La Tribune Hebdomadaire

« Le train régional français est 60!% plus cher à produire qu’en Allemagne »

ENTRETIEN Le patron du leader de la location de trains en Europe revient sur l’ouverture à la concurrenc­e du secteur ferroviair­e. Il détaille les avantages du système outre-Rhin largement plus performant, selon lui, que celui de la France.

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LA TRIBUNE – Les trains régionaux circulant en France sont-ils adaptés aux besoins des régions"?

VINCENT POUYET – Les matériels régionaux en France sont, comparativ­ement au marché européen, sophistiqu­és, chers et leur efficacité est très moyenne quand on regarde leur niveau de disponibil­ité et le nombre de kilomètres parcourus chaque année. Jusqu’ici, il y avait un opérateur unique, la SNCF, qui jouait un rôle majeur dans la conception des matériels. Les constructe­urs, Alstom comme Bombardier, ont répondu à ses exigences en construisa­nt des trains spécifique­s. Sachant que les trains achetés par la SNCF sont subvention­nés par les Régions, le prescripte­ur n’est pas incité à concevoir un train peu onéreux. D’autant que ces dernières n’ont pas la capacité technique suffisante pour challenger la SNCF. Tout cela coûte au final très cher.

Est-ce di#érent en Allemagne où le marché est ouvert"?

Oui, le système allemand est beaucoup plus localisé. À la manière des avionneurs, les constructe­urs développen­t leur propre gamme de trains qu’ils adaptent aux besoins des opérateurs de chaque concession. En conséquenc­e, les commandes de trains sont plus petites, il y a davantage de concurrenc­e entre les constructe­urs, et plus d’innovation­s incrémenta­les car, à chaque petite commande, plusieurs choses sont améliorées par le retour d’expérience. Au final, en Allemagne, les matériels roulants sont moins sophistiqu­és, moins chers mais plus performant­s en termes de fiabilité et de performanc­e opérationn­elle.

Cette «!customisat­ion!» n’est-elle pas risquée"?

C’est plutôt l’inverse. Quand les constructe­urs développen­t leur propre gamme, ils peuvent vraiment apporter leur propre savoirfair­e. Cela les oblige à investir dans des produits et non à faire supporter l’investisse­ment par le client. Et au final, ils protègent mieux leur marge. En France, les constructe­urs se retrouvent dans des cycles de développem­ent très longs dans lesquels ils sont confrontés à l’interventi­onnisme très important de la SNCF. La plupart du temps, ils perdent de l’argent au cours de ces phases. D’une part parce qu’il faut environ cinq ans pour homologuer un train et d’autre part parce que la chaîne logistique n’est pas optimisée puisque, à chaque nouveau train, il faut reformer les fournisseu­rs. La Deutsche Bahn fonctionna­it sur ce principe il y a vingt ans. Depuis, toute l’industrie allemande a fait sa révolution.

Quelles sont les recettes pour améliorer les services et baisser les coûts"?

En Allemagne, les concession­s qui affichent les meilleurs résultats en termes de remplissag­e des trains et de coûts de production sont celles qui sont organisées très localement, avec une couche managérial­e très légère, un atelier de maintenanc­e, une flo"e dédiée et une bonne connaissan­ce de la ligne et des besoins en termes de fréquentat­ion.

Quelles sont les différence­s d’exploitati­on entre la France et l’Allemagne"?

Il y a de grosses différence­s. En Allemagne, l’offre de trains régionaux est beaucoup plus dense et il y a plus de voyageurs dans les trains. Avoir trois trains le matin et trois le soir sur une ligne, comme on le voit en France, n’existe pas en Allemagne. Les autorités organisatr­ices de transport estiment qu’une ligne de train doit avoir un train par heure. Si vous voulez que les voyageurs considèren­t le train comme une vraie alternativ­e, il faut programmer des trains toute la journée, y compris en heures creuses et le soir. Sinon, ils choisissen­t un autre moyen de transport ou limitent leurs déplacemen­ts. Il y a également de grosses différence­s en termes de coûts de production. En France, le coût pour faire rouler un «$train-kilomètre$» s’élève à 25 euros. En Allemagne, il est de 15 euros. Le train régional français est 60%% plus cher à produire que le train régional allemand.

Quelle est l’origine de ce surcoût"?

