit un jour déployée sous ce!e forme. Interrogé sur la mise en service de l’application, Jérôme Letier explique : «!Alicem est en phasedetestdepuisjuin 2019surquelques centaines d’utilisateurs volontaires. Finaliser l’application est notre priorité actuelle pour pouvoir la me#re en service début 2020, si l’autorité politique donne son feu vert.!»
DANS LES AÉROPORTS, UN SCAN DU VISAGE VOUS IDENTIFIE
Les aéroports d’Orly et de RoissyCharles-de-Gaulle ont installé des sas équipés d’un système de reconnaissance faciale depuis l’été 2018 pour tous les voyageurs majeurs, titulaires d’un passeport biométrique et ressortissants de l’Union européenne, de la Suisse, de l’Islande, de la Norvège et du Liechtenstein. Environ 45$% des passagers des aéroports parisiens sont éligibles à ce nouveau système de reconnaissance faciale, contre seulement 10$% des usagers pouvant emprunter les sas de reconnaissance digitale.
L’idée est de fluidifier les contrôles aux
« En 2018, 2 millions de smartphones étaient équipés de reconnaissance faciale 3D en France. Ce chi!re devrait dépasser les 3 millions en 2019 »
VILLE"PETTERI UKONAHO,
DIRECTEUR ASSOCIÉ AU CABINET D’ÉTUDES STRATEGY ANALYTICS
frontières, au regard de la croissance dunombredepassagersetdesmenaces terroristes qui pèsent sur le transport aérien. Le voyageur doit scanner son passeport et attendre quelques secondes qu’une première porte s’ouvre. Une fois dans le sas, une caméra scanne le visage et le compare avec la photo du passeport, avant d’actionner l’ouverture de la deuxième porte. Durée totale du processus, entre 10 à 15 secondes par passage. Des dispositifs similaires sont également déployés à la gare du Nord, à Paris, pour prendre l’Eurostar.
UN SELFIE EN GUISE DE SÉSAME BANCAIRE EN LIGNE
Depuis 2018, Société Générale permet d’ouvrir un compte à distance via la reconnaissance faciale, grâce à la technologie du français Idemia. L’authentification en ligne était suivie dans la foulée par un tchat vidéo avec un conseiller. «!Nous avons fait évoluer le dispositif à partir d’octobre 2019, pour remplacer la visio par un selfie dynamique [qui consiste à réaliser un autoportrait sous différents angles pour permettre la captation des données biométriques, ndlr]. Cela nous permet d’industrialiser le processus, qui repose moins sur la disponibilité des conseillers!», justifie
Grégoire Dupiellet, responsable marketing digital à Société Générale. Société Générale, qui ne communique pas de chiffres, se contente d’affirmer que ce nouveau dispositif est «!deux fois
plus utilisé!» que le précédent. L’utilisation de la reconnaissance faciale dans le secteur de la banque n’en est qu’à ses débuts puisque la directive européenne DSP2 pourrait favoriser de nouveaux usages. Entrée envigueurenjanvier 2018pourréduire la fraude dans l’e-commerce, elle impose de renforcer l’authentification pour les paiements en ligne supérieurs à 30 euros, en recourant notamment aux données biométriques comme le visage ou l’empreinte digitale. En France, les banques ont jusqu’à la fin de l’année pour s’y conformer. Au-delà des opérations en ligne, la banquededétailespagnole,CaixaBank, permet depuis février 2019 aux clients qui le souhaitent de s’authentifier par reconnaissance faciale dans ses distributeurs automatiques pour retirer de l’argent. Une initiative présentée comme une «!première mondiale!» .
MONTRER SA TÊTE POUR SE PASSER DE TICKET D’ENTRÉE
Exit les QR codes et les invitations à imprimer pour se rendre à un événement culturel ou sportif. Votre ticket, c’est votre visage. C’est l’expérimentation menée à Paris le 18 avril dernier, lors du Sommet européen de l’intelligence artificielle (European AI Night), et déployée par l’entreprise française Artefact.
Un système de reconnaissance faciale a été mis en place à l’entrée du Palais de Tokyo pour permettre un accès sans billet. Sur la base du volontariat, les visiteurs pouvaient s’inscrire en envoyant au préalable leur photo afin d’être identifiés une fois sur place. «!Nous avons développé une application mobile qui filmait les visiteurs pour les reconnaître en temps réel! », détaille Philippe Rolet, cofondateur et directeur de la technologie chez Artefact. Sur les 2#000$ visiteurs attendus, «!environ la moitié des personnes se sont portées bénévoles!», chiffre le
cofondateur.
Recourir à la reconnaissance faciale pour remplacer un ticket d’entrée, l’idée commence à faire son bout de chemin. Les jeux Olympiques de 2020, qui se dérouleront à Tokyo cet été, vont déployer pour la première fois de la reconnaissance faciale dans le système de contrôle d’accès pour l’ensemble des quelque 300#000 athlètes, journalistes, bénévoles et organisateurs.
« Au Palais de Tokyo, à Paris, nous avons développé une application mobile qui filmait les visiteurs pour les reconnaître en temps réel »
PHILIPPE ROLET,
DIRECTEUR DE LA TECHNOLOGIE CHEZ ARTEFACT