Le coût du personnel ne représente qu’une partie des dépenses de production, d’autant que, en Allemagne, les conducteur­s de trains sont très bien payés. La différence s’explique essentiell­ement par l’exploitati­on du matériel. Si l’on regarde le matériel roulant déjà plus sophistiqu­é et plus cher en France, les trains que nous louons en Allemagne roulent 200%000$km par an en moyenne, plutôt 150%000$km pour les trains diesel et largement plus de 200%000$km pour les trains électrique­s. En France, un train régional r o ul e e nt r e 8 0 % 000 e t 120%000 km par an. Soit quasiment deux fois moins. Cela engendre un impact massif sur les coûts d’exploitati­on mais aussi sur la maintenanc­e, car même s’il roule peu, un train ne peut s’affranchir de certaines opérations de maintenanc­e. Il y a des économies incroyable­s à réaliser en augmentant l’utilisatio­n des trains. Sur la question du personnel, le décalage est moins sur les salaires que sur la partie organisati­onnelle qui doit s’adapter à l’exploitati­on. Un train régional roule toute la journée, ne roule pas la nuit en semaine, et roule un peu moins le week-end. Il faut donc du personnel dans les ateliers la nuit et le week-end.

Quels sont les enjeux de flottes en France, sachant que les trains régionaux ont déjà été achetés par les Régions et que celles-ci pourront les récupérer"?

Le matériel roulant est le principal enjeu de l’ouverture à la concurrenc­e du transport ferroviair­e régional français. Si l’on veut qu’un opérateur apporte de la performanc­e, il faut qu’il ait la main sur le matériel roulant et la maintenanc­e, afin d’optimiser l’offre de transport par rapport à la flo"e de matériel. Il y a un gros sujet de maintenanc­e ferroviair­e dans l’ouverture à la concurrenc­e. Une question fondamenta­le va se poser aux Régions : comment vont-elles récupérer les trains qu’elles ont subvention­nés mais qui sont la propriété de la SNCF%?

PROPOS RECUEILLIS PAR FABRICE GLISZCZYNS­KI

«!L’acquisitio­n et l’exploitati­on d’un train à hydrogène coûtent entre 50 et 100"% plus cher qu’un diesel. Ce n’est pas forcément la panacée pour sauver les petites lignes »

La loi sur la réforme ferroviair­e leur permet de reprendre la propriété des trains dans la mesure où ils ont été achetés dans le cadre d’une délégation de service public. Plus que la seule reprise de la propriété des trains, il faut perme!re aux opérateurs de définir des concepts d’exploitati­on et de maintenanc­e qui soient plus performant­s par rapport à ce qui existe aujourd’hui.

Les opérateurs qui veulent postuler à l’exploitati­on d’un réseau régional doivent avoir de la visibilité sur les conditions dans lesquelles ils vont récupérer ces trains": quels sont les coûts d’exploitati­on qui vont avec, quelles sont les grosses échéances de maintenanc­e à venir, comment vont-ils pouvoir acheter des pièces de rechange… L’accès à ces données doit être équitable. La SNCF bénéfice d’une rente d’informatio­ns. Il ne faut donc pas qu’il y ait un candidat qui ait une connaissan­ce parfaite de ces trains et d’autres qui n’en aient, a priori, aucune. Il y a un gros enjeu à la fois de continuité de service et de performanc­e, mais aussi d’équité.

Alpha Trains est-il prêt à reprendre des trains"?

Les AGC (autorails de grande capacité) de Bombardier vont bientôt arriver à « mi-vie ». Les Régions devront financer, par conséquent, les rénovation­s majeures nécessaire­s pour moderniser ces trains en installant par exemple du wi-fi, de la vidéosurve­illance… On parle de quelques centaines de milliers d’euros par rame. Faites le calcul :"sur 1#000 rames, le montant n’est pas neutre. C’est donc un investisse­ment de plusieurs centaines de millions d’euros que vont devoir supporter les Régions dans un contexte budgétaire contraint. Nous regardons donc comment nous pourrions leur racheter une partie de ces trains pour les moderniser et en faire une gestion indépendan­te [de la

SNCF, ndlr] au bénéfice des opérateurs qui seront choisis pour exploiter les réseaux régionaux. La clé d’une vraie ouverture à la concurrenc­e, c’est le matériel roulant. Si un opérateur doit utiliser des trains appartenan­t à la SNCF, entretenus par la SNCF, et embaucher des cheminots et leur sac à dos social, il n’y"aura pas de concurrenc­e. Les nouveaux entrants n’auront plus de marges de manoeuvre pour améliorer la qualité du service et"baisser les prix. Ils seront bloqués dans le système peu performant d’aujourd’hui. Même si on" donne quelques miettes à des concurrent­s de la SNCF, on n’améliorera pas le service aux usagers."Alors qu’en se posant les bonnes questions, on peut faire mieux et moins cher#!

Les Régions sont-elles intéressée­s"?

À l’exception de la Bretagne et de l’Occitanie qui ont re-signé avec la SNCF pour dix ans, nous discutons avec toutes les autres Régions pour essayer de trouver des solutions qui leur conviennen­t

Combien de trains êtes-vous prêts à reprendre"?

À long terme, si nous sommes en mesure de racheter, par exemple, quelques AGC à différente­s

Régions et de constituer un parc de matériels mutualisés, nous pourrons apporter notre expertise sur les rénovation­s et générer encore plus de valeur. Notre stratégie est de capitalise­r sur des types de flo!es.

Si les Régions n’achètent plus de trains, ne vont-elles pas perdre de leur influence dans la politique des transports"?

Les autorités organisatr­ices n’ont pas les compétence­s pour acheter les trains. C’est pour ce!e raison d’ailleurs qu’aujourd’hui elles subvention­nent la SNCF pour le faire. Si demain elles veulent acheter leurs trains en direct, il faudrad’abordqu’ellesacqui­èrent ces compétence­s très spécifique­s. Surtout, s’ils ne parviennen­t pas à assurer le service demandé, les opérateurs pourront toujours se défausser en pointant la mauvaise performanc­e des trains qu’ils n’ont pas achetés. Quand l’autorité organisatr­ice de transports finance ou achète le matériel roulant, elle déresponsa­bilise l’opérateur et on se retrouve dans un système peu vertueux comme c’est le cas aujourd’hui. Aussi, même si nous pourrions très bien louer les trains aux AOT, nous pensons qu’il est plus vertueux que les opérateurs soient impliqués dans l’acquisitio­n des trains.

L’ouverture à la concurrenc­e du marché de la grande vitesse est-elle une opportunit­é pour les loueurs de trains"?

Je ne pense pas que nous nous positionne­rons sur ce marché dans un premier temps. Nous investisso­ns dans des actifs qui ont une certaine liquidité sur le marché. À partir du moment où celui-ci est déjà saturé de matériel, il n’y a pas de marché de l’occasion. Il faudrait qu’il y ait un potentiel de développem­ent important de l’offre pour qu’un tel marché se crée. Ce n’est pas le cas. Je ne vois pas comment un marché de seconde main pourrait émerger. Les opérateurs investiron­t en propre. Trenitalia, qui a déclaré son intérêt pour le marché français, exploite des Bombardier-Hitachi et a passé une option pour commander 14"trains supplément­aires destinés au marché français. Les trains intercités sur ligne classique présentent, à notre sens, plus de potentiel et les actifs sont plus liquides car il y a un marché européen. Nous aurons peut-être des choses à proposer en termes de matériel roulant.

Des trains à hydrogène circulent en Allemagne depuis fin 2018. Plusieurs régions françaises comme Nouvelle-Aquitaine, Occitanie et Bourgogne-Franche-Comté, sont intéressée­s. Allez-vous acheter des trains à hydrogène"?

Nous regardons bien évidemment ce!e technologi­e prometteus­e comme nous évaluons en permanence les différente­s avancées technologi­ques. Mais la question est plus large car le ferroviair­e ne peut pas rester en marge des enjeux climatique­s. Cela passe donc par un arrêt de l’achat de trains diesel d’ici une dizaine d’années. Avec plus de 200 automotric­es thermiques, notre flo!e de trains diesel est importante. Nous sommes conscients de notre responsabi­lité et nous réfléchiss­ons à la façon de verdir notre flotte à l’horizon 2030. Toutefois, l’acquisitio­n et l’exploitati­on d’un train à hydrogène coûtent aujourd’hui entre 50 et 100#% plus cher que celles d’un train diesel. Le volontaris­me politique se heurte donc à la réalité économique. Par exemple, l’hydrogène n’est pas forcément la panacée pour sauver les petites lignes, du moins à court terme. Au-delà du prix du train, il y a aussi l’investisse­ment nécessaire pour me!re en place une nouvelle infrastruc­ture et il existe encore de nombreuses interrogat­ions sur la capacité d’une production « propre » de l’hydrogène. Il est donc important de tester la technologi­e en conditions réelles et de la me!re à l’épreuve d’une exploitati­on, mais envisager un déploiemen­t à grande échelle est encore prématuré. Il semble difficile d’investir massivemen­t dans une technologi­e dont le développem­ent doit encore franchir de nombreuses étapes."

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!ALPHA TRAINS" Vincent Pouyet compte racheter une partie des trains gérés par la SNCF dans les Régions, afin de les moderniser et les louer aux futurs opérateurs régionaux.
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#ALPHA TRAINS$ FACILITER LE TRANSPORT FERROVIAIR­E DE PROXIMITÉ Les rames d’Alpha Trains (à gauche, un Desiro ML, fabriqué par Siemens ; à droite, un Kiss conçu par Stadler Rail) desservent des lignes régionales allemandes.

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